Chapitre 21 - Quand les Rochers se Mettent à Courir

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A mon réveil, j'ai l'impression d'avoir été amputée de l'intégralité de mon corps. Je ne ressens rien du tout en dessous de mon cou, comme si j'étais consciente mais sous anesthésie générale. J'ai passé une sale nuit. Je me suis réveillée au moindre bruit suspect. Non pas par crainte que Nevra vienne m'achever dans la nuit, mais plutôt parce que ma vulnérabilité dans ce monde m'est à présent plus que flagrante. Je me sens tellement insignifiante, tellement petite à coté de ce qui m'entoure. Je me dis qu'un rien pourrait mettre fin à mes jours.

Le rocher contre lequel je me suis appuyée pour dormir m'a meurtri le dos. Je me serais bien allongée et roulée en boule pour pleurer mais mon corps m'a refusé tout mouvement depuis hier soir.

A ma grande surprise, j'ai quand même réussi à m'assoupir un instant. Mes paupières lourdement collées en attestent. Un bâillement monte dans ma poitrine et me secoue de petits mouvements saccadés. Mes côtes, contractées et resserrées jusque là, s'écartent sous la pression de mes poumons, m'arrachant une grimace de douleur.

Alors que j'esquisse un geste pour me redresser, je reprends peu à peu conscience de mon corps, de sa fragilité et surtout des séquelles laissées par la nuit.

La tête encore dans le brouillard, je parviens tout de même à discerner une silhouette accroupie près d'un feu de camp. Tandis que je m'appuie sur mes paumes de mains engourdies par la fraicheur de la nuit, j'entends des tintements de gamelles s'entrechoquant. En tendant bien l'oreille, j'arrive même à saisir l'éclatement de petites bulles de vapeur à la surface d'un liquide.

Penchée en avant, isolée dans sa concentration, la personne n'a pas remarqué mes tentatives grossières de la héler. Chaque fois que j'ouvre la bouche pour l'appeler, ma langue pâteuse me rappelle la dureté de la soirée passée.

J'en revois encore les images qui défilent sous mes paupières. Les yeux rougeoyants de Nevra, pointés sur moi comme deux lasers. J'avais eu l'impression que quoi que je fasse, je n'aurais pu me soustraire à ce regard. Ce regard aussi affamé que ses crocs le laissaient penser. Je m'étais retrouvée piégée. Je l'avais bien cherché. Sans m'en rendre compte, depuis que nous sommes partis du QG, je n'avais fait que jeter de l'huile sur le brasier déjà trop ardent qu'était la faim du vampire.

Et pourtant, contre tout attente, j'avais eu droit à un baiser délicieux. J'aurais tellement aimé qu'il s'éternise et que nous soyons restés lovés l'un contre l'autre toute la nuit. Évidement, mes souhaits ne sont, une fois de plus, pas pris en considération.

Par l'Oracle, quel affront ai-je pu commettre pour mériter tel châtiment ?

Après un effort surhumain, je parviens à me redresser sur mes jambes. Je titube jusqu'au feu de camp pour y découvrir Nevra, assis entre les galets. Il fait infuser une sorte de thé aux odeurs étranges. Quand il me sent arriver à sa hauteur, il retire la gamèle du feu et en verse le contenu dans une des tasses en étain que nous trimballons depuis notre départ du QG. Il se lève pour me faire face et me tend la tasse.

-Bois ça tant que c'est bien chaud. Ça devrait te faire du bien.

J'essaye de capter son attention, de croiser son regard mais ses mèches de cheveux lui barre le visage. Je n'ai pas la force de lutter. Obéissant à mon Chef de Garde, je glisse deux doigts sous la poignée et porte l'étain à mes lèvres. C'est dégueulasse ! J'ai l'impression de boire de l'eau croupie avec de la boue et des restes d'animaux décomposés !

Quand il constate ma grimace et le fait que je repousse la tasse, Nevra insiste :

-Bois, c'est une infusion à base de plantes cicatrisantes. Elles t'aideront à te sentir mieux.

[Eldarya] Le Secret des MoraïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant