19/ "Je fais une proie de choix. Encore."

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Un liquide poisseux coule le long de ma veste. Du bout de mes doigts tremblants je cherche la blessure. Je n'ai pas trop de mal à la trouver. Le trouer béant qu'a fait la balle perdue dans mon côté est facilement repérable. Faisant fi de ma douleur, ravalant le cri déchirant de la morsure de ma main sur ma plaie, je tente tant bien que mal de la compresser afin d'arrêter l'hémorragie. J'avais cru comprendre que se vider de son sang était mauvais signe, alors je fais tout ce que je peux pour éviter de crever la bouche ouverte, là, sur le pont Alexandre III.

Les tirs s'enchainent sans faiblir. Mes deux agresseurs visent n'importe où pour essayer de débusquer l'archer invisible. Ce dernier reste introuvable, continuant ainsi de cribler les branches de ses flèches métalliques, devenues de véritables porc épic géants.

Le temps semble s'allonger indéfiniment. J'ai l'impression d'être affalée sur le sol, la joue collée aux pavés, depuis une éternité. Pourtant, le jour se lève tout juste sur Paris, baignant l'ancienne capitale d'une douce lueur orangée. L'aube m'offre un spectacle magnifique, que je ne regrette pas d'avoir vu avant de mourir. Je ne sais pas si je vais vraiment passer l'arme à gauche, si ma blessure est trop grave, mais au moins je pourrai me vanter auprès de ma mère d'avoir assisté à ça.

Soudain, après un hoquet de douleur, je constate que les tirs ont cessés, qu'un silence de mort s'est abattu sur l'édifice. Plus rien ne bouge. Les deux colosses ont, soit détalé, soit succombé, soit gagné. Personnellement, les deux premières possibilités me parlent un peu plus, même si je ne suis pas certaine des intentions de l'archer invisible.

C'est alors que des bruits de pas résonnent, faisant ainsi s'accélérer mon rythme cardiaque. J'ai l'impression que mon coeur bat si fort qu'il risque de bondir hors de ma poitrine. Allongée ainsi sur le sol, blessée et incapable de me relever, je fais une proie de choix. Encore.

La première chose que j'aperçois ce sont des rangers noires, surmontant un pantalon sombre. Sur la gauche de l'inconnu traîne un arc presque identique à ceux que les joueurs Olympiques arborent sur Eden : imposant, en métal et pourtant incroyablement légers. Je me souviens que lorsque Raven m'avait emmenée voir les Jeux, puis entraînée dans les coulisses, c'était l'une des choses qui m'avait le plus frappé.

L'archer continue sa route avant de s'immobiliser a quelques centimètres de mon visage. Lentement, je relève la tête et poursuis mon examen : un t-shirt noir à manches courtes qui recouvre des épaules larges et dévoile des bras musclés, puis un visage à moitié dissimulé par le jeu des ombres. Pour faciliter mon observation, il place son arme en bandoulière et s'accroupi. Ses traits sont durs et froids, une barbe blonde mange des joues creuses à la peau tannée par le soleil de la Terre. Ses cheveux sont coupés courts, mais j'arrive à deviner sans mal qu'ils sont plutôt clairs. Puis, je plonge dans ses yeux bleus foncés avant de pincer les lèvres.

Ma plaie me fait souffrir le martyr. L'homme le remarque aussitôt et s'approche de la blessure. Il retire ma main sans ménagement, et je me laisse faire, trop faible pour tenter quoi que ce soit. Il soulève mon t-shirt, m'arrachant par la même occasion une plainte sourde. Le sang s'est accroché au bout de tissu, et l'en arracher et au moins aussi pénible que le reste. Je ne vois pas ce qu'il fait, mais au bout de quelques minutes je me retrouve avec un bandage, sortit de je ne sais où, qui enserre mon ventre.

_ Merci, je murmure dans un souffle à peine audible.

Son regard se braque alors sur moi, mais je reste stoïque. Discrètement j'observe son cou, et y aperçois un bêta. C'est la première fois que j'en vois un. Je sais déjà que cet homme n'est pas un meurtrier, c'est déjà ça. Ni même un pyromane comme Nyco, ou... Je constate alors à cet instant que je n'ai jamais vu celui de Kali, et n'ai pas la moindre idée du crime qu'elle avait pu commettre.

Je sens alors les bras de l'archer agripper mes genoux et s'enrouler autour de mon dos avant de me soulever dans les airs. Instinctivement, j'attrape la manche de son t-shirt pour me stabiliser.

_ Qu'est-ce que tu fais ? Je demande avec une pointe d'angoisse dans la voix.

_ Je te ramène à la station, répond-t-il simplement sur un ton monocorde.

_ Quoi ?

Alors qu'il commence à avancer le long du pont, je remarque un corps criblé de flèches, étendu, inerte. L'un de mes agresseur, celui qui m'avait tiré dessus. Si mon sauveur n'a pas été un meurtrier sur Eden, c'est certain qu'il en est un à présent. Je réprime un haut-le-coeur et détourne le visage pour ne pas me traumatiser plus avant.

_ Tu es une Fouine ? J'interroge en tentant par tous les moyens de découvrir qui est cet homme.

Pas de réponse. Enfermé dans un mutisme solide, ses yeux restent rivés sur l'horizon, avisant la colline qu'il devrait monter avec mes cinquante kilos supplémentaires. Il ne paraît pas se décourager et entame la route qui nous sépare de Passy.

_ Tu as vu ce qui s'est passé ? Je m'acharne. Tu as vu les autres ? Tu m'as suivis ? Est-ce que Kali t'a demandé de le faire ? Ou Nyco ?

Toujours aucune réponse. En voilà un plus difficile à dérider qu'une statue en marbre. Je sais qu'il n'est pas muet, il m'a adressé trois mots tout à l'heure, alors pourquoi ne pas répondre à mes interrogations ?

Je continue de le harceler pendant encore au moins deux cents mètres, avant d'abandonner. S'il décide de me livrer à une criminelle terrifiante et son chien pyromane, je serais incapable de l'en empêcher.

Comme nous arrivons à l'Alma, je sens que ses muscles fatiguent. Musclor n'est pas si fort après tout. Lentement, il me dépose sur une souche d'arbre avant de faire rouler ses épaules et craquer sa nuque. Je l'observe un instant. Il est dos à moi. Derrière, un pont à moitié détruit, mais qui pourrait me permettre de rejoindre l'autre rive et peut-être retrouver Myrah et Leho.

Ni une ni deux je bondis sur mes pieds, réprime un rictus douloureux quand ma blessure me lance, et boitille lentement et silencieusement vers le pont. L'archer n'a rien vu. Dès lors que j'atteins les premières marches de l'édifice, je cours aussi vite que possible en direction de la rive droite.

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