Second interlude

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Présent

Les jours s'écoulent doucement à l'institut. Un ennui dévorant a remplacé les crises d'angoisse que je pouvais faire auparavant. Depuis que Nova est partie j'essaye de tuer le temps en lisant et en profitant du doux soleil qui est encore bien présent en cette fin d'été.
Les crissements du gravier me font tourner la tête vers la source du bruit, un infirmier qui me lance un regard courroucé. Je referme l'Écume des jours en soupirant avant de lui demander :

— Il y a un souci ?
— Tu avais rendez vous, tu as oublié ?
— Oh mince, j'ai pas vu l'heure... Ce n'est pas trop tard ?! Je peux y aller ?!
— Dépêche-toi.

Je traverse précipitamment le parc pour rejoindre le bureau du docteur Kate, c'est pas que j'en ai spécialement envie mais elle m'a annoncé qu'elle pourrait éventuellement donner son accord pour ma sortie prochaine. Et ça, j'en ai vraiment besoin, si je reste ici l'ennui et son absence vont me tuer.

Je frappe doucement à la porte tout en reprenant mon souffle avant de rentrer dans la petite pièce en m'excusant.

— Ce n'est pas grave, installe-toi je t'en prie.

Son air grave m'interpelle et je me tends un peu, je crois que ça va mal se passer. Le docteur Kate attend que je me sois lovée contre le dossier du divan avant de m'annoncer :

— Il y a un sujet, sur lequel j'aimerais qu'on revienne. Il y a quelques mois, tu avais tenté de déposer une plainte contre Ace. Tu peux m'en parler ?

Putain. Tout mais pas ça. Si elle sait ça elle doit sûrement connaître la teneur de la plainte, pourquoi vouloir me torturer avec ça ? Cependant je n'ai pas le choix, ma liberté est visiblement à ce prix. J'essaye de dissimuler mon énervement avant de déglutir difficilement pour lui demander :

— Du pourquoi j'ai voulu déposer plainte ? Ou de ce qu'il s'est passé ?

Piètre tentative de gagner du temps, de quoi rassembler mes souvenirs et faire le tri entre les détails que j'accepte de raconter et ce qu'il est préférable de garder pour moi.

— À toi de voir, mais j'ai besoin de m'assurer que sur ce plan-là tu iras bien, et pour ça il faut que je comprenne.

— D'accord... C'était juste une erreur suite à une soirée où j'avais vraiment abusé.

Je frisonne malgré moi en repensant à cette soirée maudite. Entre l'alcool et la blanche, je l'ai bien cherché en même temps. Je suis vraiment une petite conne parfois, je mériterais presque une bonne claque de temps en temps. Et dire que ce n'était que le début à ce moment là... La voix toujours aussi mélodieuse du docteur me tire de mes pensées :

— Et cette erreur c'était quoi ?
— On avait fait la fête toute la nuit, j'ai beaucoup bu aussi... Il y a des cocktails tellement doux qu'on se rend même pas compte de ce qu'on boit et surtout du nombre de verre qu'on s'enfile...

Elle tape à intervalle régulier sur les touches de son ordinateur tout en hochant la tête comme pour me donner son accord et m'inviter à continuer mon histoire. J'hésite quelques secondes avant de choisir de passer la consommation de blanche sous silence, à coup sûr ça se retournerait contre moi. Au final je me retrouve à raconter une version très édulcorée.

— On a fini par se retrouver tous les deux avec Ace, un peu à l'écart, puis voilà... Le lendemain quand j'ai compris ce que j'avais fait, j'étais dégoûtée. J'étais vraiment en colère et au lieu de m'en prendre à moi-même j'ai préféré l'accuser, on s'est disputés ce qui n'a pas vraiment arrangé les choses et comme une idiote j'ai été dire qu'il m'avait violé... Alors qu'au final c'est faux...
— Et es-tu toujours en colère contre toi-même Alba ?

La question a l'air d'un piège tellement gros que j'hésite durant de longues secondes. Mes sentiments sont tellement fluctuants et forment un tel bordel que même si j'étais sincère, la réponse pourrait changer deux jours plus tard. Peux-t-on aimer et détester en même temps ? Peux-t-on détester un moment de sa vie et en même temps vouloir vivre cette soirée encore et encore ? Je me sens comme une bipolaire... à moins que le terme le plus adapté soit borderline... Devant l'impatience du docteur Kate dont les doigts tapotent le rebord de son bureau je finis par lâcher :

— Non. Je l'ai été pendant longtemps parce que je me suis vue comme une petite conne égoïste, mais avec le temps j'ai pu ranger cet événement à sa juste place... Une simple erreur qui heureusement n'a causé de tord à personne.
— Et avec Seth, comment ça s'est passé ?
— On a pu mettre ça à plat quelque temps après, on en a longuement discuté et voilà.

Le médecin me regarde attentivement comme pour essayer de s'assurer que je suis parfaitement honnête, je me contente de lui rendre un regard surpris face à ses suspicions, c'est je crois la réponse la plus appropriée et qui ne risque pas de me trahir. J'ai l'impression qu'elle s'apprête à me poser une nouvelle question avant de se raviser et de me lancer un sourire rassurant.

— Je suis désolée d'avoir dû aborder ce sujet quelque peu délicat, m'explique-t-elle en rangeant plusieurs feuilles dans une épaisse pochette à mon nom, j'ai besoin d'être certaine que tu ne risques rien dehors.

Je retiens un rire, pour que je ne risque rien, il faudrait sans doute dissocier mon âme corrompue de mon corps souillé. Pour éviter de me sentir sombrer à nouveau dans mon côté sombre je m'accroche aux mots du docteur Kate qui ne paraît pas avoir remarqué mon trouble.

— La commission débattra demain de ton cas, mais rassure-toi, tu devrai avoir ce que tu souhaites. Passe une bonne journée Alba et à demain.

Je sors en essayant tant bien que mal de dissimuler ma joie. Demain je serai sûrement libre. Enfin libre... jusqu'à ce que je rejoigne mon enfer dont j'ai été l'une des principales architectes.

DésolationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant