23 - Allyson

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Je passe la porte, le sourire aux lèvres en repensant à ma petite séance de selfie perso. C'est plus fort que moi, je ne peux m'empêcher de passer sans arrêt ma langue sur mes lèvres comme si son goût y était encore.

J'ai senti son regard vorace braqué sur moi. Il était fixe, mais je l'ai imaginé glisser sur ma peau et je n'étais pas la seule à le penser. L'excitation nerveuse s'est insinuée sans un bruit dans mes tissus jusque dans mes entrailles, telle une promesse faite par un tigre à une jolie fille. Pas de doute, son désir de me faire sienne était bien présent.

Styles s'invite à la réunion comme un cheveu sur la soupe, mais à point. Ça me fait du bien de savoir qu'il était à mon écoute hier soir. Que son attention n'était pas totalement focalisée vers cette fille, même après lui avoir fait croire que je passais la soirée avec Mans alors que ce dernier n'était pas au courant lui-même.

S'il tient vraiment ses promesses — parce qu'avec lui on ne s'y attend jamais, mais il peut être d'une attitude renversante —, j'avoue que je serai soulagée de conserver mon poste grâce à l'aide précieuse et importante qu'il apporterait au centre. Il nous enlèverait une sacrée épine du pied.

Je ne veux connaître ni ses motivations, ni l'idée fixe qui lui trotte derrière la tête. Même si j'ai ma petite opinion sur la question. Et sans me vanter, je trouve que c'est une excellente raison.

La brume danse en enlaçant dans ses bras le froid des rues. Elle recouvre la chaussée nous empêchant de voir à quelques mètres devant nous, les halos des lampadaires faisant corps avec par imposition.

Je remonte ma veste bien haut jusqu'au cou, fourre mes mains au fond de mes poches en déambulant dans les rues de Paris. Tant pis pour mon écharpe en laine oubliée sur le dossier de ma chaise, je m'en passerai pour ce soir.

Du haut de mes petites baskets en toiles super-souples et agréables à porter, je fais un détour par la planque de Jo. Je traverse le pont où quelques tentes ont installé leur camp, puis fais le tour de l'immeuble avant de passer en catimini derrière les garages en vieille brique. C'est sans crainte maintenant que je franchis ces endroits bondés de cas sensibles, parce que je les connais, je l'ai vécue.

Je retire la mince plaque de bois qui recouvre la totalité du béton effrité, et avance la tête dans l'annexe plongée dans l'obscurité.

— Jo ?

Je murmure. Dans ces lieux vides, la voix nous porte souvent défaut. Elle ricoche contre les murs, et comme on dit : les murs ont des oreilles. Vaut mieux ne pas attirer les soupçons des résidents dans ce lieu qui lui sert d'abri et lui éviter à nouveau la rue et le grand froid. D'autant plus qu'il est très précoce, surtout agressif, cet hiver.

— Qu'est-ce que tu fous là ?

Une vieille voix usée dans mon dos me fait sursauter. Je me retourne, regarde le vieillard dont la silhouette se découpe dans la nuit se tenir dans l'embrasure de ce que j'appellerai : la porte d'un palais improvisé.

Le garage est aménagé d'un vieux canapé usé ainsi que de palettes empilées qui doivent, à coup sûr, servir de table basse. À ma grande surprise, d'un téléviseur en fonction posé à même le sol puisque la veilleuse y est allumée.

— Je cherche, Jo.

— Jocelyn n'est pas là. Ici, il n'y a que moi.

Pas sans toi... T Où les histoires vivent. Découvrez maintenant