Je n'ai jamais manqué de rien. Mes parents dirigeaient la boulangerie du quartier depuis de nombreuses années, et mon père façonnait ma mère avec autant d'amour que lorsqu'il fabriquait son pain. J'ai grandi le nez dans les viennoiseries, mais j'ai toujours été attiré par la mode. Pourquoi ? Je ne sais pas. Le seul truc dont je me souviens, c'est qu'ils travaillaient d'arrache-pied pour subvenir à mes besoins.
J'avais le nez collé à l'écran du téléviseur dans la pièce arrière de la boulangerie dès ma tendre enfance. Quand mes parents ont suggéré que j'étais en âge de rentrer seul à pied de l'école, je ne me faisais pas prier pour fuir chez Adèle, au lieu de rester chez moi à attendre leur retour. Elle m'accueillait avec joie, m'aidait dans mes tâches avec plaisir, et moi ça me convenait. J'avais quelqu'un pour s'occuper de moi pendant leurs absences.
Je vous l'ai peut-être déjà dit, mais Adèle c'est ma deuxième mère, ma maman poule. Elle n'a jamais eu d'enfant. Elle m'avait conté un jour que son mari était décédé d'un accident de voiture ; comme mon père. Il y a 6 ans, juste après mon départ pour les US, j'ai rencontré Paloma durant un défilé. Elle m'a gentiment tendu la main, a guéri mon cœur nostalgique qui, à ce jour, n'est plus capable d'aimer — enfin, c'est ce que je croyais. All a tout bouleversé, a tout foutu en l'air au cours de cette fameuse nuit alors qu'il ne s'est strictement rien passé. Elle a juste connecté son corps au mien comme si l'on venait de rebrancher un appareil qui était en panne. M'a fait ressentir cette chaleur apaisante au fond de moi que j'avais laissé s'éteindre. Elle a fait péter le barrage, franchi la limite sans s'en rendre compte. Son opposition, sa force de caractère et sa détermination à me faire chier, c'est comme un rayon de soleil dans mon Ciel obscur. Comme un challenge que la vie me défie d'accepter, cependant, pour l'instant, je suis en plein négoce avec moi-même. Pas question de faire encore n'importe quoi.
Je jette un dernier coup d'œil au bouquet de fleurs fraîches que j'ai déposé sur la sépulture d'Adèle après être passé sur celle de mes parents. Je déteste ces endroits bourrés de cadavres, alors je décide de rabattre la capuche de mon sweat sur ma tête et de me tirer rapidement du boulevard des allongés. Direction mon legs pour reprendre les ossements de mon passé que j'ai fait surgir de la boîte de pandore. Trop d'interrogations restent sans réponses, et je sens que mon corps a assez de sang-froid pour balancer son pion solitaire sur la roue du destin et y découvrir d'autres secrets.
La vieille boîte posée près de moi sur mon lit d'adolescent, d'une impression étrangement calme, sans tremblements, mes doigts déchiquettent la seconde enveloppe. Je n'ai plus l'appréhension de venir dans cette maison aux mille souvenirs. Ce qui s'est passé avec All dans cette propriété a fait fuir toutes mes craintes et claqué la porte à la frousse. Comme si imaginer sa simple présence pouvait apaiser tous les maux du monde.
Un chiffre, un mot : 1 mois. Un cake recouvert d'un nappage au chocolat planté d'une bougie bleue. Une Adèle souriante serrant dans ses bras rassurants ce bébé plâtré jusqu'à l'épaule. Mais qui est-il ? Adèle n'a jamais portée d'enfant. M'aurait-elle menti ? Ou pire encore. Serait-il mort assez jeune pour que je ne m'en souvienne pas ? Je n'en ai jamais eu part, ni entendu une quelconque conversation au son sujet.
Mon cœur se serre fort tout à coup dans ma poitrine. Non face au mensonge sur une prétendue grossesse, mais devant l'immense tristesse qui se déverse sur le visage de ma mère à cette époque. Je ne m'en souviens pas. Elle m'est totalement étrangère. Aucune date sur les photos, aucun indice qui me permettrait de situer ce douloureux moment.
Un sourire vaniteux aux lèvres, ses bras autour des épaules d'Adèle et de ma mère, mon père sourit avec fierté. Il ne me faut pas plus d'une infime putain de seconde pour comprendre à la photo suivante qui il est réellement.
La boîte abîmée en métal s'écrase, se fracasse avec force contre le mur, détruisant tous ces souvenirs merdiques métamorphosés en terreurs nocturnes et bêtes noires.
— Pourquoi Adèle... ?! Pourquoi as-tu fait ça ?! Pourquoi, bordel ?!
Je hurle à la mort tel un loup en fureur. La colère me brouille la vue, la rage me brûle les veines.
Sous une bonne douche d'irascibilité, ma superbe collection d'ancien magazines valdingue dans les airs, brisant au sol en un bruit lourd et rageur, la bibliothèque fissurée.
Je compte jusqu'à quatre pour m'apaiser, et les bonnes intentions que j'avais prises n'éteignent pas le feu. Elles sont les premières à périr. Elles s'évanouissent dans l'air, partent en fumée aussi vite qu'elles me sont venues à l'esprit lorsque je dévale à toute vitesse les escaliers en colimaçon.
Quelle erreur de croire que quelqu'un pouvait être doté d'un peu de bon sens, d'une bonne moralité. Tu parles... La seule à qui je me confiais, la seule à qui je n'avais peur de rien taire, à qui j'ai raconté mon premier chagrin d'amour, vient de me mettre un coup de poignard en plein cœur, outre-tombe.
L'air glacé s'engouffre douloureusement dans mes poumons. Mes doigts nerveux serrent encore plus la cordelette autour de mon cou pour me donner l'impression d'étranglement alors que je suis déjà pris à la gorge par une tonne de merdes qui vient de s'ajouter au mont déjà bien entassé.
Mes pieds rasent rapidement l'asphalte, supportant mon corps douloureusement trahit.
Putain, Paul Léautaud avait raison ! La trahison est la seconde nature des femmes. Elles ne tiennent jamais leurs promesses cachées sous leur gentillesse. Ce ne sont que des œuvres littéraires peuplées d'infidélités impardonnables. De vraies Satan à l'intérieur.
J'étais prêt à faire des efforts considérables pour étendre la distance avec le diable, mais mon double lui a déjà serré la main. On ne peut plus nous confondre tous les deux. Autrefois, j'étais prêt à combattre par la force des armes pour m'en sortir, mais les blessures profondes ont toujours raison.
J'allonge ma foulée pour purifier mes pensées, pour libérer ce manque atroce qui se creuse au plus profond de moi, et dans l'élan, d'un revers de main rageur, j'essuie mes yeux larmoyants en accélérant encore ma course jusqu'à ce que mes poumons me brûlent à fond.
Putain, ne me dis pas que tu vas encore te mettre à chialer, Styles ?!
Mon cœur se resserre et pleure encore ta perte. Depuis ta disparition, je n'avais pas envisagé que ma vie prenne ce chemin, ni une telle issue. Je déconne dans mon monde, je perds la tête depuis ta mort. C'était si brutal tout à coup, que je n'arrive plus à donner mon cœur à quiconque. Ta disparition a engendré tellement de colère en moi, que je me dois de m'écarter du chemin de la vie pour oublier... Pour éviter de penser que tu n'es plus là, près de moi...
Seulement, voilà que je découvre que mon père se tapait la meilleure amie de ma mère, putain ! Un être qui m'était aussi cher que mon sang.
Je déteste les femmes, je les hais toutes autant que je te maudis, de m'avoir abandonné... Mais elle, je ne sais pas pour quelle raison, bon Dieu ! Je n'arrive pas à comprendre pourquoi j'ai besoin de la sentir pour être rassuré, même si je dois la blesser.
Ai-je le droit d'aimer une autre femme que toi ?
C'est comme si l'on me poussait à avancer alors que je ne sais pas marcher. Comme si l'on me jetait à l'eau alors que je ne sais pas nager. Je fais peur, je fais flipper, par malheur pour elle, elle s'est retrouvée sur mon chemin. Et voilà que maintenant, je lui promets presque un avenir à deux. Quel connard de lui avoir fait croire...
Est-ce que je regrette ? Je n'en sais rien. Je n'ai jamais autant déversé de haine sur quelqu'un, mais quand j'ai vu les larmes sur ses joues, je me suis demandé depuis quand je suis devenu ce mec-là. Deux personnes résident en moi. Celui qui a envie de fourrer ses mains partout sur son corps, de toucher sa peau et de goûter sans fin à ses lèvres. Et celui qui joue l'enfoiré. Qui s'en balance de tout, même si ça doit faire vibrer la Terre entière. J'ai essayé de la virer de moi, de ma tête, mais cet enfoiré prend toujours le dessus. C'est un monde dans lequel je me sens plutôt bien depuis des mois et encore plus depuis quelques minutes. Mais faut pas me leurrer. J'aimerais sortir de cette putain de vie, mais c'est trop dur à avouer parce que c'est dans le seul monde où je me sens en paix. À partir de maintenant, je ne compte plus en sortir. J'éviterai de distribuer de l'amour qui finira par me blesser en retour, et porterai les premiers coups contre l'assaillant avant qu'il ne m'atteigne. C'est désormais la seule façon dont je procéderai...

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Pas sans toi... T
RomanceAll, depuis la mort de ses parents, a abandonné ses rêves pour consacrer son temps aux indigents. Une vie quasi-inexistante, des moyens plus que précaires, elle préfère donner de son temps aux autres plutôt que de prendre soin d'elle. Jusqu'au jour...