10/ "Des prisonniers, prisonniers"

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Leho pose un index sur ses lèvres pour que je garde le secret avant de tourner les talons et retourner auprès de ses acolytes. Elias me lance un coup d'œil qui me fait froid dans le dos et je me recroqueville au fond de ma cage. Je n'ai plus qu'à patienter, rester en vie jusqu'à ce que Leho me libère. Je me doute bien que ses amis ne sont pas au courant et qu'il prends de gros risques. Je n'ai pas d'autre choix que de lui faire confiance, même s'il a déjà trahis cette confiance. Mon avenir repose entre ses mains.

Alors que mes ravisseurs se régalent avec les provisions de mon hologramme, j'entends mon ventre grogner. J'ai la bouche qui salive à la vue de cette nourriture, même si elle est loin d'être appétissante. Je n'ai rien avalé depuis hier, depuis mon départ d'Eden. Dire que vingt quatre heures plus tôt j'étais encore en orbite, et qu'en seulement une fraction de seconde je suis tombée plus bas que je ne l'aurai jamais cru.

Cela fait maintenant deux heures que je me suis réveillée, et la silhouette qui plane au-dessus du campement comme un charognard qui attend son heure, n'a toujours pas bougé. Elle est adossée au tronc d'un arbre, les bras croisés, un capuchon rabattu sur son visage. Les autres ne semblent pas préoccupés par elle et continuent leurs plaisanteries, se régalant d'un diner qui aurait du être à moi. J'ai beau me tortiller dans tous les sens, je ne parviens pas a savoir à quoi ressemble cet inconnu. Il a une posture affirmée, des épaules assez larges, mais des jambes plus étroites. Il porte des bottines semblables aux miennes et d'épais gants noirs recouvrent ses mains.

Définitivement, cette personne pique ma curiosité. Pourquoi n'est-il pas autour du feu avec les autres ? Pourquoi porte-t-il ce capuchon ? Et comment se fait-il qu'il parvienne à rester immobile pendant des heures ?

Tandis que je suis plongée dans mes réflexions, je vois un colosse, bien plus impressionnant qu'Elias, débarquer. Les autres se lèvent et vont pour le saluer, assenant de puissantes claques dans son dos. Tous, sauf Leho, qui reste en retrait. Je l'observe attentivement. Sa mâchoire est crispée, ses muscles raidit, un de ses pieds est en avant alors que l'autre reste derrière, comme s'il s'apprêtait à bondir. Il craint le nouvel arrivant, cela ne fait aucune doute, et il le méprise compte tenu de l'expression sur son visage. Cette dernière a tôt fait de s'évaporer pour laisser place a un sourire crispé.

_ Portos, on attendait plus que toi mon ami, clame Elias en l'invitant a prendre place autour du feu.

Le géant hoche la tête, mais ne va pas s'assoir tout de suite. Il contourne ses camarades et s'arrête devant la silhouette encapuchonnée. Cette dernière relève la tête. Même si l'inconnu est plus grand que Leho, Portos lui mange au moins trois têtes. J'ai l'impression de voir David et Goliath. Evidemment, je sais comment l'histoire se termine et ici rien n'est différent : le plus petit semble avoir le dessus sur le géant. Il lui fait signe de déguerpir et Portos s'exécute comme s'il n'avait pas été plus féroce qu'un petit chien de salon. Mon regard tombe sur son cou de taureau et je fronce les sourcils : un delta est dessiné sur sa peau. J'aurais pourtant cru qu'un colosse pareil aurait été envoyé sur Terre pour meurtre, au moins. A croire que je suis plus féroce que lui. Enfin, en apparence. Après tout, il n'a pas à savoir que je n'ai rien fait.

Il redresse brusquement la tête, comme s'il avait pu entendre mes pensées, et braque ses minuscules yeux noirs, enfoncés dans leurs orbites, sur moi. J'avale péniblement et sens mes membres trembler. Je ne suis peut-être pas aussi effrayante que je le pensais. La chute de Goliath a certainement été provoquée par le petit David, mais le combattant s'était forgé sa réputation en massacrant des centaines d'autres adversaires. Je ne veux surtout pas faire partie des dommages collatéraux.

_ On fait des prisonniers maint'nant ? Grommelle Portos de sa voix grave en donnant un coup de menton dans ma direction.

_ Des prisonniers, prisonniers ! S'esclaffe soudain Elias, apparement très fier de son jeu de mot. C'est un comble ça !

OmegaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant