— Eh !
Je l'interpelle à quelques mètres de là, sans savoir ce que je pourrais bien lui dire pour le retenir. Il me toise de sa stature assez colossale pour un adolescent, baladant son regard méfiant de haut en bas en inspectant ma tenue traditionnelle au frimas de l'hiver.
Qui croit-il que je sois ? Les services sociaux ? Parvient-il à percer à jour celle que je suis réellement ? J'aimerais, de préférence, lui raconter mon histoire. La vraie. La vie difficile que je mène pour l'inciter à me suivre jusqu'aux portes rassurantes de l'association, mais je ne trouve pas de mots simples à lui dire.
Face à une conversation coupée de silence, il fait demi-tour sans même m'adresser la moindre parole. Pour ma part, il est hors de question que j'échoue dans cette intervention. Que va penser Adis quand il saura que je l'ai approché, et peut-être fait foirer tous les plans stratégiques qu'il est en train de mettre en place ? Il faut à tout prix que j'essaie d'établir le contact sans mépriser l'image que ce jeune garçon a de lui.
Malgré mes doutes quant à l'attitude à adopter, il m'est impossible de faire semblant de ne pas l'avoir vu, car je connais que trop bien cette sensation de rejet des passants.
J'ai besoin de faire sonner cet élan de solidarité en moi, alors je hèle. Je crie des mots absurdes, ridicules pour le retenir. De ma bouche, n'en sortent que des gravats.
— Tu n'es pas immonde comme cet homme !
Ses pas ne s'arrêtent pas. Sans interrompre le contact avec le sol, ses mouvements convulsifs trahissent son agressivité contenue. Je décide tout de même de le suivre en restant à une distance respectable.
Soudain, comme une récompense, il stoppe, se retourne pour venir vers moi.
— Qu'est-ce que tu veux, à me suivre comme un p'tit clebs ?
J'en conclus que je devrais me contenter de la colère dans sa voix pour mon premier coup d'approche. Aujourd'hui, je ne parviendrai pas à en savoir davantage sur lui. Ce serait déjà trop lui demander.
Je me suis égarée tel une randonneuse incompétente en forêt, et me voilà maintenant à errer pour essayer de me dépatouiller de cette situation, sans avoir à lui faire porter le doute à mon égard. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que l'on est du même côté, que l'on marche par paire. Que moi aussi, je suis en colère contre la vie.
Je suis aussi persuadé qu'il a de grandes qualités derrière sa hargne. Des atouts extraordinaires.
À pas de plomb, je recule. Il s'avance encore, pose son front contre le mien, à la limite de me mettre un coup de tête bien placé entre les deux yeux.
Deux choix s'imposent à moi. Soit, je me débine ; une possibilité. Soit, je me rebiffe en lui plaçant mon genou dans l'entrejambe ; très peu possible.
Je gémis. Difficile de faire la belle et la rebelle face à un gaillard tel que lui. Je m'imaginais déjà marcher à ses côtés, le dos courbé songeant à tous ses malheurs. Je le voyais me murmurer que la vie était cruelle, sans lumière. Et je l'aurais emmené à ce point final pour qu'il réalise ses rêves ; pour qu'il marche la tête haute malgré tout. Mais j'entends dans sa voix que la rue l'a défiguré, tout comme il me désarme à cet instant.
— Vas-y, barre-toi, tchoin !
N'écoute pas sa voix si dure ni la peur qui circule en toi. Toujours garder en tête que je suis l'aidant, et lui, l'aidé. Le valoriser, c'est d'une logique, All. C'est ce que l'on t'a appris tout au long de ta formation. Je ne dois pas avoir peur de l'autre. Ils sont normaux, ils ne sont pas différents. Lui, Jo, est fragilisé. Il a besoin que l'on s'occupe de lui, alors arrête de flipper, de faire des gaffes, et réfléchis sans jouer au super héros.

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Pas sans toi... T
RomansAll, depuis la mort de ses parents, a abandonné ses rêves pour consacrer son temps aux indigents. Une vie quasi-inexistante, des moyens plus que précaires, elle préfère donner de son temps aux autres plutôt que de prendre soin d'elle. Jusqu'au jour...