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  En suivant le directeur jusqu'à son bureau, je me questionnai. Pourquoi m'avait-il fait convoquer ? Allais-je me faire renvoyer ? Mais pourquoi donc ? Je repensai à la fille que j'avais engueulée. Je n'avais pas été douce avec elle, j'avais laissé mes sentiments prendre le dessus ; j'avais été jusqu'à la plaquer violemment contre un mur. Serait-elle allée s'en plaindre au directeur ? Était-ce pour ça que j'étais là ? C'était fort probable.

  Nous arrivâmes dans une salle que je n'avais jamais vue auparavant. Un bureau en bois se tenait au centre de la pièce, encadré par deux immenses fenêtres. Le plafond était haut et le parquet grinçait sous nos pieds.

  Le directeur, un grand homme très soigné, toujours habillé en costard-cravate avec des chaussures impeccablement cirées, s'assit dans un grand fauteuil derrière son bureau. Il me pria de prendre place sur un siège face à lui. Je n'étais pas à l'aise. Je me tenais assise sur le bord de la chaise, le dos droit, tendue. Je promenais mon regard sur les murs recouverts de livres.

« - Nous avons pensé... qu'il serait peut-être temps pour toi de changer d'air. »

  Mes yeux se posèrent sur lui.

« - Que voulez-vous dire ?

- Changer d'environnement. Tu pourrais repartir d'un bon pied et mieux t'épanouir.

- Vous êtes en train... de m'exclure du lycée ?

- Non, enfin... pas exactement. Je veux dire, ce serait un nouveau départ pour toi. Une nouvelle vie qui commence.

- Je... ne comprends pas.

- Axelle... »

  Je sentis l'hésitation dans sa voix. Il se leva et vint poser ses mains sur mes épaules. Il plongea ses pupilles dans les miennes.

« - Axelle... tes parents et ton frère viennent de décéder. »

  Il avait laissé un temps d'attente, de suspense, avant d'asséner les derniers mots.

  Non. Je ne pouvais pas le croire. Je refusais de le faire.

« - Je suis désolé. »

  Alors ce n'était pas une blague. Non, il n'avait pas l'air de plaisanter. Mais...ce n'était pas possible ! Si, c'était une blague ! Ça ne pouvait qu'être ça ! Ou un cauchemar...oui, ce devait être ça ! Un cauchemar, rien qu'un cauchemar...

  Mais au fond de moi, je savais qu'il n'en était rien. Non, je n'étais pas en train de rêver. J'étais dans la vraie vie, dans la terrible réalité. Je commençai à m'affoler à cette pensée. C'était impossible ! Et tous les trois !? Comment cela était-il arrivé ? Mon frère n'avait pas eu cours aujourd'hui et mes parents ne travaillaient exceptionnellement pas. Ils étaient donc tous à la maison. Y avait-il eu un incendie ?

« - Axelle ? »

  Je ne réagis pas. Mon corps ne répondait pas. Du moins à l'extérieur. Comme si on avait appuyé sur le bouton pause de la télécommande.  J'étais figée, le regard vide. En contraste avec cette image que mon corps tendu à l'extrême renvoyait, l'intérieur était en ébullition. Ma boule au ventre avait éclaté, me poignardant de l'intérieur comme des centaines de petites aiguilles aiguisées. Une chaleur extrême se diffusa dans mon organisme tout entier. La boule coincée dans ma gorge, elle, au contraire, se durcit. Elle m'étouffait, bloquait le passage de l'air.

  Je ne pouvais le croire. Je venais de perdre les êtres les plus chers à mon cœur, ceux sans qui je n'aurais pas vécu comme je l'avais fait, sans qui je n'aurais pas eu la belle enfance que j'avais vécue. Ceux sans qui je ne serais pas aujourd'hui celle que j'étais devenue. Ceux sans qui je n'aurais même pas existé.

  Le directeur commença sérieusement à s'inquiéter de mon manque de tact.

« - Axelle ! Ça va aller ? Axelle ! »

  Il claqua des doigts devant mes yeux. Aucune réaction. Il me fit un signe de la main. Toujours aucune réaction. Il commença à me secouer légèrement.

  Je ne le sentais et ne le voyais qu'à peine. Des mots se répétaient en boucle dans ma tête : une discussion que j'avais eu seulement quelques heures avant cet instant horrible, avec la personne qui comptait plus que tout au monde pour moi, et que je n'allais plus jamais revoir. De l'agacement et de l'impatience dans ma voix et une tristesse profonde dans la sienne :

« - Ne me touche pas ! Tu ne comprends pas ce que je ressens ! Tu ne peux pas comprendre. Tu l'as déjà oubliée, toi !

- Tu n'as pas le droit de dire ça. Moi aussi je l'aimais énormément. Mais j'essaie de relever la tête. Je sais qu'elle n'aimerait pas nous voir nous morfondre. Je m'interdis de le faire. Et j'essaie d'apporter un peu de joie dans cette maison. Parce que c'est beaucoup plus agréable de voir son entourage vivre et s'épanouir. ».

  Pourquoi m'étais-je impatientée ? Je revoyais la lueur blessée que mes mots avaient imprimée dans ses yeux. Elle ne pouvait rien à ce qui m'était arrivé. Et la seule chose que j'avais trouvé à faire avait été de m'énerver auprès d'elle.

  J'avais rejeté la cause de mon malheur sur son dos. Je lui avais asséné de méchantes paroles, dont je ne pensais au fond de moi pas un seul mot. Je l'avais repoussée quand elle avait voulu me faire preuve de sa tendresse et de son affection. Elle avait voulu me réconforter, me rassurer, me consoler. Et moi, je m'étais braquée.

  Mais je ne pouvais plus revenir en arrière. Il était trop tard. La dernière image qu'il me restait d'elle était une dispute qui nous avait tout autant fait mal à l'une qu'à l'autre. Mon cœur se serra. Et si j'avais écouté ses conseils ?

« - Va de l'avant, ma chérie. Tu crois vraiment qu'elle serait contente si elle te voyait dans cet état ? Au contraire, vis doublement, profite deux fois plus ! Un peu pour elle, un peu pour toi. »

« Je le ferai cette fois, maman. Je te promets que je vais essayer. Et je vais y arriver, promis-je dans un murmure. »

« - Pardon ? ».

La question du directeur me ramena tout à coup sur Terre.

Je le fixai, ébahie.

MirlewnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant