18. Le chat et la souris

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Je viens d'archiver Mark. En commençant ce récit, je m'étais promis de ne pas parler de lui, et voilà qu'il est l'objet de ma première phrase.
Ulysse travaille activement sur sa maquette, mais il s'arrange pour toujours me garder dans son champ de vision. Je peux sentir ses regards sur moi... il ne se passe probablement pas une minute sans que ses yeux se lèvent. Parfois, c'est accompagné d'un sourire. Parfois, je lui retourne ce sourire. D'autres fois, je lisse le cuir de ma robe, ou bien, comme là, je décolle légèrement mes fesses de mon siège, pour tirer le bas du vêtement sur mes cuisses, et couvrir ma nudité autant qu'il m'est permis de le faire.

Comment peut-on avoir accès à internet au beau milieu de la mer, c'est un mystère pour moi. La surprise passée, mon premier réflexe a été de vérifier mes courriers électroniques. Pas grand chose, puisque mes amis les plus proches me savent en mission, et me croient impossible à joindre...
J'ai donc trié l'inutile, et ceci fait, il ne restait plus dans ma boîte de réception que les derniers messages de Mark, le plus récent datant déjà de quelques mois. Des courriers lus et relus vingt fois, que j'ai gardés là par faiblesse, en une pathétique tentative de ne pas quitter Mark complètement, alors que nos derniers échanges n'avaient plus guère que la fadeur de banalités échangées entre deux étrangers.
Là, au milieu de la mer, j'ai revu ces messages sur le bel écran tout neuf, je me suis dit : "Allez ! Je les efface, c'est fini !", ma main a fait survoler le bouton Supprimer au curseur de la souris, et c'est en passant sur l'option Archiver que mon index s'est finalement décidé à cliquer.

Je serre mes cuisses. Je sens le cuir. J'ai archivé Mark - la page est tournée. Elle se sera tournée sur la mer, en ce jour de printemps où je viens d'accepter de faire pour Ulysse ce qu'un beau jour d'hiver j'avais refusé à mon amoureux.
C'était un quatorze février, la Saint Valentin, en Angleterre comme partout ailleurs...

Je m'étais acheté une petite robe, spécialement pour cette occasion, parce qu'il me l'avait annoncé à l'avance : nous avions une table réservée dans un restaurant très chic.
Je me demandais - c'est idiot, je sais - s'il n'allait pas me demander en mariage. Quand bien-même il n'y avait eu aucun signe annonciateur de cela, je ne pouvais chasser cette idée de mon esprit.

Le couple chez lequel j'officiais en tant que fille au pair ne souscrivait guère à l'idée de la Saint-Valentin : pour eux, c'était une soirée comme une autre, qu'ils allaient passer à la maison. Je n'avais donc pas à garder les enfants ce soir-là, j'étais libre. La mère se réjouissait pour moi de cette sortie, elle m'avait aidée avec mon maquillage, sous le regard admiratif de l'aînée de ses filles.
Mark est monté dans ma chambre - il s'était fait beau, à sa manière, comme le font les anglais, et m'avait qualifiée de Gorgeous. Quelques instants plus tard, par un jeu subtil d'inuendos qu'il me fallut un moment à décrypter, je compris qu'il m'invitait à laisser ma culotte au vestiaire pour la soirée.

L'idée me fit agréablement frissonner, mais je me dégonflai, et repoussai cette option à plus tard. Je fis un bref passage aux toilettes, en ressortis toujours culottée, et à son "done?", je répondis d'un sourire : "you'll see."

Je m'étais dit que je l'ôterai plus tard, au restaurant... je n'en fis rien. Lui souriait comme si c'était fait. Deux ou trois fois, pris de doute, il me demanda si je l'avais bel et bien fait, si j'étais cul-nu sous ma jupe... je commence à le comprendre aujourd'hui ; au lieu de ces questions, j'aurais sûrement voulu qu'il vérifie lui-même, puis qu'il m'ordonne de la lui remettre en main, là, tout de suite, sur la table du restaurant.

Mark ne m'a, évidemment, jamais demandée en mariage.

Le grec me fait un sourire. Lui sait que sous ma robe je n'ai pas de culotte.

Je serre mes cuisses de plus belle. Aucun risque qu'il puisse voir quoi que ce soit entre mes jambes, non, c'est juste que ces regards qui m'objetisent ont tendance à m'envoyer des frissons, et j'ai très peur que l'épisode de ce matin, avec mes seins, se reproduise.
D'autant plus qu'Ulysse ne m'a pas plus permis de soutien-gorge qu'il ne m'a autorisée de culotte.
Ne pense pas en ces termes, Mélie, surtout pas : c'est pas bon pour ce que tu as, là ! Concentre-toi sur ton ordinateur, sur le récit que tu entames...

Mes seins qui se raidissent ainsi, sans crier gare, cela m'est déjà arrivé quelques fois par le passé. Mais jamais dans des circonstances comme celles de ce matin, où je ne pouvais guère cacher mon émoi, et surtout, jamais dans un contexte qui ne me laissait aucune chance de me calmer, sinon par la fuite.
Plus la souris courre, plus le chat se lèche les babines. La course, c'est l'apéritif, c'est ça ? C'est pour ça, que le chat joue avec la souris, au lieu de la bouffer tout de suite ?
Frisson.
Merde. Bon, mon récit, donc...

...Donc, ce matin, j'ai regagné ma chambre en courant, tout en tenant mes seins pour les empêcher de se pétrifier de nouveau. Sitôt enfermée, j'ai ôté mes petites papattes de résille et de soie rose, et je les ai vite balancées dans l'oubliette. Le pyjama a suivi, puis le boxer, qui, pour ce que j'ai pu en sentir de mes doigts enfin libres, était plutôt sec (je me suis interdit d'aller y regarder de trop près).
J'ai considéré mes seins un instant : du regard, je les sentais chauds, souples et doux, je devinais les sensations que j'allais éprouver si...
Dans un effort surhumain, je me suis interdit de les toucher.

J'ai couru vers la douche.
Puis je me suis dit qu'il me fallait d'abord un peu reprendre mes esprits.
J'avais besoin de m'étendre un instant : je suis allée me laisser tomber sur le lit, dans un nuage de satin noir à peine froissé.
Étendue sur le dos, j'ai fermé les paupières afin de mieux faire le vide... enfin, j'ai senti que mon excitation passait, que mon corps se calmait : l'alerte était passée. Et mes défenses tombées.
C'est alors que j'ai senti deux paires de doigts se saisir de mes tétons - mes propres doigts, qui me trahissaient une nouvelle fois, et agissaient de leur propre chef, avec une expertise redoutable.

Il m'a bien fallu un quart d'heure, pour m'arracher à leur emprise. Un quart d'heure après lequel je me sentais bien avancée...

Heureusement, la douche a eu sur moi un effet salvateur, et c'est une Mélodie toute fraîche, pleine de bonnes résolutions, qui en est ressortie. La Fantasmette nouvelle, fermement décidée à remplir son contrat à la lettre, et à ne plus succomber aux démons que cette mission pouvait réveiller en elle.
Au fond de mon esprit, j'éprouvais cependant deux inquiétudes, que je m'efforçais d'étouffer avec des coussins imaginaires...

Ma première inquiétude concernait ce qui m'attendait dans le dressing. La seconde était liée au fait que dans mes bonnes résolutions, j'avais soigneusement omis de me promettre de ne plus toucher ma poitrine.

La seule manière de taire ma première appréhension était simple : crever l'abcès en allant tout de suite m'habiller, avant que mon coeur ne se mette à battre la chamade.
J'aurais aimé me passer sur le corps de ces crèmes hydratantes découvertes la veille, mais étrangement, mon contrat stipule bien qu'en journée, cela m'est interdit, tout comme les parfums et autres lotions pour le corps, en dehors, bien sûr, de ceux qui me seraient expressément imposés. Il ne m'est permis que d'hydrater un peu mon visage - sûr qu'une fantasmonaute au visage grêlé, ça gâche un peu le paysage.

J'ai donc pris une énorme bouffée d'air, et je suis partie vers la garde-robe...

Pas d'enveloppe sur la commode, aucune consigne de coiffure ou de maquillage. Le coffret à bijoux vide, pas de pierre colorée pour indiquer le "touche ou pas touche", ce qui signifie que l'on reste sur le dernier message de "pas touche", bien.

Grande bouffée d'air, j'ouvre le premier tiroir : il est vide. Je souffle, je tire le deuxième : vide. Le troisième : vide. Quatrième, cinquième... tous vides, et là, mon coeur fait papapoum.

Je tire la porte de la penderie comme une brute : ouf !
Une robe. Jolie, en plus. Une robe en cuir, à première vue plutôt courte, dont l'odeur a patiemment envahi le meuble pour mieux me sauter aux narines.
Je la sors sur son cintre... oui, elle est superbe. Une magnifique tenue de Fantasmette.

...à porter sans rien dessous ?  

Une croisière en cuirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant