Chapitre 09

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Je plaquai vivement ma main contre ma bouche, sentant les crocs déchirer mes gencives tel des lames affutées. Je scrutai les environs, le regard hagard et paniqué. Je ne devais pas perdre le contrôle, pas là, pas maintenant. Seulement mon corps en avait décidé autrement, alors, la respiration haletante, les yeux brûlant, les membres tremblant, j'avançais. J'avançais lentement vers ce groupe de jeune, ils étaient, à l'heure actuelle, rien de plus que de la nourriture, un steak, une sucrerie. Ils étaient mon repas. Mes lèvres s'étirèrent en un sourire morbide, mon corps était pris de petits spasmes, me faisant trébucher à chaque pas, manquant de me faire tomber.

Ils ne m'avaient pas encore repéré, trop occuper à secourir ce pauvre type à la jambe ouverte. Il n'y avait que nous. Le prédateur et ses proies. Il ne me restait que quelques mètres avant de les atteindre, j'avais l'impression que le temps tournait au ralentit, que chaque centimètre parcourut prenait des heures. C'est le bruit de l'ambulance qui me tira de ma léthargie meurtrière. Comme si les sirènes cherchaient à me faire reprendre mes esprits, ne serait-ce qu'un minimum. Ce qui réussit... En quelque sorte. Je m'étais réfugié dans une ruelle adjacente, observant de loin, salivant, bavant presque à la vue de tout ce sang.

Alors que j'allais me ruer sur eux, la folie et la faim reprenant le dessus, je me sentis tirer en arrière. Une horrible impression de déjà-vu me saisit, et cette dernière se confirma lorsqu'un Ares sortit dont-ne-sait-où se posta devant moi, le regard sévère, voir presque déçu. Le soleil tapant fortement sur mon crâne me faisait perdre la boule, perdre le peu de raison qu'il me restait. Je sautai précipitamment à la gorge de mon vis-à-vis, cherchant à planter mes crocs dans son cou. Rien que l'idée de sentir son liquide vital couler le long de mon œsophage me fit tressauter d'excitation. Il m'assena un coup violent à l'abdomen, me faisant gémir et m'écrouler au sol, seulement, l'adrénaline et mon ventre grondant de rage me firent me relever en moins d'une seconde. Mon regard était devenu fou, je n'en avais plus rien à faire de m'attaquer à des êtres humains, tout ce qui résonnait dans ma tête n'était que l'envie de me nourrir. Manger, manger, manger et encore manger. Plus rien d'autre ne comptait. Ares m'assena un nouveau coup, dans le visage cette fois-ci, me faisant reculer dans un couinement plaintif. Il frappa à nouveau, m'obligeant à m'éloigner de mes proies, il continua ce petit manège jusqu'à ce que l'odeur du sang soit moins forte et persistante.

Cela n'avait pas suffi à me faire reprendre contenance, mes yeux exorbités scrutaient chaque pavé sur le sol à la recherche de quoi me repaitre. Mon gêneur me parla, mais ses mots ne résonnaient pas à mes oreilles, seul un sifflement aigu se faisait entendre, puis une sorte de bourdonnement qui m'obligea à plaquer mes mains contre mes oreilles. La violente migraine qui s'en suivit me fit poser les genoux à terre, me tenant le crâne avec douleur, un lourd grognement m'échappa. Tout autour de moi commençait à tanguer, bouger, basculer, au point d'apercevoir le sol au plafond et inversement. Je sentis que l'on me relevait, et portait, mais la douleur était telle que je ne me focalisais que sur ça ; oubliant le monde l'espace d'un temps. Lorsque mon corps toucha à nouveau le sol, je n'étais plus que sueur, les vêtements trempés, le front brûlant d'une fièvre abusive. Mes frêles membres se mirent à convulser, je sentais ma bouche s'ouvrir et se fermer, cherchant à accaparer le plus d'air possible. J'étouffais, je souffrais, ma migraine ne faisait que s'accentuer. Mon être entier semblait en pâtir. Puis tout s'arrêta. Comme ça. Brusquement. Plus aucunes douleurs, aucuns spasmes, rien. Seul mes yeux ouverts fixaient un point inaccessible avec attention. Plus rien ne comptait. De légers chuchotis parvinrent à mes oreilles mais je n'y prêtais pas attention, me contentant d'admirer la toiture.

« Nourri-toi. »

Cet ordre qui résonna dans ma tête me fit de nouveau bouger. C'est à une vitesse que je crus impossible à atteindre que je me jetais sur la première personne venue, mais je fus bien vite éjecté à l'autre bout de la bâtisse. Sans prendre la peine de jeter un œil sur mes -nombreuses- blessures, j'entrepris de bouger à nouveau, sautant à la gorge d'une personne inconnu. Mon coup réussit cette fois, et mes crocs se plantèrent dans la chair tendre du cou de ma victime. Cette dernière s'affaissa sous mon corps qui s'écroulait littéralement sur son torse. Je pompai goulument son sang d'une façon instinctive, comblant mon estomac affamé. Ce n'est qu'au bout de quelques secondes que je repris légèrement mes esprits et le contrôle de mon organisme. Ma tête était encore embrumée, mais je me rendis rapidement compte du goût atroce du liquide dont j'étais en train de me repaitre. Comprenant que j'étais sur le point d'ôter la vie à quelqu'un je me dégageai rapidement, reculant de quelques pas, trébuchant et m'étalant sur le sol, mes fesses me servant d'amortisseur. Je fixais les gens m'entourant d'un regard apeuré. Je me trouvais dans la taverne ; Ann et quelques autres auprès de moi, les sens en alerte, au cas où je perde le contrôle une fois encore probablement. Mon regard se porta cette fois sur la personne que j'avais mordu. Il s'agissait d'Ares. Il grognait en se tenant le cou, me fusillant d'un regard noir par la même occasion. Lutty, que je reconnu sans peine s'approcha de lui à grands pas, insistant pour voir la blessure que je lui avais infligé. Une goutte de sang s'écrasa sur mon pantalon et je portai mes mains à mon visage d'un geste lent et craintif. Mes mains ne tardèrent pas à toucher le liquide poisseux qui couvrait la moitié de mon menton, sans parler de ma bouche. Je sentis même quelques éclaboussures couler le long de ma joue. Mon corps se mit à trembler, mes yeux s'emplirent d'eau et un hochet de peur passa la barrière de mes lèvres. Ann fut celle qui se détendit la première, s'approchant de moi, s'accroupissant à mes côtés, les yeux remplis d'une douceur et froideur contradictoire.

JarodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant