25. Scintillante

354 5 0
                                    

Comment ce contrat, qui n'octroyait à Ulysse que des pouvoirs très limités, a-t-il pu me mener à une situation pareille, je me le demande encore... Mais c'est ça, Evita, et je crois mieux mesurer, maintenant, ce qu'est vraiment une fantasmonaute... En cela, ce que Madame Mim souhaitait me voir étudier par avance, à travers les graves conseils d'Alex, n'était pas anodin.

Il m'a fallu interrompre ma rédaction un instant, et je dois maintenant la reprendre en décalé. Continuer le récit de mon doux calvaire du matin, où je me suis vue passive, manipulée, soumise, obéissant à tout ce qui m'était demandé... narrer cela, alors que cet après-midi, maintenant, c'est l'exact contraire que je vis !

Ce maquillage somptueux, ces bijoux éclatants que je porte, mes cheveux, impeccables... tout contribue à me donner une assurance que je ne me connaissais pas.

Il m'aura bien fallu une petite heure pour apprivoiser ces talons vertigineux, qui emprisonnent mes pieds et me font des jambes de rêve. Quinze centimètres d'assurance, et pas la moindre gêne pour diminuer ce chiffre : après ce que j'ai vécu ce matin, comment pourrais-je éprouver de la honte à simplement porter des talons, aussi dorés soient-ils ?

Cet après-midi, je suis toute d'or et d'argent vêtue ; je brille de mille feux.
Ma préparation, après la douche, a pris un temps certain : elle m'aura permis de me calmer, de tirer un trait sur l'humiliation de cette matinée, et surtout, de ravaler cette décision que j'avais prise de tout plaquer, au point de rentrer à la nage s'il le fallait.

Posées sur la commode, j'avais trouvé des instructions de maquillage et de coiffure. Celles-ci se référaient à des numéros de page de ces livres qui garnissaient les étagères de ma chambre : un brushing, un maquillage de boîte de nuit... j'ai suivi les modes d'emploi presque à la lettre, je me suis battue un peu avec la colle des faux-cils, j'ai découvert les merveilles des fers à boucler de luxe, et une petite heure plus tard, le miroir me renvoyait l'image d'une inconnue. Une inconnue aux griffes éclatantes, par les effets de ce diable de vernis avec lequel j'ai transformé tous mes ongles en or.

L'or, ma boîte à bijoux s'en révéla garnie elle aussi : ce bracelet large et fin, très ajusté, qui orne maintenant mon poignet gauche d'une tresse de fils d'or. Ces bagues dorées, ces petites feuilles d'or, accrochées à mes oreilles, et puis la pierre de pas touche, cette fois enchâssée dans une carapace de métal précieux, flashant sa lumière rouge juste au-dessus de ma poitrine, comme pour mieux y attirer tous les regards...

Le petit short satiné en stretch, doré bien sûr, m'a un peu inquiétée : il est si serré que j'ai dû improviser une danse du ventre pour enfin parvenir à lui faire épouser les courbes de mes hanches.
Short ou petite culotte, difficile à dire... ce qui me fait pencher pour un short, c'est la trop généreuse rosette de métal qui orne la naissance de ma taille, là, très bas sous mon nombril : elle est composée d'un or incrusté de petites pierres brillantes, et ne semble pas du tout conçue pour me laisser enfiler quoi que ce soit par-dessus.

Les escarpins, eux, sont très hauts, mais ils demeurent confortables, par le fait qu'ils laissent libres mes doigts de pieds - et au passage, me permettent d'exhiber mon vernis. Une petite bride de cheville les maintient bien en place, me facilitant la marche. Des pierres scintillantes assorties au reste de ma tenue garnissent les lanières, et même la base de la légère plate-forme qui me fait office de semelle.
Le soutien-gorge, ça a été un choc : la coupe pigeonnante, la matière, brillante, la couleur, dorée bien sûr, mais surtout, l'efficacité de son effet push-up... Ma poitrine modeste s'est métamorphosée en un clin d'oeil, et je suis devenue Fantasmette aux grosses doudounes ; Fantasmette la fatale - vous voyez mes seins ? Ben c'est moi, là, au-dessus !

Dans la penderie, j'ai trouvé ce large kimono argenté à manches courtes et grande capuche, en vrai satin, tout doux, chaud et très fin. Ainsi que cette photo, destinée à m'indiquer comment je devrai porter la capuche ; en l'accrochant discrètement à mes cheveux de façon à ne couvrir de mon magnifique brushing que la partie arrière de mon crâne, pour laisser le reste de l'étoffe tomber sur mon dos et se plisser en une généreuse vague de satin.

Ce kimono n'a qu'un défaut, mais il est de taille : il y manque la ceinture. Ou les boutons. Fidèle aux termes de mon contrat, je me retrouve donc à devoir le laisser pendre et vivre sa vie depuis que je l'ai enfilé...

Lorsqu'ainsi parée je suis allée retrouver Ulysse sur le pont, annonçant ma présence du tac ! tac ! de mes talons, j'ai eu un peu de mal à assumer ce fichu peignoir, qui dévoilait sa large ligne verticale sur mon torse. Quand le grec s'est retourné, j'ai clairement vu son regard passer de mes yeux directement à mon pendentif. De là il est doucement descendu, puis s'est attardé un moment entre mes seins, avant de tomber sur le noeud métallique étincelant de mon short.

Ulysse a souri, il s'est approché pour me faire la bise... nous venions de nous quitter, mais j'ai lu dans ce geste une sorte de : "sans rancune, on sait qu'un contrat nous lie, mais ce bisou, il est complice, hors contrat."
Seulement, voilà : j'ai posé mon bras sur son épaule pour lui tendre ma joue, et là, mon sein droit gainé d'or a trouvé son chemin hors du kimono.
Réfrénant mon instinct de le recouvrir, je me suis contentée de baisser le bras en avançant mon épaule, espérant que les choses se remettraient en place, mais non : mon fichu sein, grossi par ce démoniaque push-up, maintenait le pan de satin bien à l'écart en le repoussant sous mon aisselle.

Inspiré par l'exemple de son camarade, mon sein gauche allait rapidement effectuer une manoeuvre similaire, ne me laissant d'autre choix que d'assumer cette trop fière poitrine... en attendant la prochaine occasion qui me serait donnée de me pencher mine de rien en avant afin de refermer un peu le rideau sur mon corps.
Jusqu'au prochain geste malheureux, qui le rouvrirait rapidement.

Ce petit jeu dure depuis le repas, et il n'a pas cessé : Ulysse vient de m'appeler à l'aide sur sa maquette, et lorsque j'ai dû écarter les bras pour tenir par ses extrémités la tige de bois qu'il s'apprêtait à peindre, mes deux seins ont jailli du kimono, comme ça, d'un coup, comme pour lui crier : "Haut les mains ! La bourse ou la vie !"

Il a regardé, bien sûr, mais d'un oeil de victime, et c'est en cela que ma tenue actuelle diffère tant de celle du matin, qui me soumettait à lui : ainsi parée, j'ai un pouvoir. Je n'y suis pas du tout habituée, mais oui, je peux sentir l'emprise que j'exerce sur mon... client.
Alors, depuis tout à l'heure, j'expérimente cette emprise. Tout doucement, à petits pas, façon fantasmonaute débutante. Je découvre.
Un geste de moi, et son regard trahit sa pensée, en la devançant.
Lui s'efforce de contenir cette faiblesse si masculine. Moi je m'entraîne à la dompter. Il m'a transformée en objet de désir : je me surprend à jouer de ce magnétisme dont il m'a dotée. Du bout de mes griffes dorées, je farfouille dans ma petite pochette, posée près des violettes... j'y attrape mon tube de rouge à lèvres, pour me faire un raccord maquillage en me regardant dans mon mini miroir ; ses yeux se lèvent, suivent brièvement le moindre de mes gestes, hop !, puis voilà : il détourne le regard. Dans ces moments, je l'imagine se maudire, comme moi je me suis maudite ce matin, à voir mon propre corps me trahir.
Je ne me reconnais pas - même si celui-ci demeure timide, je m'étonne moi-même d'oser un tel jeu.

On m'a parfois reproché mon caractère quelque peu rancunier... chaque fois, j'ai démenti, mais là, force est de l'admettre : je me venge un peu.

Je viens de me rasseoir, et d'épater Sarah : en prenant place à ma petite table de verre, j'ai volontairement fait s'écarter les pans de mon kimono, et projeté ma poitrine de l'avant. Elle a tout vu, elle a même fait un "oh" silencieux de sa bouche, un "oh" à l'accent anglais. Lui fait mine de se concentrer sur la baguette, dont il vient de rater la peinture parce que mes doudounes dorées le troublaient, lorsque je la tenais.
Je peux sentir son envie de lever les yeux vers moi, là, maintenant, et son combat intérieur, tandis qu'étrangement, son désir trop fort le submerge, et fait barrage à l'éventualité de me regarder - lui qui en a pourtant eu tout le loisir ce matin, au point, j'en suis sûre, d'en abuser.

Je m'apprête à reprendre mon récit, tout en me disant : "J'ai un pouvoir ! Je suis Super Fantasmette !", mais une petite icone m'arrête dans mon élan : un email vient d'arriver.

C'est elle, c'est Sarah.

"'Truth' ? Salope ! Tu vas me le payer, et tout de suite. Raconte, le yacht. Je veux ce dont tu as le plus honte, dans le détail."

Une croisière en cuirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant