2 - Se séparer

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Maddie poussa lentement la porte et pénétra dans une pièce sobre, impersonnelle, aux murs blancs et au sol gris usé. Tous les meubles étaient en double exemplaire : deux armoires et deux commodes étaient encastrées dans le mur du fond, deux lits se faisaient face et deux bureaux accompagnés de chaises en bois complétaient le mobilier.

Pas de sanitaires ni de douche. Maddie le savait ; ils étaient situés à chaque extrémité de l'étage et donc à partager avec les autres pensionnaires. C'était loin de la ravir mais elle n'avait pas le choix.

Dans l'un des coins, une énorme valise ouverte était posée sur le sol et trois autres s'amassaient. Une pile de vêtements s'amoncelait sur un lit fait au carré, recouvert d'un drap blanc, et sur le bureau placé dans le même angle, plusieurs cartons imposants s'empilaient.

— Je crois que ta camarade est déjà arrivée, chantonna Joanna. Elle n'est pas venue les mains vides !

Maddie réprima un sourire. Vu le nombre de bagages, sa colocataire semblait avoir apporté toute sa garde-robe.

En fixant les affaires de l'inconnue, Maddie eut le cœur serré d'appréhension. Comment était-elle ? Allaient-elles s'entendre ? Maddie n'avait jamais cohabité avec personne d'autre que sa mère ; partager maintenant sa chambre, son espace intime, était déstabilisant.

Maddie se laissa tomber sur le lit encore inoccupé et s'étendit de tout son long.

— Bon, bah, je prends celui-là.

Maddie resta à regarder le plafond pendant que sa mère s'agitait dans la pièce.

— Je te mets tes affaires devant l'armoire et je vide aussi le sac...

Maddie se redressa et s'appuya sur ses avant-bras.

— Maman, laisse. Je m'en occuperais, ne t'inquiète pas.

Joanna s'arrêta et resta plantée là. Finalement, elle s'assit sur la chaise en bois devant le bureau et posa un regard tendre sur sa fille.

— Oui, tu t'en sortiras très bien, je sais. Je suis nerveuse, c'est plus fort que moi.

Après quelques instants de silence, elle se releva. Elle s'approcha de la fenêtre et s'y accota.

— Tu as une superbe vue sur le campus.

— Ah bon ? Du premier étage ça m'étonnerait, rétorqua Maddie.

— Si, tu vois quand même au loin.

Joanna tourna son poignet et tapota sur sa montre.

— Je ne dois pas trainer, j'ai mon vol ce soir. On va manger un bout ?

Maddie hocha la tête et suivit sa mère jusqu'à la voiture. En traversant le quartier qui jouxtait l'université, Joanna avait repéré la devanture colorée d'un restaurant Grill, chaine qui se trouvait dans tout le pays. Elles s'y rendirent et pénétrèrent dans une salle comble. Des jeunes souvent entourés d'adultes occupaient toutes les tables.

— Ça ne m'étonnerait pas que tous ces clients viennent de Felice ! s'exclama Joanna.

Une jeune femme en uniforme jaune les invita à la suivre et emprunta un large escalier en spirale. Elles accédèrent à un grand espace où la clim marchait à plein régime. Elles prirent place autour d'une petite table.

À peine installées, l'hôtesse récita le menu sur un ton monocorde à une vitesse impressionnante. Joanna et Maddie commandèrent le plat du jour et Joanna se lança dans un monologue sur l'exacte similitude entre les restaurants de la chaine. Maddie prêta peu d'attention au flot de paroles de sa mère, concentrée sur la conversation qu'elle entretenait avec son petit ami.

Depuis le matin, Anthony et Maddie s'envoyaient des messages à un rythme ininterrompu. Joanna était tentée de la sermonner mais elle savait combien sa fille vivait mal leur éloignement et cherchait à se montrer forte en le cachant. Elles ne s'attardèrent pas à la fin du repas et rejoignirent le campus.

Devant les dortoirs, sur le parking désormais à moitié vide, Maddie se jeta au cou de Joanna. Les au-revoir durèrent de longues minutes. Pour la première fois de leurs vies, la mère et la fille allaient vivre loin l'une de l'autre. Joanna avait eu beau s'y préparer pendant tout l'été, ce moment lui déchirait le cœur.

— Tu vas être heureuse ici, Mad, chuchota-t-elle.

— Je vais tout faire pour, lui répondit Maddie.

Elle se mordilla les lèvres avant de chuchoter.

— Si ça ne va pas, je rentre, hein ?

— Bien sûr mon cœur, mais je sais que ce ne sera pas le cas. Je sais que tu te sentiras bien.

Joanna la prit par les épaules et, les yeux mouillés, lui embrassa le front avec douceur. Elle s'installa au volant et claqua la portière. Elles se tinrent la main quelques secondes à travers la vitre ouverte puis Joanna démarra.

— À très vite ma puce.  

Maddie agita lentement la main tandis que la Ford s'éloignait. La voiture devint de plus en plus petite puis disparut au bout de l'avenue, entre les arbres denses.

Maddie éprouva un pincement au cœur. Elle était seule maintenant. Elle était loin de chez elle et n'avait plus aucun repère.

Elle pianota sur son clavier tactile avant de coller son téléphone à l'oreille. Elle pivota sur ses talons pour regagner sa chambre et réprima les larmes qui vinrent brouiller sa vision quand elle entendit la voix d'Anthony à l'autre bout du fil.




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