Emilie: what you waiting for?

197 31 21
                                    

Cette fois, c'est Neil qui se retourne et passe les mains dans ses cheveux.

- Pas envie d'en parler, grogne-t-il.

Oh mais non, mon bonhomme, ça ne se passera pas comme ça!

Je croise les bras.

- Donc, je résume. Quelqu'un de ton entourage s'est tapé ta nana, puis Luna a subi une agression de ce quelqu'un. Tu ne veux pas la quitter parce que tu te sens coupable. Mais tu es là. Tu souffles le chaud puis le froid, tu ne me fais pas confiance. Il est clair que je ne suis pas à la hauteur d'une Luna et si, en plus, il faut se coltiner ta culpabilité, rien n'est gagné. Lui dis-je froidement.

Il me fixe, les yeux encore plus sombres, plus menaçants. Tout son corps trahit une intense tension. De sa mâchoire serrée, à son attitude raide comme la justice.

- Je suis désolée pour toi, Neil, si cette personne t'a blessé. Et encore plus qu'elle s'en soit prise à Luna. Mais bon sang, si tu ne veux pas la quitter et je peux essayer de le comprendre, LACHE-MOI!

Là, je m'emporte, mes mains partent en tous sens. Hum, mauvais signe...

J'essaie de me calmer même si c'est difficile, surtout si c'est douloureux.

- Neil, tu sais ce que je ressens pour toi...

-C'est mon père, murmure Neil tout à coup abattu.

- Quoi?! Ton père? Quoi ton père?

Je suis troublée, il ne sous-entend quand même pas que...

- Dans le bureau, c'était lui. Et c'est encore lui qui a fait des avances poussées à Luna. Elle en a été très choquée.

Je mets la main devant ma bouche, abasourdie. Neil respire rapidement pour tenter de retrouver contenance. Le soleil choisit de refaire une apparition à ce moment-là et dépose ses joyeux rayons autour de nous. Les moineaux voltigent autour de nous, l'ironie de ce moment romantique ne m'échappe pas.

-Neil...

-Je ne veux pas de ta pitié, me lance-t-il durement, ses yeux ont une expression féroce.

- Pitié de qui ? Pas de toi, certainement pas. Tu as su lutter contre toi-même pour rester en contact avec ton père, vous avez ce groupe incroyable. Tu me l'as déjà dit mais tu es avec Luna parce qu'elle ne te demandait rien. C'était le prix à payer pour que tu ne deviennes pas fou. Ce qui s'est produit avec ton père n'a fait que renforcer ta détermination.

Je m'approche de lui et pose une main sur son torse, son coeur bat la chamade.

-Cette carapace t'a aidé à survivre. Parce qu'un morceau du fils de Lance Sanders s'est effondré et l'autre tente vaillamment de lutter. Mais tu n'as plus besoin de lutter, tu sais ? Je pourrais être là si tu veux de moi.

Neil penche légèrement la tête avant de l'enfouir dans mon cou.

- Emilie, souffle-t-il.

Nous nous berçons tendrement dans le jardin de mon enfance. Je me rends compte que je ne suis plus une petite fille essayant d'égayer le quotidien de sa maman malade ou encore, une adolescente protégée tentant de "réparer" les dégâts d'une absence. Pour la première fois, une homme adulte a besoin de moi en tant que femme.

L'homme en question pose son front contre le mien.

- Il ne l'a pas violé, il n'y a pas eu de détournement de mineurs avec Maeva, elle me l'a dit et répété. Je n'en ai jamais parlé avec mon père mais quand j'ai demandé à rester sur Londres, nous y sommes restés. Je ne sais pas si ma mère est au courant, je m'en fous d'ailleurs, Meghan ne l'est pas, c'est le plus important pour moi.Un soir, j'étais mort plein et j'ai tout avoué à Luna. Une semaine après, ce salaud lui a fait des avances. Je m'en veux, j'aurai dû en parler plus tôt. Peut-être qu'il a forcé Maeva aussi... Je n'ai rien fait, je me suis replié sur moi-même et du coup, c'est arrivé. Je n'oublierais jamais la voix de Luna quand elle a téléphoné pour me le dire. Elle m'a convaincu de ne pas porter plainte, car la famille, c'est important mais je le regrett e! Je m'efforce de bien m'entendre avec mes parents, pour Meghan, surtout.

Il va falloir que je me pose. Tout tourne autour de moi et ça va trop vite. Je voudrais vomir toute la noirceur autour de moi. Comment peut-on infliger ça à son propre fils ? Où Neil puise-t-il cette force de caractère pour ne pas en foutre une à son père ? Et Luna, ne voit-elle pas que son silence rend Neil malade ? A moins que... à moins qu'elle n'y trouve un quelconque intérêt...

Je m'effondre dans l'herbe. L'adolescente que j'étais n'avait pas la vie facile, loin de là.

Maman se mourrait, papa était désemparé et ne savait pas palier au besoin d'une petite fille puis d'une adolescente, ne parlons pas de mon grand papa qui essayait de faire au mieux et ces affreuses pestes qui se moquaient de mon apparence ou de mon soi-disant manque d'hygiène. C'était très dur. Savoir qu'il me restait de la famille qui ne voulait pas de nous, aussi.

Mais là, on est à un niveau que je ne maîtrise pas du tout. Et si Neil avait raison ? Et si je n'étais pas forgée du fer pour affronter le monde des paillettes ?

Il s'assied à côté de moi.

- Tu permets ? Me demande t-il en me montrant un paquet de cigarettes. Mon expression doit me trahir car il émet un petit rire avant d'allumer son poison.

-Je ne savais pas que tu fumais.

Il exhale de la fumée avant de me répondre.

- Rarement et ne t'avise pas de le faire, c'est un poison pour la voix.

Cette fois-ci, c'est moi qui rit.

- Eh bien, voilà l'hôpital qui se fout de la charité ! Et la tienne de voix ?!

- A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle.

Il a ce drôle de petit sourire espiègle qui embrase mon ventre. C'est ça tomber amoureux ? Ce mélange d'émotions explosives ? Un peu de bonheur, beaucoup de chaleur, un lot de tristesse et tout un tas de facteurs pourris ?

Bravo Emilie, tu aurais pu t'abstenir.

Un jour, j'ai demandé à papa si le fait d'aimer maman n'avait pas été trop dur durant ses années de maladie. Il m'a répondu que chaque seconde en avait valu la peine. Que chaque sourire, chaque caresse et chaque mot doux étaient les trésors qu'il chérissait aujourd'hui.

Alors, j'enlève sa cigarette à Neil, l'écrase.

- Neil, donne-moi la raison de ta présence.

Nous avons les regards ancrés l'un dans l'autre. Il prend mon visage en coupe d'un air résolu.

- Attends-moi. Attends-moi jusqu'à ce que je puisse régler cette histoire.

....

Neil est reparti à Paris rejoindre le groupe. Ils ont pas mal d'interviews et de contacts pour l'album suivant. C'était étrange de le voir chez moi, parler avec ma famille. Qui, et c'est étonnant, n'ont pas bronchés devant le piercing ou le look de mauvais garçon.

Seuls tous les trois, nous passons une soirée aux accents nostalgiques. Génesis sur la platine et en avant la musique ! Avant de me coucher, je pose brièvement la tête sur les genoux de grand papa.

- Ton choix est étonnant, murmure- t-il, mais il a l'air d'être un bon petit gars. Même avec ce bout de métal dans la lèvre.

Ah, quand même !

...

"Attends-moi"

Je n'ai pas fait le choix de tomber amoureuse de lui mais je peux faire celui de ne plus souffrir à cause de lui.


Dans les yeux d'Emilie( en réecriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant