Presque une heure que je triture ce foutu jeu de clé entre mes doigts tremblant. Mon cul posé dans cette putain de bagnole garée dans l'allée, devant cette immense propriété qu'Adèle m'a cédé en héritage, à son décès, il y a un an. J'ai été effondré lorsque j'ai appris son décès au téléphone par le notaire, alors que j'étais encore aux States. Rien que d'y penser et de savoir que je vais remettre un pied à l'intérieur, fait monter la colère en moi sans que je n'arrive à me maîtriser. Elle boue tant dans mes veines, que je suis prêt à craquer à tout instant. Et bordel, ce n'est pas le moment !
Elle a bien su masquer sa maladie d'un voile quand je suis venu lui rendre visite tous les ans. Elle a balayé les mensonges sous le tapis pour tenir le secret, alors que j'ai passé plus de la moitié de ma vie dans cette foutue baraque ! J'y ai autant d'agréables souvenirs que d'innombrables confidences.
Adèle était la meilleure amie de ma mère. Après le décès de mon père dans un malheureux accident de la route alors que j'avais 8 ans, elles sont devenues encore bien plus proches. J'habitais à deux rues de là, quand Adèle m'a prise sous son aile. Ma mère qui était tombée en dépression après sa mort, était incapable de s'occuper de moi. Puis par la suite, quand elle a dû cumuler deux boulots pour subvenir à nos besoins. Elle a toujours travaillé pour que je ne manque de rien, et je dois bien avouer que si elle observe de là-haut le fils que je suis devenu à présent, elle serait désagréablement déçue et se retournerait dans sa tombe.
Adèle, je la considérai comme ma deuxième mère. Je l'appelais d'ailleurs parfois « Adélène » mais elle m'interdisait de l'appeler ainsi devant ma vraie mère ; Hélène. Je me rappelle qu'elle m'avait réprimandé la première fois que je l'avais prononcé sans prêter attention à ma génitrice qui était dans les parages. Je ne sais pas si elle était heureuse ou vraiment en colère, mais ses mots me marquent encore : ne m'appelle pas ainsi devant ta mère ! C'est à elle que revient le mérite d'être appelé maman contrairement à moi. Regarde tout ce qu'elle fait afin que tu ne manques de rien.
J'avais cogité toute la nuit à ses paroles. Je ne remarquais même plus que ma mère accumulait les boulots pour mes propres besoins, parce que j'ai toujours vécu comme ça quand mon père était encore vivant... Dans l'aisance. Je ne faisais plus attention à la délicatesse de son amour parce qu'elle a toujours été aux petits soins avec moi.
Je claque doucement la portière de ma voiture en fixant le pavillon, et croise les bras sur le toit de ma voiture en soupirant mon mal-être. Le cœur battant à cent mille à l'heure, j'ai peur d'ouvrir la porte de mes souvenirs. De me reprendre en pleine gueule tous ces fous rires en famille, entre amis, et de ne pas pouvoir en supporter davantage que ce que ma misérable vie m'inflige déjà.
Les murs en briques ont un peu verdi, corrodés par le temps. La toiture en verre ainsi que les pans vitrés, sont encrassées, marqués par la pluie et le vent.
— Allez, Nick. T'as des couilles ou pas ?
Tout en marmonnant, j'avance jusqu'à la double porte vitrée en chêne. Je tire d'un geste malhabile la clé de ma poche arrière. Tout en l'insérant, je pose ma main qui tremble toujours autant sur le battant, en hésitant. Il est encore temps de me barrer à l'autre bout de la planète pour tourner la page à tous ces souvenirs, toutes ces merdes accumulées, et faire comme s'ils n'avaient jamais existé, mais trop tard... Mes pieds foulent à peine le parquet de l'ancienne verrerie, que l'odeur de bois me frappe en plein visage. Cette même odeur qui a bercé mon enfance.
En levant les yeux au Ciel, le soleil essaie de pointer à travers les nuages gris et la poussière de la toiture en verre, illuminant à peine les trois ponts du bâtiment. Je traverse le couloir en avançant droit vers le salon. Tout le mobilier est recouvert de drap blanc, comme si cet endroit était mort depuis longtemps ou n'avait même jamais existé.
Dans ce silence de plomb, je les retire tous, les lâchant négligemment au sol. La gorge nouée, je gravis les quelques marches de bois rustiques en repoussant les vieux rideaux poussiéreux, passant par l'étroite ouverture qui mène à l'extérieur, elle aussi en verre, pour me réfugier sur le balcon. La réminiscence de mon enfance me chope à la gorge, que j'en manque de m'étouffer. Les lieux sont restés tel quel depuis toutes ces années.
Je dégage le banc d'angle de sa housse en plastique que je jette dans un coin, et prends appuie de mes mains tremblantes sur la rambarde pour contempler le paysage endormi d'octobre qui s'étale devant mes yeux. Je respire à plein poumons l'air frais qui me brûle la gorge en m'allongeant sur les coussins humides, bourrés de petites taches noires.
En croisant les bras derrière ma tête, je me dis que finalement, j'ai passé plus de temps ici que je ne le pensais, rien qu'à me remémorer le nombre de soir où j'ai passé des pans de nuits à compter les étoiles. Où je me suis planqué à la cave pour ne pas rentrer chez moi par crainte de me retrouver seul avec ma peur.
De fines gouttes de pluie me sortent de ces souvenirs précis. Je recouvre le banc de sa protection avant de monter à l'étage. La main toujours aussi tremblante sur le garde-corps, mon pied droit appuie sur la première marche. Je revois le nombre de fois incalculable où mes jambes ont dévalé ces escaliers en courant.
C'est comme si je consultais les annales de ma vie lorsque je pousse la porte de ma chambre. Tout y est, rien n'a changé. La couverture de mon superhéros pliée avec justesse en travers mon lit. La bibliothèque blindée de magazines de mode — tous aussi vieux les uns que les autres — classés par catégorie. Et même mon vieux pull en boule au pied du lit n'a pas changé de place.
J'en ris.
— Oh, ma douce Adèle... Tu as laissé ma chambre dans le même état qu'à mes 17 ans. Tu n'as même pas rangé ce que j'ai déplacé l'année passée.
Je m'assieds sur le rebord du lit, et avant même que l'arrière-goût de ces années d'innocence me revienne en mémoire, j'aperçois une vieille boîte en métal toute cabossée, posée sur mon bureau. Je me redresse aussitôt et me dirige vers elle. C'est un vieux contenant, où, auparavant, elle y planquait une tonne de friandises.
Combien de fois, me suis-je fait prendre la main dans le sac ?
J'en souris encore, planté comme un con au milieu de ces souvenirs qu'elle a accumulé durant toutes ces années, durant tout ce temps ensemble.
J'ôte le couvercle. Elle est pleine à craquer de lettres pliées, écrites sur du papier vieilli, et d'enveloppes scellées qui se sont usées au fil du temps. J'en attrape une, la déploie par curiosité et commence ma lecture. Tout à coup, je chute, mon âme se ruine. Je me suis tellement lamenté sur mon sort ces derniers temps, que ce que j'y découvre n'est qu'une larme qui vient de s'écouler dans ma descente aux enfers.
— Nick !
— Nick ! Tu es là ?!
Les souliers de Margaux et les pas de Max, résonnent lourdement dans les escaliers. Je remets en moins de deux la lettre à sa place dans la boîte et m'empresse de la refermer.
— Tout va bien ?
Je sursaute à sa voix qui surgit dans mon dos, au moment où je claque trop fort le tiroir de mon bureau.
— On a toqué plusieurs fois et essayé de t'appeler, mais tu ne répondais pas.
— Oui, tout baigne. Tout va bien.
Enfin, je crois...
VOUS LISEZ
Pas sans toi... T
Roman d'amourAll, depuis la mort de ses parents, a abandonné ses rêves pour consacrer son temps aux indigents. Une vie quasi-inexistante, des moyens plus que précaires, elle préfère donner de son temps aux autres plutôt que de prendre soin d'elle. Jusqu'au jour...