Campus

45 - Première représentation

Elle y était. Son estomac était noué par l'anxiété. Derrière le rideau, Sally s'efforçait de ne pas paniquer. Leila passa voir chacun des comédiens et termina par Sally.

— Tout va bien se passer, la rassura-t-elle.

— J'espère, murmura Sally d'une voix faible. Mais je n'en suis pas sûre.

Leila se baissa pour se mettre à la hauteur de Sally et lui dit :

— Fais-toi confiance.

Sally hocha légèrement la tête. Elle allait essayer. Mais plus les minutes s'écoulaient, plus elle se disait qu'elle n'avait rien à faire là. Oui, elle s'amusait bien sur scène. Elle s'éclatait même lors des exercices ou des improvisations, mais là, c'était différent. Ce n'était pas un exercice, ce n'était pas de l'improvisation. Et elle n'avait pas le droit à l'erreur. Tout comme c'était le cas lorsqu'elle faisait du cheerleading et en repensant à la manière dont les choses s'étaient passées, elle doutait encore plus...

— Je crois que je vais rester là. Vous n'avez pas besoin de moi.

— On a besoin de tout le monde, lui répondit Leila avec douceur. C'est normal que tu aies le tract, tout le monde l'a, ici.

L'excitation était palpable dans les coulisses.

— Dis-toi que c'est la répétition générale si ça t'aide. Oublie la présence du public.

Marjorie, celle qui jouait le premier rôle de la pièce, s'arrêta à côté de Sally.

— Tu es superbe.

Sally baissa les yeux sur sa tenue. Elle portait une robe dorée qui s'arrêtait aux genoux. Un foulard rose pale entourait son cou et un léger maquillage mettait en valeur son visage. Elle ne se sentait pas jolie, elle ne voyait que ses jambes qui n'avaient plus rien à voir avec ses jambes d'avant. Mais Sally répondit quand même à Marjorie :

— Merci.

— Allez, on se rassemble ! invita Leila.

Les comédiens se regroupèrent et se prirent dans les bras. Il y avait une vraie cohésion dans ce groupe et Sally se sentait de trop. Comme si elle ne méritait pas de se retrouver ici.

Le spectacle démarra. Son cœur battait la chamade, elle avait presque l'impression qu'il allait bondir hors de sa poitrine. Les scènes se succédèrent, le premier acte se termina. Bientôt, le moment de Sally arriva. Son moment d'entrer en scène. Leila lui adressa un signe de tête pour l'encourager. Sally inspira et expira profondément plusieurs fois, puis se glissa sur scène.

Elle pensait que les projecteurs l'empêcheraient de distinguer les spectateurs mais ce ne fut pas le cas. La salle n'était pas dans le noir complet, elle pouvait voir chacune des personnes du public. Des centaines de visages tournés vers elle. Ça la déstabilisa encore plus. Elle se figea à mi-parcours et resta sans voix. Ses yeux parcoururent la foule encore et encore, jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent sur un visage familier. Anita, avec un grand sourire aux lèvres. Le cœur de Sally se serra. Anita était là. Elle était venue.Sally n'en revenait pas. Elle avait parlé de cette représentation à Anita, plusieurs fois même, mais jamais elle n'aurait imaginé qu'elle lui aurait fait la surprise de venir y assister.

Un raclement de gorge la ramena au présent. Elle tourna la tête vers Grayson qui attendait sa réplique. Elle croisa son regard, il dut comprendre sa détresse car il répéta.

— Bien, je crois qu'il n'y a plus rien à dire. N'est-ce pas ?

La bouche de Sally resta close. Avait-elle tout oublié ? Était-elle sortie de son personnage ?

— N'est-ce pas ? répéta Grayson.

Sally rassembla ses idées. Elle savait son texte, elle le connaissait par cœur. Elle devait se concentrer. Elle ferma juste un instant les yeux, releva fièrement la tête et dit :

— Non, nous n'en avons pas terminé, monsieur !

Grayson esquissa un léger sourire, visiblement soulagé. Sally se détendit aussi, elle pouvait y arriver. Le dialogue se poursuivit mais plus les répliques se succédaient, plus Sally trouvait ses intonations inadaptées. Son jeu n'avait rien à voir avec celui des répétitions. Elle parlait trop fort ou pas assez. Trop vite ou trop lentement. Elle essaya de contrôler sa voix, de modérer son débit mais c'était en vain. Elle sentait que plus les minutes passaient, plus ça empirait. Et elle le voyait bien dans le regard de Grayson : c'était tout bonnement une catastrophe. Elle n'avait qu'une hâte : aller se réfugier en coulisses et se cacher dans un coin.

À sa dernière réplique, elle quitta la scène. En coulisses, elle éclata en sanglots et refusa qu'on vienne la consoler. Elle ne méritait pas qu'on s'occupe d'elle, elle avait ruiné une partie de la pièce. Elle voulait rester seule, alors elle tourna le dos à tout le monde. Leila tenta de la réconforter mais Sally ne l'écoutait pas. Tandis que les larmes coulaient abondamment sur ses joues, elle ne faisait que ressasser sa piètre prestation, imaginant le public la huer à la fin de la pièce. Elle était à deux doigts de refuser d'aller saluer la public mais Marjorie et Grayson ne lui laissèrent pas le choix.

— Tu viens.

— J'ai gâché la pièce.

— Tu n'as rien gâché et tu fais partie de notre troupe.

Elle s'exécuta à contre-coeur. Au milieu des autres comédiens, elle fit la révérence mais évita tous les regards.

C'est auprès d'Anita que Sally s'autorisa à se confier et chercher du réconfort.

— J'ai honte.

Anita la prit dans ses bras.

— On n'arrive pas toujours à tout, tout de suite.

— J'ai échoué.

Anita plongea son regard dans celui de Sally.

— Tu n'es peut-être pas satisfaite mais tu es montée sur scène et tu as joué ton rôle jusqu'au bout. Tu peux être fière de toi.

— Il n'y a pas de quoi être fière, maugréa Sally.

Anita sourit.

— Moi, je le suis.

Sally avait du mal à le croire. Comment Anita pouvait-elle être aussi bienveillante avec elle ? Et comment pouvait-elle la soutenir ? Sally ne le méritait pas.