[Eldarya] Le Secret des Moraï

Chapitre 27 - La Fonte des Glaces

Nous avons couru toute la journée. Du moins, je devrais plutôt dire que Kairos et Malachite ont couru toute la journée. J'ai mal aux fesses à force d'avoir rebondi comme une demeurée sur l'épaule caillouteuse de mon Golem. Mais j'imagine que ce n'est rien comparé à la douleur que j'aurais eu aux jambes si j'avais dû sprinter moi-même sur une telle distance. J'étais loin de m'imaginer qu'un géant de pierres pouvait se déplacer aussi vite une fois son élan pris. Je sais bien qu'Ezarel n'a pas poussé son Volpionix à fond, mais quand bien même. On lui filait au train, au renard.

J'ai passé tout notre trajet à observer Ezarel. Imperturbable, concentré sur son chemin. Ses cheveux attachés haut volaient derrière lui et découvraient sa nuque. Des trois chefs de Garde, je pense que c'est bien lui le plus fin et svelte. C'est un Elfe après tout. A quoi d'autre aurais-je été supposée m'attendre ? Mais malgré cette frêle apparence, il cache une musculature certaine. Tenir la cadence au galop sur un Renard demande sans aucun doute un certain effort.

Je me souviens des personnes qui se fichaient de ma tronche quand j'expliquais que je pratiquais l'équitation en sport. Ils me rabaissaient en appuyant bien le fait que c'était le cheval qui faisait tout l'effort et que le cavalier n'avait qu'à laisser faire. Et bien c'est faux ! Archi faux même ! Il y a un gainage à conserver, si on ne veut pas se faire valdinguer comme une poupée. Il faut avoir de bonnes cuisses et de bons abducteurs si on souhaite avoir une assiette correcte et être prêt à palier à n'importe quel écart de conduite du canasson. Il faut être capable d'avoir une bonne poigne pour montrer à la monture qui dirige, mais être suffisamment doux pour ne pas le brusquer. A l'époque, je me consolais en me disant que ces personnes, de tout façon, ne connaissaient rien aux sports avec les animaux et que tous mes arguments ne servaient à rien. N'empêche que ! Ce ne sont qu'une bande d'imbéciles.

Et devant moi, Ezarel chevauche son Volpionix d'une telle aisance. Pourtant, bien que fluide, le mouvement du familier est très ample. Je n'ose imaginer la musculature qu'il faut avoir pour garder la main sur cette puissance sauvage ! Je découvre une nouvelle facette de l'alchimiste. Lui qui m'a l'air si réservé derrière son masque humoristique. Lui qui refuse qu'on ne l'approche trop près et qui reste enfermé des heures dans son laboratoire. Je ne l'imaginais pas galoper dans les plaines, les cheveux balayés par les vents... Il me fait penser à un de ces samouraï qu'on voit dans les livres d'histoire. Chevauchant, fiers et valeureux.

-Toi t'accrocher ! ronchonne Malachite, alors que je manque de me casser la figure.

  Ça m'apprendra à rêvasser sur le dos de cavalier de l'Elfe. Je me remets en place comme je peux pour m'assurer de ne pas perdre l'équilibre à nouveau, quand une brise tiède vient souffler sur la grande étendue d'herbe.

Depuis que nous avons quitté le Marais Sombre, le paysage a beaucoup changé. Après les quelques arbres qui subsistaient sur les collines, le paysage nous offre de l'herbe et des vallons à perte de vue. Une plaine immense. Les rayons du soleil déclinent déjà. Sous l'effet du crépuscule, cet océan de verdure me parait être une étendue en feu. C'est effrayant et captivant à la fois. J'ai l'impression que si je m'en approche trop, je pourrais me brûler.

Je ferme les yeux un instant pour savourer cet air chaud sur mon visage, quand je sens Malachite ralentir. Je m'apprête déjà à l'encourager à continuer pour ne pas nous laisser distancer, mais je me rends vite compte qu'Ezarel est déjà à l'arrêt.

-Que se passe-t-il ? m'enquis-je, inquiète. Kairos s'est blessé ?

Ezarel descend de sa monture et en défait la selle et les sacoches de cuir.

-Ce n'est peut-être pas le cas de ton Golem, mais Kairos a seulement besoin de repos, m'explique-t-il comme si j'étais la dernière des idiotes.

Il a couru toute la journée, avec très peu de pause, et la nuit point déjà le bout de son nez. Je me sens tellement bête de ne pas avoir réalisé avant de poser la question que je préfère ne pas relever le ton condescendant de l'Elfe. Je me sens honteuse, il a raison.