21/ "La pomme était tombée bien loin de l'arbre"

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5 ans plus tôt

_ Swan Espinay, appela Louise Brimont avec un sourire radieux.

Je sentis la main amicale de Leho se poser dans mon dos pour m'encourager, mais malgré cela, j'étais morte de trouille. Tout le monde savait parfaitement que le Test déterminait une vie entière. En a peine quelques secondes, on décidait de votre avenir pour vous en analysant votre personnalité et vos prédispositions naturelles. De quoi faire flipper. En dépit de mes réticences, je m'avançais sur l'estrade et suivis l'assistante qui me conduirait aux salles. Nous montâmes dans l'un des tubes en verres qui nous conduisit aux étages supérieurs.

L'ascenseur en verre fit défiler devant mes yeux blasés le paysage immaculé des toits d'Eden. Un voyage qui me parut être à la fois une éternité et une fraction de seconde. Les portes s'ouvrirent en émettant une sonnerie reconnaissable entre mille. L'assistance, vêtue d'une robe bleue moulante, fit claquer ses hauts talons devant moi, marchant comme une mannequin l'aurait fait avant d'être remplacée par les parfaits et dociles petits robots de la Technoïde.

Elle me conduisit dans une salle aux vitres immenses qui donnaient sur le reste de la ville. On avait retiré les tablettes et autres outils de travail pour les élèves de l'Académie pour les remplacer par une chaise haute. J'y pris place, non sans une pointe d'inquiétude. L'assistante de Louise Brimont me tendit un écran sur lequel j'apposa ma main. Aussitôt, une décharge électrique parcourut mon corps tandis que des dizaines de petites aiguilles s'enfonçaient dans ma paume, prélevant une partie de mon sang. Une voix féminine et robotique s'éleva, et mon coeur fit un bond dans ma poitrine :

_ Swan Espinay, fille du Docteur Marcus Espinay et du Docteur Rose Espinay. Âge, vingt ans. Aspiration : Politicienne.

L'assistante hocha la tête d'un air entendu et recopia les propos de l'intelligence artificielle dans mon dossier.

Politicienne ? Je répétais, incrédule, dans ma tête. Je ne comprenais pas. Toute ma famille avait été cataloguée scientifique. Mon père, ma mère, Raven, Jay certainement dans quelques années. Je savais que j'étais différente d'eux, que la pomme était tombée bien loin de l'arbre Espinay, mais politicienne ? J'aurais pu aisément comprendre artiste. Gardienne à la rigueur, ou juriste. Scientifique au pire, mais politicienne ? Comment pouvaient-ils me parquer dans une catégorie de la sorte ? Une catégorie que, en prime, j'exerçais au plus haut point. Je n'avais rien à voir avec ces hauts dirigeants pleins d'idéaux auxquels ils ne croyaient même pas.

_ Toutes mes félicitations, récita la jeune femme avec un large sourire. Beaucoup d'Académicien tueraient pour avoir votre chance...

Devant mon air dépité, elle s'empressa d'ajouter :

_ Je plaisante évidemment ! Une carrière de dirigeant ne vaux pas la peine d'être envoyer sur Terre. Vous avez certainement eu plus de chance que les futurs Gardiens, contraints aux exercices physiques auxquels vous leur préférerez les exercices de l'esprit...

_ Les fausses promesses et les discours dépourvus de sens, je m'empressais d'ajouter avec ironie.

_ Vous avez l'air d'être intelligente. La voie de l'élite vous conviendra parfaitement. Ce sera évidemment beaucoup de travail, mais vous avez ce qu'il faut pour réussir.

_ Non, opposais-je soudain en me redressant sur ma chaise, vous avez dû faire une erreur, refaites moi passer le Test. Je sais que je ne suis pas comme eux. Je suis une artiste. On me l'a dit et j'en suis certaine...

_ Le Test ne se trompe jamais, répondis la scientifique avec une moue faussement triste sur son visage de poupée. Le sang à parlé. Un jour vous serez à la tête d'Eden, siégeant au Conseil, et serez respectée par vos pairs. N'ayez pas peur, tout va bien se passer, l'inconnu n'est pas si effrayant qu'on le pense. Moi même je me voyais faire carrière dans la danse, voyez où je suis maintenant.

Elle m'offrait là une perche que je brûlais de saisir :

_ Et en êtes-vous heureuse ? La génétique doit-elle réellement prôner sur les choix que vous faites ? C'est une méthode arbitraire qui détruit vos rêves ! Je ne veux pas faire ce parcours, et ce que je souhaite est plus important que ce que le sang raconte, non ?

Elle secoua négativement la tête, faisant ainsi valser son chignon trop serré.

_ Swan, vous avez été taillée pour ce métier. Ne rejetez pas ce que vous êtes, où sinon c'est là que vous serez malheureuse. A présent retournons dans le hall. D'autres attendent de voir ce que leur avenir leur réserve.

Avant de partir, elle me passa autour du poignet un bracelet bleu. Bleu pour la politique, rouge pour le domaine artistique, blanc pour la science, vert pour l'éducation, orange pour les juristes et noir pour les gardiens. Avec cette entrave sur le bras, je me sentais prisonnière d'une vie que je ne voulais pas. Je voyais partir en fumée les rêves que Leho m'avait transmis, et ceux de mon père se concrétiser. Il serait tellement fier de sa petite fille, désignée apte pour changer le monde sans pour autant y toucher. La classe la plus enviable, avec celle de la science d'après mon père, la plus honorable. Moi qui voulais sortir du moule conventionnel d'Eden, voilà que j'entrais dedans à pieds joints.

Nous retournâmes dans le hall. Mon coeur était lourd. Je voyais les hauteurs d'Eden sous un regard nouveau. On m'avait désignée pour en être l'une des souveraine. J'allais côtoyer les futurs grands de la planète alors que je n'en avais jamais eu envie. A peine les portes ouvertes, je vis les yeux remplis de joie de mon petit ami se poser sur moi. Instinctivement, je dissimulais mes mains dans mon dos avant de regarder les siennes : rouge, quelle surprise !

Je descendis lentement les marches et il se précipita vers moi pour m'enlacer.

_ Mes rêves deviennent enfin réalité Swan ! S'exclama-t-il avec un large sourire. Je vais pouvoir mettre en lumière à travers mes œuvres tous les défauts de cette société autoritaire et sectaire... Enfin. Et toi, que deviendra-tu dans un futur proche ?

Mes lèvres tremblèrent. Je savais bien qu'à partir du moment où je lui avouerais ce que je deviendrais, un gouffre se creuserait entre nous. Il fallait pourtant que je le franchisse, que je trouve le courage de lui avouer. Je sortis donc mes bras de leurs cachettes et brandit le bleu de mon avenir devant lui.

_ Je serais celle qui mettra tout en œuvre pour te faire taire.

OmegaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant