Chapitre 37 : Des Cris dans la Nuit

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Après ma transformation, nous avons dû reprendre la route. La situation d'Eel ne nous permet pas vraiment de nous pencher sur mes états d'âme ni de prendre le temps d'admirer mon nouveau moi. Toute la journée qui a suivit mon réveil, je n'ai pas prononcé un mot. J'ai réfléchi. Réfléchi à ce que je suis, à ce que le rituel a provoqué en moi. Suis-je toujours la même ? Suis-je toujours moi ? Ou suis-je en passe de devenir quelqu'un d'autre, quelque chose d'autre ? J'ai peur, il faut bien le dire. Mais ce n'est pas la même peur qu'avant. Avant, je craignais de ne pas être à la hauteur de ce que les autres attendent de moi. Maintenant, j'ai peur de moi-même. Peur de celle que je deviens et de celle que je serai demain. Et si je ne me reconnais pas ? Pourrai-je supporter celle que je vais sûrement devoir devenir pour assurer l'avenir de tous ?

Cela fait six jours que nous marchons comme des forcenés à travers l'archipel. Je n'ai même pas pu me reposer plus de quelques heures et nous n'avons pas vraiment discuté de ce qui m'arrive. Je pense que tout le monde est préoccupé, mais que tous redoutent le dialogue. Moi y compris. Du coup, je me fais discrète. Je n'ai même pas déployé mes ailes pour tenter de m'en servir. Je serais bien ridicule de toute façon, je ne suis pas une volaille. La traversée des îlots est très difficile. Certains sont si fragiles que Malachite ne peut nous suivre et nous devons donc trouver un détour pour avancer. Je refuse de laisser mon Golem en arrière. Qui sait ce qui pourrait lui arriver ? Si le Monarque est dans le coin, il est hors de question que je lui laisse une ouverture pour faire du mal à mon ami.

Beaucoup d'îles sont impraticables, elles s'effritent avec le temps. Même Elkihal qui est extrêmement léger dû à sa nature de Sylphe ne peut les traverser, c'est dire ! Sans compter que nous avons dû rebrousser chemin plus d'une fois, au grand dam d'Ezarel. Il ne s'est pas retenu de blâmer le Sylphe qui est sensé connaître cet endroit comme sa poche. D'après ce que j'ai pu comprendre pour la défense du bel éphèbe, le temps et l'érosion ont fait leur œuvre depuis la dernière fois qu'il est venu.

Le temps et l'érosion ? Ce ne sont pas des choses qui prennent de centaines, voir des milliers d'années à se mettre en place, ça ? J'en prends une bien bonne dans la figure en ayant donc la confirmation que je ne suis qu'une enfant à coté de ces deux-là. Et pourtant, j'ai l'impression d'être la plus mature du groupe. Me connaissant, c'est pas le plus beau des compliments pour les garçons, soit dit en passant...

Voila donc six jours que je me brûle la plante des pieds à force de crapahuter sur ces îlots, sur ces Akènes. J'ai eu tout le loisir de nettoyer mes ailes et de les observer, de les ressentir, les mouvoir un peu et surtout de m'y faire. C'est vraiment très étrange d'avoir de nouveaux membres d'un coup. Ça aurait pu être pire, j'aurais pu avoir une queue de rat.

Le fait est que je commence à prendre certains réflexes, comme si ces deux nouveaux membres avaient toujours fait partie de moi. Je les replie quand nous passons dans des endroits exigus, je m'entoure dedans quand je vais me coucher, me protégeant du froid nocturne. Hier, j'ai même giflé Ezarel avec en m'étirant. Je l'ai presque pas fait exprès. Il m'a jeté un regard désapprobateur comme il en a l'habitude. J'aime le voir comme ça. C'est bête, je sais. Mais s'il ronchonne, je me dis que c'est parce qu'il va bien. Je n'ai pas eu l'occasion de reparler avec lui depuis cette nuit-là. Du moins, pas de façon privée et les sujets que je souhaite aborder... et bien, j'ai pas forcément envie d'en discuter avec un public à coté. Cependant, quelque chose me dit qu'Ezarel a une idée de ce que je m'apprêtais à lui avouer avant que mon dos ne nous interrompe. Il est un peu plus intentionné et moins froid qu'avant. Avouer son secret a dû le libérer d'un certain poids, même si sa promesse le ronge toujours. Je le vois sans cesse tiraillé entre l'envie de marcher à mon coté et sa volonté de m'épargner sa présence. Je le frapperais bien pour lui remettre les idées en place, mais ce n'est pas l'approche à avoir envers une personne pour qui on nourrit certains sentiments.

[Eldarya] Le Secret des MoraïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant