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J'entrai dans le cachot. J'allais m'adresser à Matt mais remarquai soudain qu'il ne m'avait pas suivie. Je revins sur mes pas et le vis dans le couloir, sur le point de s'asseoir parterre.

« - Bah qu'est-ce que tu fais ? Tu viens pas ?

- Ouh là non, crois-moi j'ai pas envie de revoir sa sale tête. Je l'admirerai quand elle ne sera plus accrochée au reste du corps. »

Je déglutis.

« - C'est glauque ! Bon alors si je comprends bien, je dois y aller toute seule ?

- T'as qu'à pas y aller tout court, au pire. »

Je soupirai en levant les yeux au ciel, puis partis sans même prendre la peine de lui répondre.

•••

Il faisait très sombre dans le cachot. Seule une bougie éclairait la pièce. Je ne remarquai pas immédiatement Cornelia. Mais quand je la vis, j'eus un choc. Elle était recroquevillée, à même le sol. Ses bras retenaient ses jambes pliées, dans lesquelles elle avait enfoui sa tête. Je m'arrêtai à une distance raisonnable d'elle. Elle sanglotait ! Moi qui l'avais toujours vu si droite et si fière, toujours prête à donner des ordres ou à assener de méchantes paroles, je la voyais maintenant à nu, faible.

Mais je ne me laissais pas prendre à son jeu. J'eus un rictus haineux. Quand elle avait tous les pouvoirs elle n'hésitait pas à tuer des centaines d'innocents. Mais maintenant qu'elle était sur le point de mourir, elle faisait moins la maligne. Elle jouait le rôle de la victime. Elle voulait nous faire ressentir de la pitié envers elle. Elle comptait se sauver de cette manière. Mais je n'étais pas dupe.

Elle finit par remarquer ma présence et releva la tête. Elle me regarda de ses yeux fatigués, décharnés. Puis, à ma grande surprise, sans que je n'aie rien demandé, elle prit la parole.

« C'était il y a quelques années. Tu sais, je viens d'une famille très modeste. Mes parents étaient de simples ouvriers et ils arrivaient à peine à nous nourrir correctement. Bastel, lui, était le fils d'un roi... un prince. »

Sa voix tremblait.

« On s'est rencontrés dans une auberge, ce genre d'auberge mal famée où l'on n'est pas censé trouver un prince. Bastel préférait se promener dans les champs et se mélanger aux "gens de classe inférieure", aux "pauvres", plutôt que de rester auprès de ses courtisans.
Ce soir-là, je tentais tant bien que mal de gagner quelques sous pour nourrir mes frères et sœurs en servant les clients. Et puis il est arrivé. Je n'aurais pas pu ne pas le reconnaître, malgré qu'il fut habillé comme un homme quelconque. Je l'avais tellement observé et admiré lorsque je l'apercevais au palais.
Puis il m'a regardée et a souri... Je n'y croyais tellement pas que je me suis même retournée pour vérifier qu'il s'agissait bien de moi, et non pas d'une autre femme derrière."

Cornelia s'interrompit quelques instants et sourit avec mélancolie en repensant à cette fameuse soirée. Elle ferma les yeux.

« Il s'est assis à une table, et je suis allée le voir pour prendre sa commande. Je lui ai dit :
- Que désirez-vous ? Whisky, vin ?
Il a sourit et m'a répondu :
- Ce n'est pas une boisson que je veux. C'est vous.
J'ai commencé à rire et il a rajouté d'un air très sérieux :
- Je veux votre amour.
Bien sûr, j'ai cru à une plaisanterie mais il m'a demandé si cela me plairait d'aller vivre au palais avec lui, et que si j'acceptais, il serait le plus heureux des hommes. C'est à ce moment que j'ai compris qu'il était sincère.
Bien évidemment que je voulais partir avec lui, mais je ne pouvais pas faire ça sur un coup de tête. Son père ne voudrait jamais de moi chez lui. Pourtant, il m'a supplié. Alors je n'ai pas pu refuser.
À ma grande surprise - et joie, je dois l'avouer -, le roi m'a acceptée. Mais le peuple et les courtisans n'étaient pas de cet avis. Tout le monde à commencé à m'insulter, à me lancer des regards mauvais. Ils disaient que j'avais ensorcelé leur prince pour qu'il tombe amoureux de moi. Mais Bastel et son père me défendaient.
Un jour je leur ai parlé en leur disant que le peuple avait peut-être raison, qu'il fallait que je parte, et que Bastel pourrait trouver très facilement une belle jeune femme. Mais il n'a rien voulu entendre. Il m'a dit que si je partais, il serait déchiré. Il m'aimait vraiment, et moi aussi.
Nous vivions heureux depuis déjà quelques mois quand elle arriva. Alys... Je ne sais pas vraiment comment elle s'est retrouvée là, ni même pourquoi. Mais ce que je sais, c'est que je l'ai détestée.
Bastel et elle ont commencé à se rapprocher de plus en plus. Je n'avais rien contre ça. Mais au fur et à mesure que le temps passait, mon bien-aimé a commencé à changer, jusqu'au jour où il n'a pratiquement pas remarqué ma présence.
On s'était croisés dans le couloir et il m'avait fixé d'un regard tellement indifférent que j'en avais eu la chair de poule. On ne le sait sûrement pas lorsque l'on n'en a pas fait l'expérience, mais je peux dire aujourd'hui que parfois, l'ignorance peut être encore plus dure à supporter, plus cruelle que les paroles les plus ingrates et les insultes les plus blessantes.
C'est là que j'ai compris que cette Alys l'avait changé au point que je ne représentais plus rien à ses yeux. Alors un jour j'ai décidé d'expliquer mon point de vue à Bastel.
- Écoute chéri. Je t'aime mais j'ai l'impression que ce n'est plus comme avant. J'ai l'impression qu'on s'éloigne, on ne se parle même presque plus...
J'ai hésité à continuer, à tout lui déballer, et finalement j'ai tout lâché :
- Je vais être sincère avec toi. Je pense que c'est à cause d'Alys...
- Tu rejettes le fait qu'on s'éloigne sur le dos d'Alys ? C'est injuste ce que tu fais Delhya ! Alys est une femme merveilleuse, mais elle a beaucoup souffert. Alors c'est normal que je la soutienne et que je passe un peu plus de temps avec elle.
- Un peu plus de temps avec elle !? Tu passes tes journées entières en sa compagnie, et moi maintenant je ne suis plus rien !
- Arrête d'être jalouse !
- Je ne suis pas jalouse ! Je suis juste en manque d'affection... J'aimerais retrouver Bastel, LE Bastel que j'aime. Tu me manques juste.
- Écoute, on en reparlera.
J'étais un peu déçue de sa réaction, mais je décidai de laisser le temps faire les choses.

Une semaine plus tard, Guillaume est venu me parler.
- Écoute Delhya, ma chérie. J'ai réfléchis à notre dernière discussion et je pense que tu avais raison...on s'est éloignés. Je voudrais te présenter mes excuses et j'aimerais que l'on reparte à zéro. C'est vrai que j'ai l'impression qu'Alys me domine un peu trop, je m'en rends compte maintenant. Tu m'as ouvert les yeux, je t'en remercie.
- Oh Bastel, je te retrouve enfin, après toutes ces semaines ! Tu ne peux pas savoir comme je suis heureuse !

Quand je suis sortie de la pièce où nous étions, j'ai surpris Alys qui nous écoutait. »

MirlewnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant