Chapitre 05

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Tous mes sens s'étaient mis à l'affût. Mes yeux ne cessaient de dévisager la dépouille à mes pieds. Dépouille que je ne voyais plus que comme un morceau de viande appétissant. Tout mon corps tremblait, prit d'une adrénaline subite. Mes gencives se mirent brutalement à me brûler, comme si mes dents se mettaient à déchirer toutes les chairs sur leurs passages. Mon regard pivota vers une plaque de métal à moitié ensevelit dans la neige. Je me hâtai de l'extirper, observant le reflet de mon visage. J'ai eu un geste de recul en me contemplant... Mes iris brillaient d'une lueur qu'y m'était inconnu, un mélange de rouge et d'orange. Certains vaisseaux sanguins ressortaient au contour de mes yeux, comme de fines lignes rougeâtres, à la limite du noir. Mes pupilles s'étaient dilatées me donnant un air encore plus fou.

Lorsque mon regard loucha vers ma bouche, j'ai remarqué qu'elle saignait. De petits filets de sang s'écoulaient de ma lèvre inférieure jusqu'au bout de mon menton, laissant de fines gouttelettes tomber au sol. J'entre-ouvris mes lippes, admirant avec une fascination morbide les crocs se dressant fièrement à l'intérieur de ma cavité buccale. J'en étais tellement captivé que j'en oubliais pendant un instant l'endroit où je me trouvais et ce qu'il se passait. Ce n'est que lorsque le bout de fer m'échappa des mains que mon attention se focalisa à nouveau sur le corps inerte du garçon. Je m'accroupis rapidement à ses côtés et porta mes doigts à sa plaie ensanglantée, recouvrant le bout de mon index de ce liquide visqueux et brunâtre. Comme hypnotisé par chacun de mes mouvements, je portai lentement mon doigt vers ma bouche, entre-ouvrant cette dernière dans le but de goûter ce mets qui me faisait tant saliver.

Seulement quelqu'un m'en empêcha, et pas d'une façon des plus tendre... A grand coup de pied dans la mâchoire plus précisément.

J'ai à peine eu le temps de comprendre ce qu'il m'arrivait que ma tête percuta brutalement le sol, me faisant m'étaler de tout mon long dans la neige. Toujours en étant sonné, un pied se posa sur ma gorge, stabilisant ma tête et m'empêchant de me relever. Mes yeux envoyèrent des points noirs contre ma rétine et lorsque ma vue fut moins floue, je pus observer à ma guise celui qui avait interrompu mon festin. Un homme plutôt jeune, dans la vingtaine à vue d'œil, me surplombait, appuyant de tout son poids sur sa jambe, m'étranglant sans la moindre pitié. Ses yeux noirs me scannaient d'un regard froid et blasé. Ses iris alternèrent entre le corps du petit garçon et moi. Une moue de dégoût apparut sur son visage lorsqu'il m'observa une nouvelle fois.

C'est comme si le voir me regarder de cette façon m'avait remis les idées en place. Une violente envie de vomir s'empara de moi, et mon estomac se souleva douloureusement, me laissant à peine le temps de me dégager de son emprise -à l'aide d'un élan de force assez inattendu- pour me laisser tout le loisir de dégobiller un peu plus loin.

J'étais sur le point de dévorer ce garçon. J'allais faire la chose la plus répugnante au monde, et ce, sans le moindre remords, comme si tout était naturel.

Naturel. Ce mot me fit régurgiter de la bile une nouvelle fois. Rien de tout ça n'était naturel. J'étais dans la merde jusqu'au cou. L'autre inconnu s'approcha de moi sans un bruit, posant une main sur mon épaule, me forçant à me retourner pour lui faire face. Ma respiration était haletante, mon regard était hagard, mes membres tremblaient vivement faisant s'entrechoquer mes dents, ce qui me permis de constater que mes crocs s'étaient rétractés. Enfin une bonne nouvelle dans tout ce bordel...

Refusant d'affronter ses yeux, je me dégageai de sa prise une nouvelle fois, me jetant -en rampant dans la neige- sur la ferraille m'ayant échappé des mains quelques minutes plus tôt. Portant le substitue de miroir à mon visage, je constatai avec soulagement que j'avais de nouveau une apparence « normal », sans compter mon teint blafard, mes cernes de dix mètres et les nombreux vaisseaux sanguins ayant explosé dans le blanc de mes yeux. Je ressemblais à un camé n'ayant pas eu sa dose quotidienne... Mais c'était déjà mieux. 

JarodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant