Je suis restée un moment à regarder les petites fleurs, mauves et violettes, qu'Ulysse venait de déposer sur mon bureau. Cet homme pouvait donc tout acheter, me disais-je en considérant ce qui était probablement la moins onéreuse de ses attentions à mon égard.
Dans leur charmant petit pot de verre, les fleurs protestaient : "non, mais nous, on est heureuses d'être là, hein !"Par télépathie florale, je leur répondis : "mais moi aussi, moi aussi ! Là n'est pas la question ! Le problème, c'est que vous et moi, on a été achetées, achetées !"
- Tu sais, c'est des fleurs que j'ai plantées moi-même. J'ai une petite serre, chez moi.
Merde ! Ulysse venait de lancer ça, comme ça, de loin... J'ai regardé les fleurs, elles semblaient soudain glousser entre elles, à la manière d'Alex et Sarah, et un instant, je me suis demandée si elles riaient du fait que moi, j'étais bel et bien achetée, ou si elles se moquaient tout simplement de ma télépathie pourrie, qui avait atteint le grec par erreur.
Ça m'a un peu énervée. J'ai fait pivoter la chaise pour montrer au grec mon poitrail de cuir, et froidement, agressivement, j'ai dit :- Ah oui ? Et les fleurs sont venues de chez toi en volant, cette nuit ?
- Oui. Et en nageant. Lorsque j'ai appris que tu semblais aimer les fleurs, et que tu t'étais prise d'affection pour un petit bouquet de violettes, j'ai tout de suite pensé à celles-là, dont je m'étais occupé moi-même. J'ai aussi réalisé qu'il n'y avait aucune fleur, aucune plante, sur ce bateau, alors j'en ai fait venir. ...mais pas d'aussi loin, celles-là.
Il m'avait répondu ça timidement. Sans décoller le nez des arbustes que j'avais peints, qu'il examinait avec une attention simulée... il s'excusait presque de la débauche de moyens dont il venait de faire preuve : je compris qu'il disait vrai. Je regardai les fleurs : "non, mais t'inquiète : on a voyagé en première classe, ça a été", me lancèrent-elles.
Il y eut un moment de silence. Sur les insistances de Madame Mim, j'allais le briser d'un "il fait beau, hein ?", mais Ulysse me devança :
- Je sais : c'est débile. Ce monde tourne à l'envers. Hier, je me levais à cinq heures du matin pour gagner ma croûte, aujourd'hui, je peux me payer n'importe quoi, et dépenser sur un coup de fil, pour des fleurs, ce qu'il me fallait alors un an de travail pour gagner.
"...et toi Mélodie, tu gagnes ici, en une journée - en deux jours, pardon -, l'équivalent de ton ancien salaire mensuel, ne l'oublie pas !", ajouta Madame Mim, qui mine de rien prélevait tout de même cinquante pour cent de mes gages au nom de l'Agence.
Le grec poursuivit, sans attendre mon commentaire :
- ...Il m'a fallu du temps pour admettre ça, et m'y habituer. Au début, je ne savais pas du tout quoi faire de cette fortune. Je ne sais toujours pas, remarque. Mais si hier je faisais une folie en m'offrant une guitare qui me coûtait un mois de salaire, aujourd'hui, un caprice équivalent prend des proportions délirantes, tu t'en doutes.
Il sourit. Je souris, il reprit :
- Du coup, dans une certaine mesure, je fais comme avant : je me lève, je travaille, j'apprends, et je dépense à peu près tout ce que je gagne. Je crois que ça m'évite de devenir dingue, parce que cette vie, c'est pas ma vie. Mon monde, c'est plutôt toi, tes amis, qui étaient à cette fête... avec toi, tu vois, je me suis senti à l'aise. Et puis, tu es belle, c'est un plaisir de te voir, là, sur ce bateau...
Là, je me suis surtout sentie démunie. J'ai baissé la tête, bêtement, au lieu de la redresser fièrement. Une odeur de cuir a envahi mes narines.
Lui a continué sans s'interrompre :
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Une croisière en cuir
MaceraJ'ai ouvert le long zip métallique de la robe. Celui-ci descendait jusqu'au milieu de mes fesses : j'engageai mes pieds joints dans l'ouverture pour glisser mon corps dans le cuir, une fine doublure faisant son maigre office de barrage entre la peau...