44.

20 2 0
                                    

La sonnerie d'un téléphone me tire de ma torpeur mais Seth réagit plus vivement que moi et décroche rapidement. J'ai à peine le temps de me demander qui peut appeler si tôt un dimanche matin que je vois le visage de Seth s'éclairer. Il acquiesce rapidement et dès qu'il a raccroché il s'empresse de s'habiller et se préparer en me houspillant pour que je fasse de même. Je ne comprends pas vraiment les raisons de son excitation mais je m'exécute, intriguée par son entrain. Ce n'est que lorsqu'on se retrouve face à sa moto que je lui demande :

— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— L'hôpital a appelé me répond-il en enfourchant sa moto.

Je n'ai pas le temps de répondre quoi que ce soit alors je prends place à mon tour. Je referme mes bras contre sa taille et ferme les yeux pendant qu'il commence à rouler. Sa phrase tourne en boucle dans ma tête et m'offre une lueur d'espoir à laquelle je me refuse pourtant de croire. Ce n'est pas possible, je ne sais pas à quoi m'attendre mais je ne peux pas me permettre le luxe d'espérer une telle chose. Lorsque je réouvre les yeux Seth s'est garé et j'ai à peine le temps de retirer mon casque qu'il m'entraîne déjà dans les couloirs de l'hôpital. L'odeur d'antiseptique me donne mal à la tête et m'oppresse un peu, la sensation ne s'arrange pas lorsqu'on rentre dans l'ascenseur. Quand on arrive au bon étage Seth s'empresse de rejoindre la pièce de garde des infirmiers et s'entretient avec l'un d'eux durant quelques minutes pendant que je déambule dans le couloir en faisant grincer le lino sous mes baskets. Seth revient suivi d'une jeune aide-soignante, un sourire chaleureux éclaire son visage et casse la sévérité donnée par ses cheveux roux retenus en chignon. Elle nous entraîne à sa suite et s'arrête devant l'une des portes après quelques pas. Elle pose sa main sur la poignée avant de retenir son geste pour nous dire :

— Allez-y doucement, il est encore très fatigué. Je sais que vous devez être très heureux mais ménagez-le.

Seth acquiesce et s'empresse de rentrer dans la chambre, tandis que moi j'avale difficilement ma salive et reste sur le seuil de la pièce comme une idiote. Notre guide me lance un regard surpris mais ne dit rien et se retire discrètement. Je devrais ressentir un immense soulagement au lieu de ça j'ai la sensation étrange d'être atone comme si j'étais dans du coton. Je me résous à faire un pas pour rentrer dans la pièce.

Ace est bien là, des machines sont reliées à son corps comme lors de son passage en soin intensif. Il avait ensuite été déplacé dans cette chambre où j'étais venu le voir tous les jours, jusqu'à ce que Seth me l'interdise pour éviter de me faire un peu plus de mal. Il semblait dormir à chaque fois, alors je lui parlais doucement, des explications et des excuses que je ne suis pas sûre qu'il ait entendu. L'hôpital ne pouvait plus grand-chose dans cet état un peu mystérieux qu'est le coma, il fallait juste attendre et espérer. Je ne suis pas croyante pourtant j'ai prié pour ça, pour le voir ne serait-ce que bouger un doigt ou ouvrir les yeux. Visiblement j'ai dû allumer assez de bougies pour que ça arrive.

Je fais un pas supplémentaire et aperçois pour la première depuis des mois les yeux bleus d'Ace. Mon dieu, un tel soulagement s'abat sur moi que je dois prendre appui sur le mur. Ma main glisse pourtant contre ce dernier et je m'effondre au sol.

Lorsque je reviens à moi on m'a assisse dans un fauteuil de la chambre d'Ace et l'aide-soignante qui nous avait guidés est à mon chevet.

— Vous allez bien mademoiselle ?
— Oui, c'étais juste la surprise je crois...
— Je comprends, laissez-moi juste vérifier deux trois petites choses et si tout va bien je vous conseille de manger quelque chose pour vous requinquer.

Je hoche la tête pendant qu'elle prend ma tension. Lorsqu'elle a fini elle quitte la chambre tout en me rappelant de manger. Seth qui était resté près de son frère se redresse et se tourne vers moi.

— Je vais aller te chercher quelque chose Alba, reste avec lui.

J'acquiesce et le remercie avant de prendre sa place et de m'assoir près d'Ace. Dans un geste instinctif je me saisis de sa main et la serre doucement sans oser le regarder. Je murmure timidement :

— Je suis désolée pour tout.
— Pas autant que moi Alba.

Je redresse la tête et lui lance un regard surpris, je ne m'attendais pas vraiment à ça, à cette voix dure et glaciale. Cependant il ne semble pas avoir perçu mon trouble puisqu'il me demande sèchement :

— Tu es avec Seth alors ? Tu as fait ton choix ?
— Oui.

J'aimerais essayer de m'expliquer, de justifier, qu'il comprenne mais aucun autre mot ne sort.

— Je pensais que tu aurais au moins attendu de pouvoir t'expliquer, tu me dégoutes.

J'avale son reproche qui me fait l'effet d'une claque. Il dégage sa main de la mienne pensant que je rassemble mon courage pour lui expliquer :

— Je suis venue tous les jours pendant plusieurs mois, j'ai accepté de redoubler mon année pour faire ça. J'ai espéré, tellement espéré. Tu ne comprendras jamais à quel point j'ai pu me sentir coupable.

J'essaie les larmes qui étaient en train de naître mais Ace me porte le coup de grâce en lâchant :

— Au final tu es heureuse de me voir réveiller car ça apaise ta culpabilité. Rien de plus, ce n'est pas la peine d'être hypocrite, tu peux me laisser.
— Non c'est faux, je...
— J'ai besoin de repos Alba, me coupe Ace, alors au revoir.

Et comme pour clore définitivement la conversation il se retourne dans son lit. Je sors de la chambre au moment où Seth revient en me tendant une gaufre industrielle achetée dans un distributeur.

— Ça s'est mal passé ?
— Un peu... il voulait se reposer aussi.
— Je vais lui dire au revoir alors.

La voix de Seth est un peu déçue mais il m'adresse tout de même un regard rassurant. Je grignote ma gaufre en m'appuyant contre le mur pendant qu'il rentre dans la pièce en me laissant seule et un peu désemparé.

DésolationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant