50 - Tous à la bibliothèque !

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Sally avait été surprise par l'indulgence et la bienveillance de l'ensemble des membres de la troupe de théâtre. Le droit à l'erreur, on lui accordait sans réserve.

Elle n'avait pas pu s'empêcher de se demander si son handicap avait un impact sur leur attitude, mais très vite, elle s'était intimée d'arrêter d'avoir ce genre de pensées. Cela ne l'aiderait pas à avancer. Et quel intérêt de savoir si les gens agissaient avec pitié sinon de la mettre en colère ? Ce sentiment elle ne voulait plus l'éprouver.

En dehors de ses cours et de son activité théâtrale, Sally passait de plus en plus de temps à la bibliothèque. Auparavant, elle n'était pas du genre à se plonger dans les pages d'un livre et s'était découvert une véritable passion pour la lecture.

Elle s'installait systématiquement au même endroit : près d'une large table à côté de la baie vitrée. Elle avait une vue plongeante sur le campus et de temps à autre ; elle se perdait dans sa contemplation, observant les allées et venues en contrebas.

Les jours passants, elle avait commencé à se lier d'amitié avec certains étudiants fréquentant eux aussi de manière accrue la bibliothèque.

Elle échangeait quelques mots avec James, un jeune de troisième année, passionné d'histoire, qui aimait lui partager les anecdotes les plus folles.

Elle discutait aussi avec Millie, une étudiante en économie pleine de dynamisme et à l'imagination débordante. Sally ne comptait plus le nombre de fous-rires qu'elle avait du réfréner en écoutant ses idées farfelues.

Cet après-midi-là, Millie était particulièrement excitée. L'association à laquelle elle appartenait organisait une très grosse soirée caritative. L'argent récolté permettrait de distribuer des repas aux sans-abris et de financer des chambres où ils pourraient se loger.

— Tu viendras, hein ? s'exclama subitement Millie.

Des jeunes à la table voisine se retournèrent vers elle et lui firent signe de baisser d'un ton. Millie s'excusa et se pencha vers Sally. Elle parla tout bas, de façon à ce que Sally soit la seule à l'entendre.

— Ce serait super que tu viennes. J'ai déjà prévu un moment pour tu nous récites un monologue, sur la plus haute marche des escaliers, et j'ai même une magnifique robe à fleurs que tu pourras porter pour l'occasion.

Sally la fixa avec un air mi-surpris mi-catastrophé.

— Tu n'es pas sérieuse ?

Millie éclata d'un rire sonore. Des soufflements se firent entendre tandis que des regards assassins lui étaient lancés.

Millie afficha une moue contrite et s'excusa une nouvelle fois d'un signe de la main.

— Tu es trop bruyante, aujourd'hui, plaisanta doucement Sally.

— Allez, je m'en vais avant que tout le monde me tombe dessus ! Je te laisse. À ce soir pour ton monologue !

Avant que Sally ait le temps de répondre, Millie l'embrassa furtivement sur la joue et trottina sur la pointe des pieds. Sally sourit en la regardant progresser vers la sortie. Ses yeux se posèrent sur celle qui marchait lentement entre deux allées, les bras chargés de livres. Maddie.

Leurs regards se croisèrent et toutes deux se saluèrent d'un signe de tête accompagné d'une ébauche de sourire. Sally l'apercevait à chacune de ses venues à la bibliothèque. Si elles s'ignoraient au départ, par la suite, elles s'étaient mises à se dire bonjour puis à échanger parfois quelques mots.

La pile tanguait devant le visage de Maddie et lorsqu'elle passa près de Sally, deux livres glissèrent et tombèrent aux pieds de Sally. Celle-ci se baissa aussitôt pour les ramasser et tendit les ouvrages à Maddie.

— Merci, dit cette dernière en les replaçant en haut de la pile.

Tout en tentant de trouver l'équilibre, Maddie demanda :

— Tu vas faire un monologue ?

Sally mit quelques secondes à comprendre de quoi parlait Maddie. Elle sourit en secouant la tête.

— Non, non. Millie plaisantait !

Après un court silence, elle ajouta doucement :

— Je ne suis pas sûre de remonter de suite sur scène...

Maddie sembla hésiter un instant, puis dit :

— Je n'étais pas présente à la représentation à Noël mais sache qu'Élise n'a pas écrit son article pour te blesser.

Sally se figea.

— L'article dans le journal ? Tu connais celle qui l'a écrit ?

— C'est ma colocataire.

Sally resta sans voix. C'était la colocataire de Maddie qui avait descendu sa prestation dans le journal de la fac ?!

Sally ne savait pas quoi faire de cette information. Son cerveau tentait encore de traiter cette donnée quand une voix masculine s'éleva soudainement.

— Salut les filles !

Nate se tenait au bout de la table, un large sourire aux lèvres. Sally lui fit signe de parler moins fort, elle voulait éviter d'attirer une nouvelle fois tous les regards sur elle.

— Ça va ? demanda-t-il d'une toute petite voix un peu aiguë.

Maddie et Sally acquiescèrent en pouffant. Nate remarqua la tonne de livres que portait Maddie.

— Un peu d'aide, peut-être ? proposa-t-il, toujours sur le même ton.

— D'accord, murmura Maddie. Mais uniquement si tu arrêtes de prendre cette voix.

Nate se retint de rire et lui adressa un clin d'œil en réponse. Il prit les bouquins des mains de Maddie et les cala sous ses bras. Maddie tapota sur son épaule, arborant un air malicieux.

— C'est génial que tu proposes ton aide. J'ai un tas de rangement à faire. Tes bras ne seront pas de trop. Suis-moi...

Nate fit semblant de se plaindre. Maddie le poussa dans le dos pour le faire avancer. En les regardant s'éloigner, Sally eut comme un flash. L'image qui s'imposa dans son esprit ne lui fit pas plaisir : c'était le soir d'Halloween, Nate et Maddie s'embrassant sur le porche d'une belle bâtisse.

Sally devait le reconnaître, elle ressentait une pointe de jalousie à les voir tous les deux complices et à totalement ignorer ce qui se passait entre eux.

Et là, en les observant rire ensemble, penchés l'un vers l'autre, en voyant leurs épaules s'effleurer, son corps se raidit. Elle voulait détacher son regard d'eux mais elle n'y arrivait pas. Sally réalisa alors que non, ce n'était pas qu'une pointe de jalousie qu'elle éprouvait, c'était bien plus que ça.

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