13 - Allyson

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Je connais cette situation. Je me rends ici assez souvent. J'y habite même, c'est mon quartier.

Il y a des jours, j'étais certaine de crever, de ne jamais me réveiller tant le froid me brûlait jusqu'à la moelle des os. Tous les soirs d'hiver, j'avais tellement peur de mourir que je notais mon nom et mon prénom sur un bout de papier parce que je voulais qu'on sache qui je suis. Je voulais au moins qu'on mette un nom sur un cadavre, qu'on me considère comme quelqu'un, moi aussi.

En claquant la portière de sa voiture, d'un regard curieux, j'analyse les lieux désastreux. Trois hommes recroquevillés sur eux-mêmes combattent le froid qui frôle à peine les quelques degrés.

— Ça va aller ?

Ilès revient sur ses pas face à mon état de léthargie.

— Oui... Oui, ça va aller.

— Note dans le cahier de signalement, le nom, le prénom et le lieu de ce gars avec les baskets rouges afin que les travailleurs sociaux viennent à sa rencontre demain pour l'aider dans ses démarches. Ça fait un moment qu'il doit passer au centre et il n'y est pas allé. Il a besoin qu'on lui refasse la totalité de ses papiers. Note également dans la colonne d'informations, que pour cette nuit, on lui a trouvé un hébergement à la rose des sables.

Enfin une bonne nouvelle pour démarrer la nuit. J'ai à nouveau de l'espoir.

L'homme édenté qui s'avance vers moi, une lueur d'espoir dans le regard, me sourit comme si j'étais un ange tombé du Ciel.

— Prenez place près de moi et donnez-moi votre identité.

Il monte dans la voiture en s'installant sur la banquette arrière. Je m'assois près de lui, mon dossier en main, prête à noter toutes les informations utiles à son sujet.

— Einstein.

— Pardon ?

— Albert. Comme Albert Einstein.

Une dose d'humour dans un monde dérisoire. Je n'en demandais pas tant. J'en souris en secouant la tête. Sa misérable vie n'a pas — heureusement — altéré son humour.

— Très bien, Albert. Donnez-moi votre nom.

— Canteur.

J'inscris toutes les infos utiles le concernant pour la maraude de jour, sans oublier de noter l'hébergement dans lequel il sera accueilli cette nuit. En discutant quelques instants avec lui, en ne laissant aucune barricade entre nous, j'apprends qu'il est devenu une victime de la rue lorsque son patron l'a licencié pour raison économique. Aucun proche n'a voulu l'héberger ni même ses prétendus bons amis. Ils lui auraient pourtant évité bien des désagréments s'il avait pu se trouver un logement accessible, mais les prix sont tellement inabordables qu'il n'a pas d'autres choix que de vivre son histoire dans la rue.

— Est-ce que vous voulez une soupe bien chaude le temps qu'on s'occupe de vos camarades ?

— Ouais, je veux bien.

Je lui prépare un mug remplit de potage lorsque Ilès me sollicite.

— Allyson, rapporte la trousse de secours qui est dans le coffre !

Je lui fourre quasiment la tasse chaude entre ses mains, et accours prendre le sac de premier soin.

— Merci, mon petit. Que Dieu vous bénisse...

À l'arrière de la voiture, mon cœur se serre avec discrétion. S'il savait que Dieu ne m'a pas épargné, moi non plus. Qu'on est du même monde tous les deux.

Pas sans toi... T Où les histoires vivent. Découvrez maintenant