Premier interlude

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Présent.

Assise sur mon lit je suis en train de pleurer toutes les larmes de mon corps, elles dévalent mes joues pour former une tache sombre sur mon t-shirt gris. Entre deux sanglots je renifle pour essayer en vain de mieux respirer, de trouver un moyen pour desserrer l'étau qui broie mon cœur et me coupe le souffle. Une main se posant contre ma nuque me fait redresser mon visage baigné de larmes, mes yeux croisent alors le regard triste de Nova. En réalité elle s'appelle Célestina, mais tout le monde ici a adopté son surnom en référence aux supernovas, des étoiles ayant explosé. Elle me serre doucement contre elle jusqu'à ce que je me calme. De sa voix douce elle me demande :

— Qu'est-ce qui te fait pleurer ?
— Je... Je ne sais même pas vraiment... J'en peux plus c'est tout...
— Il te manque ?

J'arrive enfin à me ressaisir un peu et j'essuie rageusement mes larmes avant d'hocher la tête pensive et de lui expliquer :

— Je hais être enfermée ici comme si j'étais cinglée, je hais son absence, mais d'un autre côté c'est le seul endroit où je peux être en paix, où je ne risque rien.
— Mais on est tous cinglés me dit-elle avec un air malicieux, tu sais qu'il va continuer de te détruire mais t'en redemande, quelqu'un de normal se tire hein.

J'hésite quelques secondes avant de rire de bon coeur, et dire que c'est une fille qui a enchaîné les crises de violences qui me parle de normalité.

— Allez vient avec moi, tu ne vas pas passer ta journée dans ta chambre non ?
— Bon ok... Il me semble que la psy voulait me voir en plus, autant me débarrasser de ça au plus vite...

On se lève ensemble et j'accompagne Nova dans la salle commune où plusieurs filles ont réussi à obtenir le droit d'organiser une session de maquillage, on échange un regard un peu dubitatif mais Nova va se joindre à elles pendant que je continue seule jusqu'au bureau du médecin. Je frappe deux petits coups à la porte avant d'attendre une réponse pour rentrer dans la petite pièce.

— Ah bonjour Alba, je suis contente de voir que tu ne m'as pas oublié. Entre je t'en prie.

Je salue le docteur Kate avant de rentrer un peu mal à l'aise dans la pièce, hormis les étagères remplies de livres le mobilier de la pièce est des plus spartiates, un simple bureau au centre et un divan placé devant une petite fenêtre dont la poignée est absente. Devant mon malaise elle me fait signe de m'assoir. Je me love contre le dossier du divan avant de laisser mes chaussons tomber au sol pour ramener mes genoux contre ma poitrine. J'observe le jardin de l'institution qui a triste mine vu les trompes d'eau que le ciel est en train de déverser. Lorsque mon regard se pose enfin sur ma psy elle me demande avec une voix au timbre apaisant :

— Comment tu vas aujourd'hui ?
— Ça va dis-je d'une voix morne.

Je sais que je mens, elle le sait aussi puisque mes yeux rougis et gonflés doivent me trahir, mais on ment tous à cette question non ? Et qui se soucie vraiment de la réponse de toute façon ? Elle hoche la tête pensive avant de me demander :

— Et tes cauchemars ça va mieux ? Les médicaments font effet ?
— Moui, je ne rêve plus du tout mais j'ai l'impression que ça m'assomme pour le reste de la journée, j'ai l'impression d'être ralentie, lente...
— Ça demande du temps de trouver les bons dosages, il n'y a pas de formule miracle, je suis désolée Alba. Mais on va pouvoir réduire un peu les doses du coup.

Je hoche la tête, sans être vraiment convaincue tout en étendant les jambes sur le divan. N'ayant rien de particulier à dire, j'essaie subtilement d'abréger :

— Est-ce qu'il y a autre chose ou je peux y aller ?
— À toi de voir, tu as envie de me confier quelque chose ?
— Je... Non... Je me demandais juste, quand est-ce que je pourrais partir ?...
— Une hospitalisation de jour serait envisageable si tu faisais quelques efforts, mais comme tu te mures dans le silence...

Foutu chantage, incroyable que je doive raconter ma vie pour pouvoir regagner un peu de liberté. Je me retiens de lever les yeux au ciel mais pousse un soupir de capitulation. Je m'affale un peu plus dans le divan avant de lâcher :

— Ok... Je me sens divisée en deux... Je suis soulagée de ne plus le voir mais il me manque...
— Soulagée ? Pourquoi ?
— Parce que ici ce petit jeu malsain n'existe pas, le bruit des touches du clavier me distrait un peu et je me force à reprendre le fil de ma réflexion, je ne sais même plus comment on en est arrivés là... Mais je crois que je suis accro à ce mélange d'adrénaline que crée l'excitation et la crainte...

Elle relève les yeux vers moi pour me regarder avec attention avant de me demander :

— Au final, c'est Seth qui te manque ou ses sentiments ?
— Les deux. Sans lui ça n'a pas de sens. C'est juste notre truc à nous, on se brûle les ailes ensemble, sauf qu'on les a aspergées d'essence avant.
— C'est parce que tu es persuadée que ça finira mal que tu as essayé de te suicider ?

Je souris devant la voix du docteur Kate, elle essaye de garder un ton neutre mais je la sens quelque peu gênée et attristée. Je sais que ça finira mal, il ne peut pas y avoir d'autre option, tout est trop intense, une citation raconte que l'amour s'est foncé droit dans le mur mais tout de même accéléré, bah c'est tout à fait ça. Mais ça évidemment je ne vais pas le lui dire.

— Non, j'étais juste déprimée ce soir-là on s'était disputés. Et entre la pression mise par mes parents, les cours tout ça... J'ai eu envie d'un break, certainement pas de me foutre en l'air c'est pour ça que j'ai appelé les secours quand j'ai réalisé que j'avais avalé cette foutue plaquette de médicaments.

Elle hoche la tête moyennement convaincue mais m'adresse tout de même un sourire bienveillant avant de regarder sa montre l'air contrit.

— On a bien avancé, malheureusement j'ai une réunion dans dix minutes je vais donc te laisser y aller.
— Et pour ma sortie ?
— Il y a des chances pour qu'elle se rapproche me répond-elle tout en ouvrant la porte pour me congédier.

Je sors avec un sourire de façade après l'avoir remercié et salué. Je n'ai qu'une hâte, me tirer d'ici mais visiblement je vais être forcée de prendre mon mal en patience, cette situation frustrante m'exaspère au plus haut point.

DésolationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant