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  Je froissai le bout de papier dans ma main.

  J'étais assise par terre, le dos contre le mur. Mon regard se posa sur les cloisons de ma chambre. Elles étaient peintes avec des couleurs pastels. La décoration était impersonnelle ; on sentait une certaine fausseté dans cette chambre d'ado, comme s'il ne s'agissait que d'une mise en scène. Un décor. Je me sentais étrangère à tout ça.

  J'entendis un bruit sur ma gauche. Quelqu'un montait l'escalier. Je cachai hâtivement le papier entre mon dos et le mur. Ma porte s'ouvrit bientôt. Je ne pris pas la peine de tourner la tête. Sans même le voir, je savais que ma mère se tenait dans l'embrasure, la main toujours sur la poignée. Je l'entendis soupirer. Elle vint s'asseoir à mes côtés.

« - Axelle, ma chérie... , souffla-t-elle. Ne pense plus à ça. Tout ça appartient au passé.

- C'est facile à dire... »

  J'avais toujours les yeux fixés dans le vide.

« - Et puis si je te dis que j'ai pas envie de penser à autre chose ? m'énervai-je.

- Mais tu ne pourras pas éternellement rester comme ça, à ruminer tes idées noires ! »

  Cette fois je me tournai vers elle et plongeait mes yeux verts dans les siens.

« - Arrête d'être tout le temps sur mon dos comme ça. Laisse-moi respirer, laisse-moi vivre !

- Mais tu ne vis pas Axelle, justement, t'en rends-tu seulement compte ? Tu te renfermes sur toi-même. Arrête de te morfondre ! Personne n'y peut plus rien, maintenant. C'est fini. »

  Elle se radoucit.

« - Va de l'avant, ma chérie. Tu crois vraiment qu'elle serait contente si elle te voyait dans cet état ? Au contraire, vis doublement, profite deux fois plus ! Un peu pour elle, un peu pour toi. »

  Elle me caressa les cheveux d'un main tendre, mais je la repoussai.

« - Ne me touche pas ! Tu ne comprends pas ce que je ressens ! Tu ne peux pas comprendre. Tu l'as déjà oubliée, toi ! »

  Elle me regarda avec une infinie tristesse dans le regard, et je sus à ce moment que je l'avais véritablement blessée. Elle se leva.

« - Tu n'as pas le droit de dire ça. Moi aussi je l'aimais énormément. Mais j'essaie de relever la tête. Je sais qu'elle n'aimerait pas nous voir nous morfondre. Je m'interdis de le faire. Et j'essaie d'apporter un peu de joie dans cette maison. Parce que c'est beaucoup plus agréable de voir son entourage vivre et s'épanouir, asséna-t-elle sèchement. »

  Sur ce, elle partit de ma chambre.

  J'eus un mal fou à m'endormir la nuit suivante. J'avais une boule au creux du ventre.

· • ·

  Sur le chemin du lycée, je ressassais la dispute que j'avais eue la veille avec ma mère. Je m'en voulais de m'être braquée. J'étais impulsive et ne me laissais pas dire les choses. Quand quelqu'un m'adressait des reproches, quoiqu'ils concernent, même s'il était question de mon bien-être, j'étais sur la défensive et pouvais devenir agressive. Ce n'était pas notre première dispute, mais j'avais l'impression que cette fois, quelque chose s'était réellement brisé en moi.

  Encore une fois, la voix de ma mère retentit dans mon esprit.
« Je sais que ça ne servirait pas à grand-chose de te dire que ce n'est en rien ta faute, car tu ne me croirais pas. Mais je veux que tu comprennes que ta propre culpabilité est nocive pour toi. Elle t'étouffe et te noie, t'empêche de t'épanouir. Elle t'enferme dans une bulle et te coupe du monde. Sois plus forte qu'elle. Détache-t'en. Et si tu n'y arrives pas, au moins, apprivoise-la.  Cohabite avec elle, sans jamais la laisser prendre le dessus. Tu en es tout à fait capable, ma chérie. Je le sais. Il faut juste que toi aussi, tu y croies. »

  Mais je ne devais plus y penser. Ce soir quand je rentrerai à la maison, je m'excuserai auprès d'elle. Je me reprendrai en main, tenterai de suivre ses conseils. Et tout serait réglé.

· • ·

  Je vis le regard mauvais qu'elle lui lançait. Sans même entendre les mots qu'elle lui crachait à la figure, je savais de quoi il s'agissait. Ne supportant plus cette vision, je me levai brusquement et arrivai près d'elle en furie.

« - Fous-lui la paix, dis-je, glaciale.

- Sinon quoi, la dépressive ? Tu comptes faire quoi ? Aller pleurer dans les bras de maman ? »

  Je la plaquai violemment contre le mur et lui murmurai à l'oreille.

« - Complexe d'infériorité. Tu sais ce que ça veut dire ? Que tu es jalouse de ceux qui t'entourent. Tu te sens obligée de les rabaisser pour te sentir mieux. Personnellement, tu m'inspires plutôt de la pitié quand tu fais ça. Ta vie est à ce point vide pour que tu n'aies rien d'autre à faire ? Tu veux te faire aimer de tout le monde. Mais chérie, c'est pas comme ça que tu vas y arriver. Et puis, comme tu dis, elle n'est qu'une sous-merde, nan ? Je me trompe ? Alors pourquoi tu lui accordes tant d'importance ? Tous les jours ! Tu lui parles, tu te moques et tu l'insultes tous les jours. Ça te sert à quoi ? Tu t'ennuies quand elle est pas là ou quoi ? Arrête de la coller, on pourrait finir par croire qu'elle est le centre de ton monde et que tu peux pas te passer d'elle. Alors pour la dernière fois, je te le dis. Tu lui fous la paix, et tu te fais remarquer autrement. »

  Je tremblais de rage et avais encore les yeux remplis de larmes. Je sentis une main se glisser timidement dans la mienne et me tirer doucement en arrière. Matt ne prononça pas un mot. Il se contenta de poser une main sur mon épaule et de m'emmener loin.

· • ·

  Contrôle de maths...
En temps normal, je n'avais pas de mal avec les maths. Je les aimais, même. Mais je n'avais pas la tête à ça. J'étais encore fébrile de ma prise de tête avec la fille à qui je venais de passer un savon. Et je repensais encore à ma mère. Pourquoi y accordais-je tant d'attention ? Je ne me sentais pas bien, j'avais toujours cette boule au ventre, qui montait jusque dans la gorge. J'étais à fleur de peau, ce devait être la fatigue. Je pris une grande inspiration et essayai de faire le vide dans ma tête, de ne plus penser à rien.

  La première demi-heure se passa très bien, et le contrôle était plutôt facile à mon goût. Puis le directeur en personne entra dans la salle. Il s'approcha de l'enseignante et lui chuchota quelque chose à l'oreille, l'air grave. Le visage de la jeune femme, d'ordinaire si souriant, se transforma d'un coup et elle s'adressa à moi d'une voix blanche :

« - Axelle, tu dois aller dans le bureau du directeur. Tu n'es pas obligée de prendre tes affaires. On verra plus tard si tu rattrapes le contrôle ou pas. Et si tu ne reviens pas avant la fin du cours, quelqu'un se chargera de prendre tes affaires. »

MirlewnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant