17. La passion selon Ulysse

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Nous atteignons rapidement une partie du bateau qui m'était inconnue, complètement à l'avant du navire. Ma main toujours portée par la sienne, nous passons par une ouverture qui nous conduit dans une grande salle vitrée faisant face à la mer. Son emplacement ferait normalement de cette pièce l'endroit le plus prisé du yacht, mais celle-ci a été convertie en une sorte d'immense atelier de bricolage : je devine la décoration moderne, ensevelie sous le bric-à-brac.

Une grande table rectangulaire occupe le centre de la pièce. Je ne peux voir ce qu'elle contient, car l'ensemble est recouvert d'un immense drap blanc.
Ulysse a l'air aussi heureux et nerveux qu'un enfant qui va montrer sa dernière invention :

- Tiens, place-toi ici, voilà. Attrape le draps de chaque côté, on va le mettre là. À trois... Un, deux...

Ensemble, nous découvrons un gigantesque décor de poupées, qui semble fixé sur la table. Sur l'instant, je pense à ces grandes maquettes de paysages que font les passionnés de trains miniatures, mais non, il n'y a pas de rails.
Au deuxième abord, je remarque un jeu étonnant réalisé avec les proportions : là, un groupe de maisons campagnardes, réalisé dans les moindres détails. Autour, un chemin, un petit bois, une rivière, je crois, puis plus loin, un village, celui-ci réduit à une échelle bien inférieure à celle des maisons.
C'est un paysage... impressionniste - je ne suis pas sûre du terme, mais c'est ce que sa vision m'évoque : les éléments importants sont grossis, d'autres sont réduits, les échelles de chaque détails paraissent soumises à des intérêts autres que le souci de réalisme.

D'autres photos imprimées traînent ça et là sur le décor, qui représentent des vues du ciel de ce petit bois, un plan du minuscule village, ici une vieille photo prise par une fénêtre ... pour ce que je peux en juger, l'ensemble est incroyablement réaliste.
Lorsque je relève mon visage pour croiser le regard de mon grec, je remarque enfin que les murs de la pièce, ainsi que la porte du fond et certaines vitres, sont tapissés de photos, de notes manuscrites, de croquis... tout ici semble consacré à la reproduction de cet étrange paysage, jusqu'à cette lampe, qui s'allume soudain sur la scène comme pour y appliquer le soleil, mais peine à lutter contre la lumière du jour dans laquelle la salle baigne déjà.
Le trompe-l'oeil des perspectives est incroyable : je reste sans voix, ébahie par les détails du paysage fantastique qui s'offre à moi.

- Attends, je vais nous chercher des cafés - tu veux ? Fais comme chez toi, je reviens !

Je profite de l'absence d'Ulysse pour aller me regarder dans la petite partie découverte d'un miroir. Entre les croquis et photos qui y sont scotchés, j'aperçois mon satin rose, et ma chevelure gentiment hirsute.
Ça pourrait être pire, je me trouve un look bobo négligée, que je n'aurais sûrement pas osé, mais qui me va plutôt bien. En examinant mon visage, je m'amuse à murmurer : "fan-tas-mette !"
Je souris, mais les excès de la nuit me reviennent à l'esprit. Je pince rapidement l'entrejambe de mon boxer - ça va, il est sec. Je sens mes doigts : ça va. Tiens, c'est quoi, cette machine ?
Une scie, peut-être. Je parcoure l'atelier, je reconnais un petit tour, il me parait minuscule, au milieu des copeaux et autres chutes de bois : j'aimerais bien l'utiliser ! Plus loin, des peintures, des machines électroniques, des gros outils, des plus petits, certains bien rangés, d'autre laissés là où ils ont été utilisés.

- Tiens, je te le pose là.

Ulysse et moi nous asseyons face à face, sur de hauts tabourets ronds à roulettes disposés le long d'un comptoir de travail. Je place mes jambes jointes sur les cale-pieds de la chaise ; la soie rose accompagne le mouvement pour se laisser glisser, du haut de mes cuisses vers la base de mon ventre, soulignant ce dernier d'un joli pli en diagonal.
Ulysse a le regard baissé, je me demande si c'est ce pli, qu'il regarde, ou mon boxer. Ou rien. Enfin, ses yeux se relèvent, pétillants. Il me dévisage, dans l'attente de ce que je vais dire.

Une croisière en cuirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant