38/ "Tout est lié. Souviens-toi"

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Je m'éloigne progressivement du pyromane et le laisse reprendre sa place auprès de Kali. Cette dernière me lance alors un regard par-dessus son épaule qui me fait frissonner et baisser la tête. Il y a vraiment quelque chose chez elle qui, a la fois me fascine, et à la fois me terrifie. C'est comme si, de nous tous, Kali s'avérait être la plus dangereuse. En dépit du bêta sur le cou de Noam, de l'amour de Nyco pour le feu, de la rage qui habite Avery, et de la duplicité de Leho.

Kali s'immobilise soudain et se retourne vers nous :

_ On devrait s'arrêter ici et essayer de dormir un peu.

Sa proposition est accueillie par un soupir de soulagement général. Nyco se laisse choir sur un tas de lianes et allonge ses jambes alors qu'en face, Avery sors de sa broche Omicron de quoi nous sustenter. J'accepte la barre alimentaire devant laquelle, désormais, je ne rechigne plus. C'est triste à dire, mais j'ai oublié depuis longtemps déjà le goût des mets délicats qu'on me servait chez moi.

Je croque dedans et prend place à côté de ma meilleure amie en savourant son effet rassasiant.

_ Je prend le premier tour de garde, lance Noam en faisant assoir Leho.

Profitant de ce court moment de répit, je parviens à tomber dans les bras de Morphée. Malheureusement celui-ci a décidé de me traîner dans les méandres de ma mémoire.

Le rire clair de mon petit frère, Jay, résonne à mes oreilles, rapidement accompagné par celui plus lointain de ma mère. Elle le fait sauter sur ses genoux sous le regard bienveillant de mon père. Dans le salon, Raven s'emploie à tresser mes longs cheveux bruns pour former une coiffure complexe qui ne ressemble à rien.

Je tend un doigt en direction de l'écran géant sur lequel apparaît le Président du Conseil d'Eden. C'est un homme âgé, à la barbe blanche foisonnante et au regard franc. Des rides sillonnent son front pour lui donner un aspect plus sage et avisé que ne le laisse présager son ton détendu. À côté de lui se trouve une femme au carré blond platine. La juge Louise Brimont affiche un large sourire alors qu'on commence à allumer les feux d'artifices pour célébrer la nuit des flambeaux.

_ Ca commence ! Je m'exclame en trépignant d'impatience.

_ Reste tranquille sinon ça va être moche, me lance ma grande soeur en me retenant par le bras.

Je suis bien trop excitée pour l'écouter. Déjà, on tire les fusées de lumière qui explosent dans un ciel chargé d'étoiles. Jay gazouille de joie en sautillant sur ses minuscules jambes et je le rejoins rapidement pour entamer une dans endiablée.

Tout semble parfait. Jusqu'à ce qu'une ombre vienne assombrir le tableau : ma mère disparaît lentement, le visage de mon père se durcit. Jay grandit subitement mais moi je reste petite, innocente, perdue.

_ Elle est tombée gravement malade, m'annonce Raven en sanglotant. Swan, elle est morte.

Puis, elle m'enlace. Je ne dis rien, incapable de parler, comme si on m'avait coupé la langue et ravit mes mots. Je ne suis pas triste, seulement muette. Et bientôt, la colère prend le pas sur la joie. Je suis tirée en arrière. Le décor heureux du salon laisse place à celui froid des cellules du palais de justice ou j'ai été enfermée.

Dans un coin, une ombre m'observe. Une silhouette que je reconnaît rapidement comme étant celle de ma mère. Bien que floue, je suis certaine que c'est elle.

_ Tout est lié, murmure-t-elle d'une voix que je ne me souviens pas qu'elle ai déjà eu. Tout est lié, il suffit que tu te souvienne. Tu es un bouc émissaire, on s'est servit de toi et notre famille a été détruite à cause de mon erreur. Souviens-toi.

_ Mais de quoi ? Je couine en voulant me rapprocher d'elle.

Mais plus j'avance, et plus elle recule. Jusqu'à disparaître complètement, ne laissant plus qu'un vide brûlant dans ma poitrine.

_ Swan ?

Je suis réveillée par la voix de Kali. Je me redresse brusquement, en sueur et à bout de souffle. D'abord désorientée, je tente par tous les moyens de me raccrocher à mon rêve. Mais bientôt il s'efface, ne laissant plus que les explosions des feux d'artifice dans mon esprit.

_ C'est ton tour, dit-elle froidement avant d'aller se coucher auprès de Nyco.

Je marmonne dans ma barbe en me redressant péniblement. Je suis congelée, épuisée et frustrée de sentir petit à petit mon rêve couler entre mes doigts, incapable de le retenir. Et plus je me concentre pour m'en souvenir, plus cela devient flou, ne me laissant plus que quelques sensations de peur et de bonheur, des éclats de lumière ocre, et l'uniformité pâle du bleu d'Eden.

En prenant place sur la branche qui me sert de promontoire pour ma garde de nuit, je me met à observer discrètement mes compagnons de route. Nous ne sommes que six. Non, en réalité, cinq et demi, Leho n'est pas franchement la personne la plus fiable. Six contre des centaines de prisonniers, voire des milliers. Six pour assaillir la pyramide Omicron, protégée par toute la technologie crée par les Hommes. Six contre le monde entier. Ça ne paye pas vraiment de mine, je soupire intérieurement. Pourtant je suis déterminée à retourner sur Eden prouver mon innocence.

Comme je suis plongée dans mes pensées, à imaginer le pire ou échafauder des plans rocambolesques pour nous sortir de ce mauvais pas, j'aperçois au loin une lueur. Elle petite, une flamme vacillante dans la fraîcheur du soir, tant et si bien que je suis contrainte de plisser les yeux pour mieux la distinguer, perdue dans la jungle Parisienne. Bientôt, je vois une, puis trois silhouette encadrant cette lumière, rapidement suivis par des éclats de voix.

Je ne sais pas pourquoi, mais je suis figée, peut être trop terrorisée, ou indécise, en tout cas, je n'arrive pas à bouger la moindre fibre de mon corps. Un frisson parcoure mon échine quand je reconnais le timbre familier de Goliath.

_ Putain de merde ! Je lâche dans ma barbe.

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