Je le regarde, il me regarde. La tablée est silencieuse. Non, sérieux, Pimprenelle? Soit je me sens flattée parce qu'il a pensé suffisamment à moi pour me trouver un surnom qui ne me va pas, soit je me fâche parce que cet imbécile m'a donné un surnom ridicule, soit je m'en moque. Ma réponse sera un mix de ces options.
Je lui fais un immense sourire en me levant. Je me penche vers lui, c'est qu'il est beau l'imbécile! J'en baverais presque! Son visage anguleux est encadré par des cheveux noirs ébouriffés, ses yeux noirs ont de multiples reflets vus de près et son menton est couvert par une barbe naissante. J'ai un peu chaud dans le ventre. N'importe quoi! Ses yeux perdent leur expression retorse et une lueur étrange passe par ses prunelles. J'ai perdu conscience de ce qui nous entoure et de ce que j'allais lui dire.
Un raclement de gorge nous sort de cette étrange torpeur. J'attrape le menton de Neil et tourne son visage sur le côté.
- Tu as participé à l'écriture de vos chansons? Car tu sembles manquer cruellement d'imagination! Pimprenelle est une fée qui gère les conneries des autres. Moi les conneries des autres, je ne les gère pas! J'ai dix-huit ans, je suis en programme linguistique et je viens d'un pays dont tu ne connais probablement pas l'existence. Voilà, monsieur je sais tout !
Même les fées, ou les princesses peu importe, se rebellent! Non mais il se prend pour qui celui-là! Pimprenelle?! J'aurai préféré Aurore si nous devons rester dans le thème de la Belle au bois dormant! Une voix magnifique, une robe sublime et un destin tragique... tout ce que j'aime en sorte.
Sur ce, je salue tout le monde et retourne dans mon logement avant la tombée de la nuit. Haha, j'aurai bien voulu me cacher dans un petit coin pour voir leur réaction!
Je vis chez Gabe, sa maman m'a accueillie dans le cadre de mon programme linguistique. Elle est géniale Mary-Lee! Toujours prête à rendre service et à s'inquiéter pour moi. Elle veille au moindre détail et c'est tellement agréable d'avoir une autre femme à la maison. Et un frère...
Ma "vraie" maison se situe en Belgique où je vis avec papa et grand-papa. Vu ma scolarité chaotique, ils m'ont proposé de participer à ce programme. Et l'Angleterre est un choix bien réfléchi...
Je me fais une grimace dans une vitrine de magasin avant de longer la jetée. Pari risqué mais tenu. Depuis que Gabriel et Luigi m'ont repéré, ma vie a changé et là on va partir en tournée! Et pas avec n'importe qui, avec les Plug On You !
Moi qui ne chantais jamais devant un public autre que ma famille! Nous aimons beaucoup la musique à la maison que ce soit du jazz pour grand-papa ou du rock pour papa et moi. Le soir, nous écoutons des vieux disques pendant que j'essaie de les accompagner au piano. Ils me manquent beaucoup, je n'ai pu aller les voir que deux fois au cours de l'année écoulée mais ça vaut tellement la peine d'être ici!
Je me risque à faire un saut en laissant éclater ma joie! Il n'y a personne et sinon je m'en moque, je vais réaliser un rêve et ça se chante!!!
C'est en chantant un medley de toutes mes chansons préférées que j'arrive chez Gabriel.
.........
Les semaines passent.
D'un côté, l'école et les révisions de fin d'année et de l'autre côté, la School of Arts et les répétitions pour le spectacle. Passer d'un univers à l'autre, inlassablement. Une vieille école remplie d'élèves qui se moquent de leur avenir et une autre école remplie de rêves pour un avenir merveilleux.
Je passe mes soirées dans la cuisine de Mary-Lee avec qui je bosse mon anglais que ce soit sur mes cours ou sur nos chansons. J'adore la cuisine de Mary-Lee! Elle est toute petite avec des meubles blancs. Au mur, il y a du vieux papier peint avec des dessins de bonbons et de pain d'épice comme dans le conte, oui!
Et mon "moment", c'est quand on déguste du thé dans de vieilles tasses émaillées et qu'on mange de bonnes choses..ou pas ! La nourriture anglaise, c'est un immense jeu de loterie.
Mary-Lee me raconte alors ses espoirs et ses désillusions. Ils n'ont pas eu une belle vie, Gabe et elle, avant Luigi. Mais Mary-Lee a introduit de la magie dans leur monde et, depuis mon arrivée, un peu dans le mien aussi.
Ma voix commence à se fatiguer, je suis fatiguée mais nous le sommes tous. Nous sommes très heureux et excités, hors de question de s'arrêter en si bon chemin.
Lorenzo Alario et Jim Lochlin sont venus nous voir deux fois.
La première fois, ils donnaient un cours de guitare et la deuxième fois ,ils sont venus pour nous écouter lors d'une répèt' à l'aveugle. Le principe de ce genre d'exercice et de bander les yeux des musiciens afin de leur faire ressentir la musique. Luigi insiste que nous le fassions régulièrement afin de ne jamais faire de la musique de façon mécanique.
Après notre heure de musique, j'ai vu que Neil Sanders avait rejoint ses amis.
Encore cette chaleur au ventre. Ridicule! Il n'était clairement pas celui qui allait me réveiller après un sommeil de 18 ans. Il ne sort pas un mannequin d'ailleurs? Il me semble avoir lu ça dans un journal quelconque.
Nous nous sommes à peine salués. Quel ours celui-là! Quelqu'un m'a fait une remarque sur ma tignasse et j'ai aperçu Neil secouer la tête d'un air réprobateur. En me regardant. C'est vrai que je n'ai pas un magnifique dégradé lisse. Mais ça m'a fait mal.
Je n'avais pas dit que je me moquais de mon allure?
D'ailleurs, je me persuade que c'est toujours le cas.
Un jour, Darren et Gabriel sont arrivés avec des billets en main pour un concert des P.O.Y.... ce concert aura lieu ce soir ! Je ne les ai jamais vu jouer, c'est excitant !
Je me prépare dans la salle de bains de Mary-Lee, kitsch à souhait: rose saumon avec de grosses fleurs sur les carrelages.
Mes cheveux pendouillent tristement autour de mon visage, ils ne sont toujours pas lisses malgré mes efforts.
Mon visage est toujours parsemé de taches de rousseur.
Papa me trouve mignonne. J'ai 18 ans et je n'ai toujours pas eu un petit ami. Je ne suis pas mignonne.
Gabriel frappe à la porte pour me faire sortir de là mais je ne peux pas lui répondre, je ne sais pas détacher mes yeux de cette fille étrange qui m'observe dans le miroir.
Elle lève la main et caresse tout doucement le reflet de ma joue. Quelqu'un d'autre lui ressemblait autrefois. Quelqu'un qui est parti en oubliant de dire à sa fille l'essentiel. Je pense au Petit Prince d'Exupéry. "On ne voit bien qu'avec son cœur, l'essentiel est invisible pour les yeux" dit le renard. C'est la phrase qui est gravée sur sa tombe.
La porte s'ouvre brutalement sur une Mary-Lee inquiète.
- Ah te voilà mon petit moineau! Les garçons t'attendent! Mais...Emilie? Ça ne va pas?
Mes yeux se sont remplis de larmes sans que je m'en rende compte. Mary-Lee, qui sait tout de moi, me prend contre elle. Je me ressource de son parfum fleuri en me blottissant dans son étreinte.
- Chérie, il y a beaucoup de choses que je dois te dire mais là nous sommes pressées!
Elle m'éloigne un peu d'elle et fouille dans ses multiples trousses. Avant que je comprenne ce qui m'arrive, me voilà tressée et légèrement maquillée.
- Les vêtements, ça ira pour ce soir !
Elle tire ma blouse à fleurs hors de mon pantalon.
Quand j'arrive devant eux, les garçons arrêtent leur conversation pour me regarder, bouche bée!
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Dans les yeux d'Emilie( en réecriture)
JugendliteraturAlors que son enfance n'a pas toujours été des plus faciles, Emilie reprend peu à peu confiance en elle, au sein d'un petit groupe de pop-rock. Lorsqu'elle chante, elle dégage ce petit quelque chose qui fait pétiller ses yeux et qui rend la musiqu...