19. La tourneuse sur bois

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J'ai décroché le cintre, et je suis allée m'asseoir sur le lit. J'ai posé la robe sur moi, pour prendre le temps de la regarder, et le contact sur mes cuisses nues m'a surprise : c'était à la fois froid, doux, et chaleureux... il y avait là quelque chose d'étrangement sensuel, qui me dérangeait, probablement parce qu'en passant cette robe, j'allais me revêtir de sa sensualité, et qu'il me serait interdit de la quitter jusqu'au soir.

J'ai ouvert le long zip métallique de la robe. Celui-ci descendait jusqu'au milieu des fesses : j'engageai mes pieds joints dans l'ouverture pour glisser mon corps dans le cuir, une fine doublure faisant son maigre office de barrage entre la peau retournée et ma propre chair.
La robe a facilement glissé sur mes hanches. En en redressant le plastron sur mon ventre, de nouveau j'ai senti cette sensualité que je ne voulais pas radier, dans les réactions de la matière, dans son étrange rigidité, forgée de multiples souplesses.

J'ai glissé mes mains dans les ouvertures en me levant du lit, les manches ont remonté mes bras pour atteindre mes épaules, et mu par la volonté d'un tailleur diabolique, le cuir est venu se plaquer contre mon ventre pour permettre au vêtement de mieux embrasser mes seins.
Je me sentais absolument nue. J'ai relevé la fermeture dans mon dos, sans trop de difficulté jusqu'à la taille, mais l'opération est devenue beaucoup plus délicate en approchant mes omoplates : la robe était étonnamment ajustée, les manches enrobaient trop étroitement mes aisselles, le haut étreignait mes épaules, et je sentais ma poitrine s'écraser sous la pression du vêtement.
Enfin, la fermeture atteint ma nuque en un zip ! salvateur, et sitôt mes bras ramenés dans une position plus normale, l'ensemble se mit agréablement en place sur mon corps.

Je m'élançai vers le miroir... j'y découvris une sorte de surmoi, une surmélie, ou plutôt, une super-fantasmette...
De coupe droite, sans manche, longue à mi-cuisses, la robe se montrait légèrement ample sur sa partie basse, et incroyablement près du corps sur sa partie haute. Ses formes épousaient parfaitement celles de mes seins, au point d'en tendre le cuir pour dessiner sur ma poitrine des lignes de lumière qu'aucun pli ne pouvait briser. La savante amplitude de la taille se réservait tous les plis, qu'elle mettait à contribution comme s'il s'était agit de flèches destinées à pointer l'attention sur ces seins qui les faisaient naître.

Une fente légère sur ma gorge faisait mine de fermer la ronde encolure, tout en prenant soin de livrer à la vue une fine ligne ouverte sur ma peau, qui naissait sur mon cou pour se laisser mourir entre mes seins.

Ainsi habillé de cuir, tendu ici et relâché par ailleurs, mon corps me paraissait à la fois imprenable, et vulnérable. L'élégance générale m'évoquait celle que j'aurais souhaité être : avec des chaussures, des bas, un peu de maquillage discret, cette robe m'aurait fait prendre vingt bons centimètres de confiance en moi.
En même temps, je me sentais emprisonnée dans cette sensualité que j'avais ressenti, et à chaque mouvement que j'effectuais devant le miroir, le cuir dessinait un nouveau tableau de mon corps, soulignant la moindre de mes courbes d'un pli aux reflets satinés, ou d'un creux mat dans lequel la lumière disparaissait.
Et sous cette armure, que l'on aurait juré vouée à appeler tous les regards des hommes et à attirer leurs mains, rien. Rien du tout, et surtout... pas de culotte.

Je me précipitai soudain pour vérifier les tiroirs : peut-être avais-je manqué un string noir, quelque chose, n'importe quoi, pour couvrir cette partie-là de mon corps, mais non, rien, il n'y avait rien.

*

Lorsque j'ai retrouvé Ulysse dans son atelier, son premier regard m'a confirmé tout ce que je redoutais sur ce que cette matière pouvait inspirer aux hommes, et à lui en particulier. Ce regard, conjugué à l'effet de mes pieds plats sur le sol, tout nus, m'a fait perdre les vingt centimètres que j'aurais pu gagner : écrasée à quarante centimètres sous mon surmoi, et à mon corps défendant, j'étais Fantasmette plus que jamais.

Une croisière en cuirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant