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Un large couloir s'étendait à ma droite. Il était d'un blanc luisant. Clair et immaculé. Pur. Sur Terre, on l'aurait qualifié de "futuriste". À intervalles réguliers, des pans de murs étaient plus brillants, et se rapprochaient plus de miroirs.

À travers ces vitres-miroirs, des scènes se jouaient devant moi, comme des films au cinéma.

Derrière l'une d'elles je vis un nourrisson dans son berceau. Un murmure s'éleva. "Mon bébé, mon amour". Le bébé souriait, paraissait heureux. Une petite fossette sur sa joue droite apportait un charme craquant à sa petite bouille. Un petit duvet roux perçait sur son crâne. Je regardai cette fois mon propre reflet, qui se mélangeait à la scène du bébé. Je souris et mes doigts frôlèrent le creux que formait ma joue droite. Pas de doute, le petit bout de chou et la fille refletée qui me faisait face correspondaient. Il s'agissait de la même personne. Ce couloir reflétait donc mes souvenirs ?

Je continuai mon chemin. Je ne me rappelais pas que ma mère ait eu un jour les cheveux aussi longs, mais en tout cas des cheveux pendaient sur mon petit corps, me chatouillant. J'étais encore sous forme d'un bébé dans ce souvenir. Cette fois, étrangement, je ne riais pas. Une voix féminine chuchotait. "Mon trésor de vie, mon cadeau du ciel. Pardonne-moi...". Elle enfonça dans mon petit bras potelé un pendentif. Une marque rouge y resta quelques instants puis disparut. "Le jour viendra.".
Face à la baie vitrée, je fronçai les sourcils. Qu'est-ce que cela signifiait ?

Perplexe, je continuai mon chemin. Je me plaçai devant un autre mur de verre. Cette fois, je me vis à dix ans. Je courais dans le jardin en riant. J'avais une jolie robe et une couronne de carton sur la tête. Je me souviens, c'était le jour de mon anniversaire. Ce jour-là, j'avais trouvé Cypial, errant. Cypial, ce chat que j'avais chouchouté et câliné sans lui laisser une seconde de répis, mais qui avait disparu brusquement au bout de quelques jours, me rendant très triste. Je souris à ce souvenir, légèrement nostalgique.

Cela me faisait tout drôle de revivre mes propres souvenirs d'un point de vue extérieur.

Je changeai encore une fois de décor.
« Delhya, tu ne peux pas dire ça ! Tu ne la connais pas. La jalousie te transforme et te fais dire des choses que tu ne penses pas. » Delhya ? Je ne connaissais pas de Delhya.Tout comme cet homme que je voyais. Un grand brun, plutôt beau dans son genre. Je scrutai plus attentivement son visage. Mon regard parcourut son large front, ses cheveux aux reflets tirant sur le roux, ses sourcils fins, ses pommettes saillantes. Non, décidément, je n'arrivais pas à le situer dans ma mémoire. Et je n'apparaissais pas dans ce souvenir. Cela m'intriguait.

Autre vitre, autre souvenir.
J'étais dans une forêt sombre. Ce devait être le soir. Une pluie torrentielle tombait. J'étais recroquevillée à terre, entourée de silhouettes menaçantes. Je voyais mes jambes pliées devant moi, mes propres bras me protégeant le visage, auquel mes cheveux se collaient. Et mon ventre rond. Un sentiment d'alerte résonnait en moi. Je devais le protéger. Ce bébé, c'était tout ce qu'il me restait. J'étais paniquée. Une rage sans nom, une haine sans limites commençaient à germer en moi. Vengeance, criait tout mon corps. Mais je n'avais pas la force...
Je détournai les yeux. Cela me ramena à la réalité, je me retrouvai dans le couloir blanc. Ce ventre, gonflé d'un autre être, ne m'appartenait pas. Ces mains d'adulte, déjà un peu usées par les ans, n'étaient pas les miennes. Je voyais la scène à travers les yeux de cette femme, mais elle n'était pas moi. Une fois convaincue, rassurée, je pris une inspiration et regardai de nouveau la scène.
Soudain, je me vis apparaitre. Une grande femme avec de magnifiques cheveux roux, couleur de feu. Elle était parmi les ombres hostiles, riant méchamment avec ces dernières. Bourreau. Elle s'avança vers la victime. Leva le bras. Une fois le premier coup tombé, les suivants se mirent à pleuvoir. Un pied s'approcha dangereusement du ventre arrondi, la cuisse du souffre-douleur fit barrage au dernier moment. Ce fut trop pour moi, je ne pouvais en supporter plus.
Je regardai autour de moi. Trouver quelque chose pour m'enlever cette vision d'horreur de la tête. Avais-je vraiment maltraité une femme enceinte ? Dans la scène, j'étais adulte. Se pourrait-il qu'elle représente...mon futur ?

Après avoir passé un certain temps plantée devant un énième miroir, je finis par me rendre compte que celui-ci ne représentait pas un souvenir. Un miroir banal en fait, qui me montrait mes propres gestes, dans l'instant. Ma théorie se confirmait peut-être ; ce couloir représentait ma vie dans toute son étendue. Le passé figuré par le nourrisson et la jeune fille d'une dizaine d'années. Le futur personnifié par la discussion avec l'homme et l'adulte cruelle qui agressait la future mère. Et le présent face à moi. Adolescente.

Je remarquai soudain que le miroir n'était pas parfaitement parallèle au mur. Je décelai un petit interstice. Prudemment, je posai ma main sur la surface lisse et brillante. Je fis légèrement pression et le pan de mur s'entrebâilla.

MirlewnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant