Chapitre 13 - Le Voile de la Réalité

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Nous restons là, accroupis dans les feuillages pendant un certain temps, abasourdis par ce qui se présente à nous. En plein milieu de la Forêt Profonde, là où la visibilité ne devrait pas excéder une quinzaine de mètres, s'étend un vaste cratère de terre et de roches mises à nues.

La forêt a été creusée sur plusieurs niveaux, probablement pour extraire les richesses du sol étape par étape. Des chemins inclinés parcourent les parois pour desservir les différents étages. Des structures de bois ont été installées sur les parties les plus abruptes de la falaise artificielle. Certaines sont dotées de poulies ou de palans pour faciliter le transport des ressources ou le déblaiement des gravats. Je remarque également de petites cavités parsemées le long des chemins. Des galeries qui semblent s'enfoncer profondément sous la surface. Que peut-il donc se passer, ici ?

Dans la carrière, de nombreuses créatures s'affairent un peu partout. Il y a un monde fou, là dedans ! Des sentiers ont clairement été dessinés pour relier les différentes zones entre elles. Des flambeaux immenses et des tours de guets sont positionnés à des endroits stratégiques. Croisements de chemin, abords de la falaise ou à l'approche des cavités. Je ne suis pas assez près et ma vue n'est pas suffisamment perçante pour discerner les traits des ouvriers. Ils ont l'air assez petits, maigrichons, leur peau terne et verdâtre m'indique qu'ils ne sont pas humains. Aucun doute là dessus. De longues oreilles partent en pointes avant de retomber un peu sous leur propre poids. Je ne leur vois pas de chevelure, et leurs grognements ne me mettent vraiment pas en confiance.

Je sais que c'est idiot à dire, mais même s'ils n'ont pas l'air extrêmement menaçant comme ça -nettement moins que les boggarts, j'entends- je n'irais pas leur taper la causette pour autant !

-Qu'est-ce que c'est ? interrogé-je mon chef de Garde.

-Des Koblins. Ces sales peaux vertes sont une infection ! Si tu as le malheur de taper dans le nid en pensant en exterminer une dizaine, tu en as des centaines qui te tombent sur le dos, m'explique-t-il, non sans une pointe de dégoût.

J'acquiesce en reportant mon attention sur le chantier en contrebas. Des Koblins, hein ? Des petites bêtes vicieuses qu'il vaut donc mieux éviter.

De notre cachette, nous avons une vue imprenable sur toutes les activités des ouvriers. Certains, munies de pioches, attaquent la roche pour en sortir des éclats colorés. D'autres poussent des chariots remplis de leur précieuse cargaison et les dirigent vers les galeries. Certains encore acheminent des troncs d'arbres fraîchement arrachés de notre forêt vers une zone de transformation quelconque.

Ce site de déboisement est on ne peut plus étrange. Des koblins extraient des ressources, soit. Mais dans quel but ? De plus l'exploitation est de taille ! Je m'inquiète de l'envergure des évènements...

-Que devons-nous faire ? me renseigné-je.

La réponse ne se fait pas de suite. Aussi, lorsque je lève les yeux vers mon chef, je remarque son expression tendue. Les sourcils froncés, les lèvres pincées, Nevra n'est pas face à une situation qu'on pourrait qualifier de "banale". J'en déduis qu'il n'aura pas forcément d'ordre précis à me donner. Aussi, il se redresse légèrement entre les feuillages, pose ses affaires en surveillant les alentours et s'installe confortablement. Quand il est à son aise, il perce un nouveau petit trou entre les feuilles et reprend son observation silencieuse.

-Ce qu'on fait ? me dit-il d'une voix calme, sans détourner son regard de l'étrange cratère. On attend qu'il se passe quelque chose. On doit comprendre ce qu'ils fabriquent, ici.

Je reste un instant, hébétée. Il veut dire qu'on va poireauter, là, comme des clodos, que ces bestioles se décident à crier haut et fort les détails de leur plan ? Nevra se fait de marbre, j'ai l'impression d'avoir une statue à coté de moi. Il est vraiment capable de rester des heures sans bouger ? Sans rien faire d'autre que d'épier une cible ? Je lui tire mon chapeau, ce n'est clairement pas dans mes cordes. Il va falloir que je me lève plusieurs fois pour me dégourdir les jambes ou aller libérer ma vessie. Okey, je vous épargne les détails sordides, mais vous voyez le principe. J'vais être chiante, une fois de plus.

[Eldarya] Le Secret des MoraïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant