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— C'est ton grand frère du coup ? Tu as quel âge au fait ?
— Oui c'est ça et j'aurais bientôt vingt-cinq ans.
— Il m'a dit de me méfier de toi, que tu avais eu des soucis avec des filles, c'est quoi cette histoire ?
— Une. Une seule fille, me corrige-t-il.

Il repose ses couverts au bord de son assiette à présent vide et joue un peu avec ses doigts, l'air visiblement nerveux, il me lance un regard inquiet mais ma curiosité reste entière et je meurs d'envie de savoir, surtout si je suis potentiellement en danger. Il hésite avant de finalement soupirer et d'enfin me répondre vraiment.

— Une histoire compliquée avec une ex... C'était une fille un peu perturbée et notre séparation s'est vraiment mal passée... Elle menaçait de se foutre en l'air, elle m'a accusé de pas mal de trucs en voyant que son chantage ne marchait pas. Et forcément mon frère en a rajouté. C'était vraiment une sale période.
— Hm... J'imagine...

J'ai l'impression qu'il ne me dit pas tout mais je n'ose pas insister plus que ça surtout que cette histoire ne me concerne pas vraiment puisque c'est juste une embrouille entre lui et son ex. Ma curiosité étant assouvie je mets fin à mon subtil interrogatoire et c'est lui qui prend la relève si bien que je finis par esquisser un portrait un peu brouillon de ma vie entre mes études de commerce qui ne m'intéresse pas, ma solitude de fille unique avec des parents toujours absents ainsi que mon besoin de sortir régulièrement. Intrigué sur ce point il insiste un peu pendant qu'après nous avoir débarrassés le serveur nous apporte discrètement deux cafés.

— Non je comprends pas, quel intérêt de sortir tous les weekends ?
— Je m'amuse c'est tout dis-je en ajoutant du sucre à mon café. Toute la semaine je dois jouer l'étudiante modèle dans une école à trente mille balles l'année, y a que ça qui compte pour mes parents, que je puisse bien taffer ensuite. Que j'ai une place digne de moi comme ils me rabâchent. Alors je fais de mon mieux et pendant deux jours chaque semaine je m'autorise à tout oublier.
— Mais tu pourrais faire d'autres trucs, t'es pas obligée de vivre la nuit et te gaver d'alcool.

Il me tire un sourire et j'essaye de trouver les bons mots pour m'expliquer.

— La foule, l'obscurité ça me donne une part d'anonymat, je ne suis plus la fille De, je suis personne, tout le monde s'en fout que j'enchaîne mes vodka Red Bull, que je danse langoureusement avec le premier type qui vient et que je finisse ma soirée assise à genoux à vomir dans des toilettes. On me jugera mais personne ne me dira rien en face. Et du moment que je ne fais pas de vague mes parents s'en foutent, finis-je d'expliquer.
— Je suis toujours pas convaincu dit-il moqueur, il hésite quelques secondes avant de demander avec un sourire en coin, du coup tu fais pas mal de rencontre non ?
— Oui et non, je me suis fixé pour règle de toujours rentrer seule, je n'ai pas vraiment envie d'être ce genre de fille ni de faire ça comme ça...

J'essaye de masquer mon trouble en me plongeant dans la dégustation de mon café même si mes joues s'empourprant me trahissent.

— Faire ça comme ça ? Pour que ça te semble si important c'est que tu fais ça rarement ?
— Heu... Je... On s'en fout non ?...

Ma piètre tentative d'esquive étant plus éloquente qu'autre chose il me lance un petit sourire victorieux. Mais sérieusement qu'est-ce que ça change que j'aie de l'expérience dans ce domaine-là ? J'ai à peine vingt ans et je n'ai jamais trouvé la bonne personne pour faire ça, je sais que pour la société actuelle il peut y avoir un côté honteux mais je n'ai pas envie de faire ça avec n'importe qui même si je ne suis pas une fille super romantique.

Pour se faire pardonner de la gêne qu'il a fait naître en moi Seth me propose de m'inviter ce que j'accepte avec un sourire timide en guise de remerciement. Tout en finissant nos boissons il me propose :

— Tu as encore du temps ? J'aimerais te montrer un endroit sympa pour faire une balade.

Je sors brièvement mon portable pour voir l'heure avant d'étouffer un soupir devant le nombre d'appels manqués de la part de ma mère.

— Heu oui, je dois juste passer un coup de fil avant, j'en ai pour cinq minutes.
— Pas de soucis, je te rejoins dehors le temps de payer.

Je sors rapidement tout en rappelant ma mère en même temps, elle décroche à la première sonnerie et commence à me reprocher de ne jamais être joignable, je me contente de la laisser poursuivre son monologue en levant les yeux au ciel et elle finit par m'annoncer que suite à un problème technique son avion a du retard et que de ce fait elle rentrera seulement dans la nuit avec mon père. Elle se plaint encore quelques minutes de la compagnie aérienne avant de raccrocher sans même m'avoir demandé si j'allais bien. Je fourre mon portable dans ma poche avec exaspération, elle ne changera vraiment jamais. Jamais elle ne prendra le temps de soucier de moi. Je rejoins ensuite Seth devant sa moto.

— Et tu m'emmènes où maintenant ?
—  À la coulée verte.
— Ça me dit vaguement quelque chose, c'est à la limite de Paris non ?
— En effet, dans le sud. Allez viens.

On roule pendant une vingtaine de minutes avant d'enfin mettre le pied à terre. Je suis surprise par l'endroit, la nuit avec ses étoiles le sublime et le rend magnifique. Je fais quelques pas dans cet espace végétal avant de rejoindre Seth qui sourit amusé par mon impatience de tout voir. Il s'allume une clope et l'on s'enfonce dans la partie du tunnel végétal qui reste accessible en pleine nuit. Après plusieurs minutes de marche, Seth se saisit brusquement de mon bras tout en m'attirant près de lui pour que l'on s'installe sur l'un des bancs.

DésolationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant