J'ouvre le petit coffre de bois laqué, qui repose au-dessus des tiroirs. Il contient une bague - la bague -, ainsi qu'une petite pochette de satin rouge, délicatement nouée d'un ruban noir et or que j'ôte avec soin. Je retourne la petite poche, et considère les bijoux qui viennent de glisser dans ma main : des boucles d'oreille.
Les boucles sont de petits diamants, assez discrets - vrais, faux, je n'en ai pas la moindre idée. Tant mieux : je n'ai jamais supporté les pendentifs. Quant aux créoles, c'est mon cauchemar.La bague glisse sans peine sur mon annulaire gauche. Elle est ornée d'une verroterie - rouge, bien sûr - aussi grosse que mon doigt, autour de laquelle sont enchâssés de petits brillants. J'aime bien, même si l'ensemble est un peu trop massif à mon goût. Là n'est pas la question, de toute façon, car ce bijou est, avant tout, un accessoire de mon nouveau travail... je glisse un ongle de ma main droite sous l'énorme brillant ; du bout de mon index, je cherche puis sens enfin le contact du minuscule bouton. Un appui, long : la pierre passe du rouge au jaune, comme par magie. La différence est subtile, mais suffisamment perceptible pour ne prêter à aucune ambiguïté. Le vert fonctionne, lui aussi - parfait : sans attendre, je ramène le bijou à son rouge initial, et si je le pouvais, je le bloquerais dans cette position.
Trois semaines après ma visite chez Evita, je passais de nouveau le porche de l'agence. Seule, cette fois : Sarah était en mission, et je n'avais pas appelé Alex.
- Bon ! Dis-moi Mélodie, tu aimes le cuir ? me demanda Sophie-Jeanne. En porter, je veux dire... Pas d'allergies, de phobies... ?
Je la regardai avec des yeux ronds :
- Non, non... enfin, oui : j'aime bien. Je ne sais pas... J'ai une jupe, que j'aime bien. Mais je ne crois pas que c'est du vrai cuir. Mais ça y ressemble.
J'aurais préféré qu'elle m'énerve un peu, comme la dernière fois. Elle poursuivit, en me demandant si j'aimais la mer, le soleil, les bateaux, puis si j'avais bien assimilé tous les codes d'Evita, si des questions me trottaient en tête au sujet des devoirs d'une agente.
Après qu'elle eut fait de son mieux pour me mettre à l'aise, Sophie-Jeanne entra enfin dans le vif du sujet :- Il t'aime beaucoup, dis-donc. Il m'a exposé son programme, et je commence à me demander si c'est un rêve ou un travail, qu'il nous propose là.
Je souris, gênée. Elle reprit :
- Pour toi, ça va être une partie de plaisir. Enfin, sans jeu de mot... Un scénario idéal pour un baptême du feu, en tout cas.
- Et... en quoi consiste ce scénario ? demandai-je, pas rassurée du tout.
- Un jeu. Délicieux, d'ailleurs : presque un rêve de petite fille. Une... balade avec lui - je ne t'en dis pas plus -, avec un unique impératif à respecter.
- ...lequel ?
- C'est lui qui t'habillera. Ou plutôt, c'est lui qui décidera de ce que tu portes, mais c'est toi qui t'habilleras. Lui ne te touchera pas, à moins que toi, bien sûr, tu en décides autrement.
Il me fallut un moment pour tourner cette information dans ma tête.
- Et... si je n'aime pas ce qu'il me propose ?
Madame Mim me regarda, estomaquée.
- Comment ?! Mais tu vas aimer ce qu'il te propose, tout ce qu'il te propose, évidemment ! La question ne se pose même pas ! Le jour où il invitera une princesse dans le but de l'épouser, peut-être, mais là, c'est à nous, qu'il s'adresse, à l'agence ! On fait quoi, ici, d'après toi ? Alex ne t'a rien enseigné ? Vous avez parlé, tous les deux, oui ?
Je me sentis idiote d'avoir posé cette question. Il y en aurait eu mille autres, plus perspicaces, pour aider un peu à débrouiller le flou qui régnait dans ma tête. Et voilà que j'avais choisie celle qui était la plus à même de faire paniquer Madame Mim. Du coup, elle embraya sur un interrogatoire en bonne et due forme pour vérifier mes connaissances des protocoles de l'agence. Et au passage, éprouver un peu la valeur de mon engagement.
Cette partie se déroula bien : je n'avais guère révisé avec Alex, mais Sarah m'avait bien briefée, et tout ce qu'elle avait pu me raconter par le passé m'avait suffisamment familiarisée avec les valeurs et protocoles de l'agence.
Lorsque Madame Mim en vint à la question des contacts avec le client, elle me donna enfin une information qui allait, sinon orienter mon choix, au moins motiver mon absence de refus :- Pas de contacts demandés par ce contrat, dit-elle. C'est clair pour toi ?
- Il n'aura pas le droit de me toucher. Me tenir la main, à la rigueur, ou des contacts simples comme pourrait se le permettre un inconn...
- Exactement. Toi tu pourras changer cela si tu le souhaites, s'il met des codes à ta disposition, ou si tu le lui indiques par des gestuelles ou des postures. Alex t'a bien expliqué cela ? Tu vois bien les trois niveaux ?
- Rouge, pas de contacts, jaune, j'accepte d'être touchée...
- Touchée où ?
- ...partout. Mais...pas à l'intérieur, répondis-je en m'efforçant de me montrer à l'aise et déterminée.
- Oui, pas de pénétration intime. Mais bon, un index qui glisse dans la bouche, ça peut arriver, dans ces moments-là, il ne faut pas paniquer, hein. Donc, rouge, jaune, et... ?
- Vert, pour signifier que j'en veux plus.
- On croirait entendre Sarah ! fit Madame Mim d'un air dépité. Ce vert-là, c'est le vert des princesses ! Ça met la pression au contrat, et ça lui fait perdre ses moyens ! Non, non, non ! Le vert d'une agente, ça doit signifier : "j'adore ce que vous me faites, tellement, que si vous avez envie d'en faire plus, je ne pourrai que me laisser faire ! C'est vous qui voyez, pas moi ! C'est peut-être mal, ce que je fais en passant au vert, mais moi, pauvre oie blanche, je m'en remets tout à vous !" C'est clair ?
Je ne pus m'empêcher de rire à cette tirade. Mim me toisait en attendant ma réponse.
- Très clair, Mada... clair, oui. Mais ça arrive vraiment, qu'une agente utilise elle-même ces codes, et choisisse d'aller plus loin ? Déjà, demander pas de contact, de la part du client, c'est biz...
- Du contrat ! Oui, ça arrive, Mademoiselle ! Et si tu veux tout savoir, sans contact, c'est moins onéreux pour le contrat. Et ça te rapporte moins. Ça peut aussi inciter le contrat à se montrer particulièrement agréable envers toi, dans l'espoir que tu lui accordes plus. Sans frais. Et ça, c'est bien pour tout le monde : même si nous y perdons un peu au change, c'est une façon de plus d'assurer la sécurité de nos agents, et leur bien-être. Parce que nous nous soucions de ça, figure-toi ! Beaucoup !
Un contrat sans contact... c'est comme si l'agence, et le grec, m'offraient de participer à un essai gratuit, sans risque. Sarah m'avait parlé d'un de ses contrats sans contact, où elle avait dû danser pendant une heure devant un client qui se masturbait en chantonnant, mais je n'imaginais pas Ulysse capable de ça. Je me voyais plutôt devoir défiler devant lui en petite tenue, puisque sa seule demande semblait concernait l'habillement. Un frisson me traversa ; Madame Mim l'interrompit d'une autre question :
- Et ces codes, tu peux les utiliser quand ?
- À tout moment, récitai-je.
- ...mais ?
- ...mais il ne faut pas prendre le cli - le contrat pour une girouette : quand on change de code, sauf incident, on le garde un moment. Une heure, peut-être deux, ou en tout cas, on n'en change pas en pleine... action.
- Tu comprends bien ça, oui ? Si tu changes d'avis en cours de route, tu peux à la rigueur le repousser doucement, gentiment, avec tes mains ou ton corps. Mais tu ne lui exhibes pas un changement de code d'un seul coup ; le contrat n'est pas un robot que tu télécommandes ! C'est clair ?
- Très clair, oui.
Je trouvais qu'elle insistait beaucoup, et inutilement, sur cette histoire de codes. Mais en y pensant aujourd'hui, sachant qu'elle connaissait très bien Ulysse, elle s'attendait fortement à ce que je puisse y avoir recours. Elle se souciait donc d'éviter le désastre.
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Une croisière en cuir
AdventureJ'ai ouvert le long zip métallique de la robe. Celui-ci descendait jusqu'au milieu de mes fesses : j'engageai mes pieds joints dans l'ouverture pour glisser mon corps dans le cuir, une fine doublure faisant son maigre office de barrage entre la peau...