Chapitre 19

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Il y eut un moment de flottement où l'on se fixa droit dans les yeux. Puis les siens s'ouvrirent subitement de stupéfaction, comme réalisant à l'instant que je me tenais devant elle. Sans plus de cérémonie, elle m'empoigna par les épaules et m'attira à elle dans une étreinte chaleureusement étouffante. Tout aussi vivement elle agrippa mon visage en coupe, puis observa le moindre de mes traits.

- Mon Dieu mon chéri... Je suis tellement heureuse de te revoir. Rentre, ne reste pas sur le pas de la porte. S'exclama-t-elle, la voix enrouée d'émotion.

Une fois dans le petit hall d'entrée, je pris le temps de me déchausser avant de suivre ma mère en direction du salon. Elle se laissa tomber lourdement sur le divan bleu et m'invita d'un sourire patient à la rejoindre. A vrai dire, j'étais assez mal à l'aise... Quoi de plus normal ? Je suis un semi-vampire et elle, une ancienne chasseuse. Néanmoins, je ne me fis pas prier plus longtemps et m'assis près d'elle. Elle saisit doucement mes mains entre les siennes et cajola mes doigts avant de prendre la parole d'une voix à la fois sérieuse et calme.

- Je crois que nous avons beaucoup à nous dire. Commença-t-elle. Avant toute chose, j'aimerai que tu me certifies que tu es bien un vampire... Je pense que je n'arriverai à le croire que si c'est toi qui me le dit.

- Je n'en suis pas vraiment un... Juste... Je ne me suis jamais nourris de sang humain. Alors je suis encore un nouveau-né.

Elle hocha la tête, la mine soucieuse et concentrée.

- Les nouveau-nés ne tiennent généralement que très peu de temps avant l'appelle du premier sang... Comment réussis-tu à tenir ?

- Il s'est passé de nombreuses choses... Mais jusque-là il n'y a que le sang d'Ares que j'ai bu... On peut dire que cela me cale, en quelque sorte...

- Mais Ares est lui aussi un vampire n'est-ce pas ? Tu ne devrais pas être capable de te nourrir de lui...

Un soupira s'échappa de ses lèvres puis elle me lança un simple sourire crispé. Je sentais la gêne émanant d'elle, comme si elle ne savait pas vraiment quoi dire, quoi faire, comment agir. Je finis par enlever mes mains, se trouvant toujours dans les siennes, les ramenant contre mes jambes. Un rire sans joie m'échappa alors que mes yeux se faisaient fuyant.

- On m'a déjà dit que j'étais bizarre. Mais je ne sais pas pourquoi, c'est comme ça, c'est tout...

Ma mère ne l'entendit pas de cette manière, elle ré-agrippa mes mains, les serrant plus fortement, comme pour capter mon attention. Chose qu'elle réussit à faire car nos yeux s'encrèrent l'un à l'autre une nouvelle fois.

- Je pense connaitre la raison de ta différence. Souria-t-elle tristement.

Ses pouces se mirent à dessiner des cercles sur le dos de ma main, mais elle garda silence. Une minute, puis deux s'écoulèrent. Elle semblait perdue dans ses pensées, remplie de nostalgie et de chagrin.

- Je pense que c'est grâce à ton père. Lâcha-t-elle finalement.

- Mon père... C'est un vampire n'est-ce pas ?

Un soupir puis un hochement de tête me répondirent. A nouveau son regard s'emplit de souvenirs, laissant flotter un vague sourire sur ses lèvres.

- On s'est rencontré par pur hasard. Il m'a aidé un jour puis est reparti comme il est arrivé. Pour moi il n'allait s'agir que d'un homme gentil et aimable mais il a fallu que nos chemins se recroisent. Comme tu as dû le comprendre, je suis, étais, une chasseuse. Notre deuxième rencontre s'est faite lors d'une mission que l'on m'avait confié, j'avais pour tâche de l'exterminer.

J'étais pendu à ses paroles, scotché par cette histoire, mais aussi sincèrement heureux d'enfin apprendre la vérité sur mon paternel.

- Comme tu dois t'en douter, je n'ai pas été capable de le tuer... Sans même comprendre ce qu'il m'arrivait, je suis tout bonnement tombée amoureuse de lui. Gloussa-t-elle avec nostalgie.

- Comment en êtes-vous venu à être ensemble ? Demandais-je, curieux.

- Je l'ai fait tomber sous mon charme que crois-tu ? Ria-t-elle, me tirant un ricanement. Puis j'ai finalement appris ma grossesse. Je ne pensais pas ça possible à vrai dire, mais je n'en étais pas moins heureuse ! Seulement... Même si moi je n'ai eu aucun mal à quitter mon clan, lui s'en fut une toute autre histoire... Il faisait partie de l'Ordre. Il était un officier déjà bien gradé, se trouvant assez proche du Conseil. Il ne voulait pas fuir comme un lâche. Il avait toujours été loyal, et c'est cette loyauté qui l'a tué. Je n'ai jamais connu les circonstances exactes de sa mort, mais un de ses proches ami qui nous soutenait m'a juste informé un matin que ton père s'était fait exécuté pour haute trahison...

Ma gorge s'était soudainement asséchée tandis que les paroles de Lester résonnaient dans ma tête : « une personne que j'ai eu plaisir à exterminer ». C'était là la phrase qu'il avait prononcé à l'entente de mon nom de famille... Le même que celui de mon géniteur. Un immense sentiment de rage grandissait en moi, faisant trembler mes membres de colère. Je voulais sa peau. L'égorger de mes propres doigts.

Ma mère serra un peu plus mes mains dans les siennes, me priant de me calmer. Un éclat de peur se frayait un chemin dans sa voix. Je compris aisément pourquoi... Le miroir se trouvant accroché au mur face à moi me renvoya mon reflet en plein visage. Mes pupilles s'étaient dilatées, mes iris se colorant d'un orange rougeâtre. Ma face était tordue en une grimace de haine, si bien que je faillis m'auto effrayer. Je fermai les yeux rapidement, tentant de reprendre mon calme. Il me fallut bien une bonne dizaine de minutes pour retrouver une apparence normale.

- Comment t'en es-tu sortie toute seule ? Demandais-je, la voix encore un peu tremblante.

- J'ai fuis jusqu'à atterrir dans cette ville, je ne sais pas pourquoi elle plutôt qu'une autre mais c'est ainsi. Comme si c'était une évidence. Grâce à l'argent de ton père et le mien, j'ai pu acheter cette maison et subvenir à mes besoins le temps de ta naissance. Ce n'est qu'après que j'ai pris le poste d'infirmière à l'hôpital du centre. Les revenus ne sont pas éternels et j'avais épuisé mon compte en banque...

- Mais... Quand as-tu passé ton diplôme pour être infirmière ? Demandais-je suspicieusement.

- Jamais. Souria-t-elle malicieusement. Falsifier un document n'est pas tant compliqué que ça.

J'en restais coi.

- C'est peu après mon arrivée dans le service que j'ai fait la connaissance d'Ann.

- Tu connaissais déjà Ann ?! M'exclamais-je.

- Oui. J'étais en service de nuit, et j'avais entendu un bruit suspect lors de ma ronde, pile dans la salle où l'on stockait les poches de sang. Les vieux réflexes ont la vie dure alors j'ai tenté de la tuer... Mais elle était nettement plus forte que n'importe quel autre vampire que j'avais pu croiser. Je me suis faite rétamer. Et ce petit manège a duré longtemps. La nuit elle venait chercher de quoi se nourrir, puis j'essayais de la tuer. Toutes mes tentatives se sont soldés par des échecs. Ria-t-elle.

J'en restais doublement coi.

- Contre toute attente on a fini par se lier d'amitié, puis j'ai appris sa position face au vampire originel. Depuis j'essaie de l'aider comme je peux mais une chasseuse à la retraite n'est pas d'une grande utilité. Soupira-t-elle.

Fichtre... Si l'on m'avait dit un jour que ma mère faisait amie-amie avec un vampire, je pense que je me serais étouffée avec ma propre salive à force de rire. Je comprenais maintenant pourquoi Ann m'avait assuré sans crainte que je pouvais rentrer chez moi. Elle connaissait tellement bien ma mère et son caractère, qu'elle pouvait se permettre de faire de telles affirmations. Un fin sourire étira mes lèvres alors que je me relevais du canapé, annonçant à ma mère que je montais me reposer. Tout ce remue-ménage et ces révélations avaient attisé ma fatigue. C'est avec le pas lourd que mes jambes me guidèrent d'elles-mêmes jusque dans mon lit, dans lequel je me fis une joie de m'écrouler. C'est avec un soupir de contentement que je laissais Morphée m'entourer de ses bras.

JarodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant