Chapitre 20 - Des Milliers de Papillons

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Le monde autour de moi fonctionne au ralenti. L'odeur cuivrée de mon propre sang m'emplit les narines. Je ne peux détacher mon regard de ces prunelles. Ces yeux de démon qui me dévorent littéralement. Pendant un instant qui me parait durer une éternité, Nevra et moi restons immobiles, à nous fixer, attendant que l'autre n'esquisse un mouvement.

Je sais que la marche arrière n'est désormais plus qu'un rêve idyllique. Nevra a beau batailler contre ses instincts, il y a un moment où toute lutte devient vaine. Un moment, comme ce soir. Ce soir, où j'ai versé la goutte de trop. Celle qui causera ma perte.

Les pupilles de Nevra, jusque là verrouillées sur mes lèvres, depuis lesquelles se déverse le sang de ma langue blessée, se troublent pour se plonger dans mes yeux. Le vampire lève la main vers ma gorge, prêt à m'attraper. Dans ses yeux, je peux discerner ce qu'il reste de Nevra. Son regard rempli de terreur. Il est lui-même terrifié par ce qu'il pourrait me faire. Je veux courir. M'enfuir. M'enfuir loin, sans me retourner. Mais mes jambes ne m'obéissent pas. Je suis pétrifiée. Et j'attends.

Alors que ses doigts effleurent ma peau, je perçois un mot à travers son souffle. La voix tremblante que j'entends est celle de mon ami qui lutte à l'intérieur pour me préserver de sa nature prédatrice.

-Cours !

C'est à peine audible, mais bien suffisant pour que mon corps comprenne l'urgence de la situation. La connexion corps-cerveau s'établit à nouveau et avant que ce Nevra aux yeux de démon ne referme sa prise sur mon cou, je m'élance et fuis. Je tâche d'ignorer la vague de douleur qui remonte le long de ma jambe lorsque je m'appuie sur ma cheville tordue. Je n'ai pas le choix. Je dois courir aussi vite que mes jambes le peuvent. Si Nevra m'attrape, il va... Il va me... Je ne peux même pas mettre de mot sur ce qu'il risque de me faire.

J'ai à peine allongé quelques foulées qu'un violent coup dans le dos me projette en avant. Je viens m'écraser sur un énorme rocher. Je suis bloquée. Les larmes me brouillent la vue quand Nevra m'agrippe le bras et me force à lui faire face. Je tire de toutes mes forces pour me libérer. Après une certaine résistance, Nevra lâche prise. Je me doute qu'il affronte son démon intérieur pour ne pas me faire de mal. Mais je suis bien incapable de prédire lequel l'emportera. Nevra est affamé et je viens de lui servir son repas sur un plateau d'argent. Je ne pensais pas que ça pourrait déraper à ce point !

-Nevra, si tu es là, tremblé-je. Si tu es là, résiste ! Je sais que tu ne veux pas me faire de mal. J'ai confiance en toi.

Le type qui me fait face me plaque la main sur la bouche pour me faire taire. Lorsqu'il entre en contact avec le liquide chaud que ma langue continue de déverser, il relève sa main comme s'il l'avait mise par mégarde sur un coffre au trésor rempli de diamants. Je me mords l'intérieur des joues pour retenir un couinement. De peur, de douleur... d'abandon.

Nevra aux yeux de démon approche sa paume de son nez et en hume l'embrun. Sa façon de s'imprégner de l'odeur de mon propre sang me fait tressaillir. Je ne pensais pas pouvoir avoir un tel effet sur un homme, un jour. Lorsque ses paupières s'ouvrent de nouveau, les cercles autour de ses pupilles sont plus rougeoyants que jamais. Ses crocs effilés accrochent la lueur blafarde de la lune. Je ne vois que ça. Ses yeux de prédateur et son rictus carnassier. Je prends conscience à ce moment que Nevra vient d'essuyer une défaite.

-Non... pleuré-je.

Aussitôt, je suis prise d'une rage de vivre, d'un refus catégorique de la réalité, que je ne me soupçonnais pas. Je frappe Nevra et le repousse de toutes mes forces pour me sauver. J'ai à peine fais un pas en avant qu'il me retient les épaules et me pousse brutalement contre le rocher. Je tente de le frapper mais le démon me saisit les poignets et m'encadre le visage avec sa prise, me privant de tout mouvement. Je refuse de me laisser faire. Si je meurs cette nuit alors Nevra pourra au moins être fier de moi. Je me défendrai jusqu'au bout et n'abandonnerai pas une seule parcelle de mon corps à ce démon sans me battre.

[Eldarya] Le Secret des MoraïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant