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Six mois plus tard.

Je suis morte, tout a implosé autour de moi, juste le néant qui me tend les bras. Un vide absolu dans lequel j'ai plongé à pieds joints. Le vide n'est pas qu'autour de moi, il est en moi. Il n'y a plus rien, juste l'obscurité avec laquelle je dois me débattre quotidiennement. Tout est confus, des bribes de souvenirs apparaissent de manière fugace. Des sensations sans vraiment de sens.

J'ouvre brusque les yeux en cherchant à avaler de grandes goulées d'air comme si j'étais restée en apnée trop longtemps. Mon corps est couvert d'une pellicule de sueur qui colle le drap à ma peau. Lorsque les tremblements qui me secouaient se calment je me dégage du drap et me redresse pour me glisser dans la salle de bain afin de passer de l'eau sur mon visage. Je récupère au passage l'une des chemises masculines qui traînent au sol et l'enfile avant de descendre au rez-de-chaussée. J'ouvre l'une des fenêtres du salon et m'y accoude pour fumer. J'avale en même temps quelques gorgées de la bouteille de vodka que j'avais récupérée au passage. La notion de temps disparaît et je m'égare dans la tiédeur d'une nuit d'été.

Ces escapades nocturnes sont devenues le seul moyen pour moi de gérer les voix qui se sont invités dans ma tête et qui me rappellent encore et encore la culpabilité que j'ai envers Ace. Comme si je ne me sentais pas déjà assez coupable, mon esprit a visiblement besoin de me torturer un peu plus. Lorsque l'alcool a rempli son office je me résous à regagner la chambre. Je jette un coup d'œil sur la silhouette de Seth qui est toujours en train de dormir tranquillement. Je ne sais pas comment il fait pour supporter ma présence à ses côtés, je ne le laisse même pas dormir en paix. Le peu de bruit que je fais doit suffire à le réveiller car alors que je me couche il lâche :

— Il faut que tu arrête ça Alba.

Conversation stérile ayant déjà eu lieu des dizaines de fois. De guerre lasse et n'ayant pas envie de me disputer une énième fois je me contente de hocher la tête. Seth doit percevoir mon malaise car il m'attire doucement contre lui. Devant ma froideur il laisse cependant tomber son bras. Je n'arrive plus avec tout ça, tous ses gestes tendres que j'avais pu tant désirer auparavant me donne aujourd'hui l'amère impression de ne pas les mériter et me mettent immédiatement mal à l'aise.

Malgré tout Seth se montre d'une patience infinie avec moi. Je ne sais pas comment il fait mais il arrive à supporter mes crises de colère et de larmes sans ciller. Malgré les choses horribles que j'ai pu lui dire il a toujours été là pour me soutenir, jamais il ne m'a fermé sa porte. Depuis cette nuit tragique nous n'avons plus jamais reparlé de nos sentiments comme si cette part de nous était morte dans cet accident absurde qui est arrivé à Ace. On s'est juste accrochés l'un à l'autre comme deux enfants perdus, le monde autour de nous étant incapable de comprendre notre détresse. Moi-même parfois je doute d'avoir tout compris, et j'ai fini par laisser ce vague à l'âme m'emporter. Alors que pendant ce temps Seth se battait aussi bien pour lui que pour nous, pour quitter cette torpeur trompeuse, et lui a réussi à s'en sortir au fil du temps.

Dans un geste mal assuré je me saisis de la main de Seth et m'y raccroche comme si c'était un doudou, il se laisse faire et alors qu'il lève sa seconde main pour venir caresser mes cheveux il se ravise. Comme pour m'excuser de ce que je suis devenue et pour le remercier je dépose de léger baisers sur ses phalanges. Il esquisse un sourire avant de me murmurer d'une voix apaisante :

— Repose-toi ma belle, je veille sur toi.

Je lui lance un regard reconnaissant et serre sa main un peu plus fort avant de fermer les yeux pour laisser le sommeil m'emporter. Lorsque je me réveille le lendemain Seth est déjà parti travailler et moi je retrouve ma culpabilité dévorante, les mêmes questions que je me pose encore et encore. Comment est-ce que je peux juste me lever alors qu'Ace ne peut pas ? Comment suis-je censé vivre ?...

Alors que je me suis installée dans le canapé devant une série multi-rediffusée je cherche un peu de motivation et de courage pour répondre aux nombreux SMS et messages vocaux de Sarah. Si Seth réussit à accepter mes silences et mon spleen ce n'est pas vraiment le cas de mon amie. Notre amitié s'étiole de jour en jour, la preuve ça fait plusieurs semaines que je ne l'ai pas vu. Ce qui m'horrifie le plus reste mon détachement par rapport à cette distance, j'ai beau apprécier Sarah, je n'arrive pas à me sentir concerné par la situation. Je finis par appeler mon amie qui décroche à la première sonnerie comme si elle attendait un signe de ma part avec impatience.

— Tu vas bien ? Je ne te dérange pas au moins ?
— Non ne t'inquiète pas, et toi Alba ça va ?

Si elle était là je me contenterais de hausser les épaules, je me résigne cependant à lui répondre par l'affirmative. On discute de tout et de rien pendant plusieurs minutes jusqu'à ce qu'elle me demande :

— Ça te tente de sortir avec moi ce soir ? Sam sera là tu n'as pas encore eu l'occasion de le rencontrer... Viens avec Seth si tu veux.
— Je... C'est gentil mais je ne peux pas ce soir... Désolée...

Je ne peux pas, c'est impossible. Je ne peux pas sortir m'amuser et rencontrer son nouveau mec comme si de rien n'était. Pas en sachant que je me sens sans cesse coupable envers Ace, je préférais tellement qu'on échange nos places tout serait plus simple. Sarah soupire à l'autre bout du fil et lorsqu'elle me répond sa voix est énervée :

— Tu veux te lamenter Alba ? Tu veux te sentir un peu plus responsable ? Alors ouais ce qui est arrivé à Ace est de ta faute ! C'était un pote et ce qui lui est arrivé est injuste, t'aurais pas dû faire n'importe quoi !

Chacun de ses mots me fait l'effet d'une claque mais éveille en même temps autre chose en moi. Et lorsque je lui réponds ma voix est glaciale :

— C'est de ma faute ? T'es vraiment une connasse. Tu savais très bien que j'étais avec Ace, ça ne t'as pas gêné pour pousser Seth à venir. Tu t'attendais à quoi ? Forcément que tu crées du drama. Tu l'as fait exprès ? Ça t'emmerdais que je sois avec Ace alors que tu te l'es tapé ?
— Attends ! Tu sous-entends quoi là ?!
— Rien, tu te tapes n'importe qui c'est pas nouveau.
— Tu sais quoi Alba ? La pute qui se tape deux frères c'est toi. Et le pire c'est que tu joues la sainte, alors t'as raison. T'es tellement parfaite, trop bien pour tout le monde, alors démerde-toi mais ne compte plus sur moi.

Avant que j'aie le temps de dire quoi que ce soit elle me raccroche au nez. Je suis tellement énervée que je jette mon téléphone qui explose contre le carrelage pendant que je fonds larmes après avoir poussé un cri de rage.

DésolationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant