21 - Allyson

1.1K 96 11
                                    


Une bonne douche aux senteurs de luxe de chez Mademoiselle Margaux. Un bon thé chaud auquel j'étais incapable de choisir le parfum tant ils ont une ribambelle de goûts à apprécier. Sans faire abstraction aux inoubliables ronflements de Max qui ont dû lui péter la cloison nasale et que j'ai entendu à mon réveil. Quoi de plus pour commencer cette merveilleuse journée ?

Mes pieds foulant le sol bitumé, en marche vers le bâtiment de l'association, je plante avec délice mes dents dans ma pomme, cette sensation étrangère de bien-être fluant dans tout mon corps.

Cela fait des lustres que je n'avais pas aussi bien dormi. Et aussi longtemps. Faut dire, qu'hier soir, le ciel avait pris la forme effrayante d'un cataclysme. Je n'avais pas eu d'autre choix que de contacter Max en urgence après ne pas avoir réussi à joindre Margaux, et que quelques gouttes d'eau commençaient à passer à travers le toit de ma maison. Il m'a fait savoir qu'ils étaient partis en virée. Je suppose qu'il a dû lui montrer ses talents dans un endroit paradisiaque après sa superbe demande en mariage. Lorsque je me suis levée ce matin, ils sommeillaient encore. J'ai griffonné quelques mots sur un post-it que j'ai collé sur leur porte de chambre pour les remercier de leur grandeur d'âme. Encore une fois...

Un dimanche qui débute sans gloire, au final. Dans quelques heures, rassemblement général avec toute l'équipe en fin d'après-midi pour conférer sur l'avenir incertain de l'association. À cette pensée, un lac acide me ronge soudain l'estomac, une boule oppressante m'entrave la gorge jusqu'à m'empêcher de respirer. De quelle couleur sera mon avenir ? Rose bonbon ? Noir enfer ? Je n'ai pas envie de perdre ce travail. C'est tout ce que j'ai.

L'association, en plus de mon temps en tant que salariée, n'est pas qu'une simple distraction durant mes heures perdues. Elle m'a aidé à traverser mes nombreuses galères. À stabiliser mon chemin gorgé d'emmerdes. Elle m'a tenu compagnie, m'a apporté son soutien quand j'allais embarquer mon corps au bord des chemins routiers pour l'entraîner dans le poison de la prostitution.

On a beau côtoyer parfois des personnes frivoles ou malhonnêtes, c'est mon métier d'aider tous ceux qui passe la porte de la rive gauche. C'est mon job et j'y tiens. C'est parfois fatigant du point de vue mental, mais la paresse, je la considère comme une perte de temps. Autant utiliser mon énergie à bon escient pour aider ce qui en ont besoin, et éviter de me lamenter sur mon pauvre sort.

J'ai goûté à la rue très jeune, la vie ne m'a pas faite de cadeau. Je ne sais pas si je dois la remercier d'avoir allégé mes rêves et m'en avoir fait perdre son goût, mais je l'ai accepté. J'ai accepté de tout perdre. La vie futile que je possédais et le bonheur — hélas, à crédit — qu'elle me procurait. C'est difficile de perdre contact avec le monde et de connaître le vide. Moi qui déteste perdre, j'en ai tiré une bonne leçon. On se sent bien plus vide à côté de ceux qui nous tournent le dos. De cette famille parfaite que vous considériez comme votre archipel... Rien que de l'imaginaire.

J'écarte les branches d'arbre dont certaines sont cassées, puis enjambe un tronc arraché par la tempête en continuant à avancer dans mon chemin boueux. On dirait que le vent s'est transformé en carnivore ou qu'un castor est passé dévorer tous les bois de la forêt.

Quand j'arrive près chez moi, mon corps tremble comme si la Terre perdait l'équilibre. Comme si on avait expulsé ma maison à l'autre bout de la planète et que mon paradis n'était plus qu'un souvenir.

Ma poitrine se serre à m'en broyer les côtes quand mon voisin passe près de moi en me considérant droit dans les yeux. Pas besoin d'alimenter son esprit, il lit sans efforts dans mes pensées. Logique. On survit tous les deux dans une situation où notre stabilité existentielle et financière ne sont pas assurées.

Pas sans toi... T Où les histoires vivent. Découvrez maintenant