Les gens du ménage sont passés - ils se sont faits discrets, cette fois, et leur vedette est repartie sans qu'ils soient montés sur le pont.
Le soleil va bientôt toucher la ligne de la mer, là bas. Deux heures viennent de s'écouler. Ou peut-être une, ou trois, je ne sais pas... Pas plus que je ne sais si j'oserai envoyer à Sarah ce que je viens de lui écrire.Merde...
C'est sûr, j'aurai dû répondre dare. Ce n'était pas franc-jeu de ma part, et elle a trouvé la bonne réponse à mon truth - la pire, bien sûr, mais la seule qui me permettait de recouvrer mon honneur, l'honneur sacré qui nous lie, celui du Truc or Dare.
Alors j'ai raconté, tout, toute ma matinée, en me disant que je ne l'enverrai pas, que ni elle ni personne ne lirai jamais cela.
Comme écrire prend du temps, j'ai recopié en guise d'introduction ce que j'avais déjà rédigé ici sur mon habillage de ce matin, et la manière dont, aveugle, je me suis laissée cueillir dans mon lit par Ulysse. J'ai changé quelques phrases par-ci par là, pour Sarah, afin de correctement satisfaire à sa demande.
Puis j'ai rédigé la suite à son attention, continuant en français, au présent, afin de coller à la première partie. Et puisqu'écrire prend du temps, je recopie ici l'intégralité de mon brouillon, tel que je n'oserai pas le lui renvoyer - je l'adapterai plus tard au style de mon journal -, et je pars retrouver Ulysse, qui m'attend pour prendre l'apéritif sur le pont.*
Confiance, tu parles... nous venons de quitter ma chambre, je progresse à petits pas, mes petits chaussons de danse devinent le coin du petit tapis du petit salon, j'avance, parce que les mains sur ma taille m'y poussent, mais j'ai peur... prisonnière du noir, je suis enfermée en moi-même, et c'est terrible : le monde est devenu tout petit, et tout ce que mon imagination peut voir, au-delà du noir, est incroyablement gigantesque, sans fin.
J'avance, bêtement... et s'il était fou ? Un petit pas de plus... et si le suivant ne rencontrait rien, s'il me dirigeait tout droit dans cette piscine, soudain devenue trop grande pour moi ? Ou pire, dans l'océan, immense... plouf !, et puis, plus rien, plus de bateau, plus rien que l'eau, froide, et le noir.
Ulysse m'arrête, me dit d'attendre un instant, de ne pas bouger. Abandonnée, je m'envole dans le néant à l'instant où ses mains quittent ma taille. Les miennes restent agrippées l'une à l'autre, dans mon dos, stupidement prisonnières de ces menottes invisibles qu'il a fermées sur mes poignets.
Je l'entends bouger, là, sur ma droite, puis revenir. Je vogue dans les airs, soumise aux quatre vents, j'attends le retour du contact, j'espère ses mains sur mon corps, j'attends qu'il me touche, pour cesser de flotter dans ce vide qui me terrifie.Tu veux la vérité, Sarah... sache qu'elle me coûte, plus que tout ce que tu aurais pu me demander. Cette vérité, je vais te la servir. Mais sois sûre qu'un jour, elle te coûtera en retour...
La vérité, c'est que j'ai aimé être là, livrée à lui. Je me sentais terrorisée, oui, mais si cette horreur avait pris l'apparence d'un millier de minuscules bulles rouges, on les aurait vues entremêlées d'autant de bulles roses de plaisir explosant dans mon corps. Et nul n'aurait pu en chasser les unes sans expulser les autres.
La peur, et le plaisir... oui, j'ai appris quelque chose sur moi, ce matin ; une révélation fondamentale, que j'ai toujours refusé de voir... jusqu'à ce moment, où le grec m'a bandé les yeux.
La suite ?La suite... les bulles roses et les rouges m'envahissent, je sens le plaisir en moi, je le repousse comme je peux, et enfin, une paire de mains, larges, fortes, s'empare de moi, fronce le tissu sur ma taille, et la voix du grec, rassurante, me recommande de faire attention... une marche, deux marches, je monte prudemment, mais il se passe quelque chose. En moi, dans mon corps... il semble avoir changé de consistance... quelques marches de plus, et je comprends.
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Une croisière en cuir
AdventureJ'ai ouvert le long zip métallique de la robe. Celui-ci descendait jusqu'au milieu de mes fesses : j'engageai mes pieds joints dans l'ouverture pour glisser mon corps dans le cuir, une fine doublure faisant son maigre office de barrage entre la peau...