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« - Ne fais pas ça, Leoris. »

  La voix de Jalilia n'était qu'un murmure. Elle semblait à la fois donner un ordre et supplier son interlocuteur.

« - Tu ne pourras pas éternellement lutter contre toi-même, continua-elle d'une voix douce. »

  Je ne savais pas de quoi ils parlaient. Leurs voix m'était parvenues alors que je venais de me réveiller. Je n'osais pas ouvrir les yeux. Je restais là sans bouger, étendue sur le dos. Ils devaient penser que j'étais encore endormie, que je ne les entendais pas.

« - Tu ne comprends pas Jalilia. Je dois partir. Pour vous protéger. Je... je sens que je perds le contrôle. Quand cela arrive, tu sais tout autant que moi où ça peut nous mener.

- Tu parles de toi-même comme si tu étais une dangereuse créature qu'il faut laisser enfermée dans sa cage. Tu n'es pas un monstre Leoris !

- Si, Jalilia, si ! Je l'ai tuée. Et ça va recommencer, jusqu'à ce que chacun de vous soit mort. Il... il me l'avait dit. Tarvas m'a dit que je vous tuerai tous. Et il avait raison ! J'ai croisé son regard, hier. Il a compris. »

  Ses mots étaient hachés, ses paroles saccadées. Il paraissait affolé.

« - Qu'est-ce qu'il a compris, Leoris ?

- Tu ne comprends donc pas ? »

  Les deux se turent. Cette discussion n'avait aucun sens.

« - Elle te la rappelle, n'est-ce pas ?

- Chaque geste, chaque parole, chaque mimique d'elle m'évoque Simza. Chaque regard. Ces yeux de feu, ce regard brûlant qui m'effleure la peau. Je retrouve tout en elle. Tarvas l'a compris. Je me suis trahi en la rattrapant dans l'escalier. Il sait qu'il ne m'atteindra qu'en passant par elle. Si Surabia et Ylian sont désormais orphelins c'est parce que j'ai fait l'erreur de montrer ma faiblesse. Si nous ne reverrons plus jamais Filz c'est parce que, malgré moi, j'ai montré mon attachement à Mirley, ce besoin de la surprotéger. Parce que Tarvas a cette envie, ce besoin de vengeance qui bout dans ses veines. Parce qu'il veut me faire payer la mort de sa sœur. Tu comprends maintenant pourquoi je veux partir Jalilia ? Je refoule tous ces sentiments parce que j'ai peur. Mais un jour ça explosera. Il ne s'arrêtera pas là. Et, par conséquent, moi non plus. Je dois briser ce cercle vicieux. C'est à moi de le faire. Et je connais la solution. Je ne pourrai peut-être pas éternellement lutter contre moi-même, mais je continuerai à le faire aussi longtemps que j'en aurai la force. »

  J'entendis soudain sa voix plus distinctement. Je compris qu'il s'était tourné vers moi et me regardait. Je dûs lutter pour ne pas bouger. Ne pas soulever les paupières. Je bloquai même ma respiration.

« - Elle a déjà subi tant de choses. Je ne peux pas me permettre de lui imposer des épreuves supplémentaires. Regarde-la dormir. Elle est si paisible. Elle mérite la tranquillité. Le bonheur. Un... un amour sain. Il y a tant de choses que j'aimerais lui offrir. »

  Il tourna enfin la tête. J'étais au bord de l'asphyxie.

« - Jalilia... ne prenez pas mon départ comme un abandon. Ce sera ma manière de vous montrer le respect que j'ai pour vous. Je ne vous abandonne pas, je vous protège. »

  Un énorme fracas se fit soudainement entendre. Cette fois-ci j'ouvris les yeux en grand.

  Je vis tout d'abord Leoris, les sens aux aguets, l'index sur les lèvres pour ordonner le silence. Il n'y avait plus un bruit. Il ne détachait pas son regard du lieu de provenance du vacarme. Je me levai du canapé sur lequel j'étais allongée. Que faire ? Jalilia à mes côtés, nous nous plaçâmes derrière ma Paire. Nous avançâmes prudemment.

  Une silhouette était debout dans l'embrasure de la porte.

  Omalnia se tenait là, son corps décharné prêt à s'effondrer. Elle semblait épuisée, portait difficilement dans ses bras un petit corps flasque pâle comme la mort. Je reconnus ce petit garçon. Comment s'appelait-il déjà ? Ylian. Je remarquai sa sœur, Surabia, qui se tenait un peu en retrait.

  Je ne comprenais pas leur état. Ils avaient tout de victimes qui venaient de subir une attaque, pourtant, leurs corps ne paraissaient pas porter de marques de blessures, quelles qu'elles soient. Ils paraissaient tout de même au plus mal.

  Lorsque Leoris essaya de prendre Ylian des bras d'Omalnia, celle-ci refusa d'abord sans vraiment s'en rendre compte, se raccrochant à lui, poussée par son instinct de protection. Elle avait le regard vide et s'accrochait au garçon comme à une bouée de sauvetage.

  Qu'avait-il donc bien pu se passer pour qu'ils se retrouvent dans un état pareil ? Ils avaient tous l'air d'avoir subi un énorme choc psychologique. Quand elle finit par lâcher prise, elle s'effondra à terre, à bout de forces.

· • ·

  Jalilia sortit de la chambre où reposait le petit garçon.

« - S-Si Ylian vivait encore depuis deux jours, c'est parce qu'il avait promis à sa mère que s'il arrivait quelque chose à cette dernière, il ferait tout pour protéger et veiller sur sa sœur. C'était la volonté d'accomplir sa promesse qui le faisait vivre jusqu'à maintenant. M-mais finalement... les blessures et la douleur ont eu raison de cette volonté. Il est mort. »

  Surabia baissa la tête résignée en entendant ces mots. Elle ne cria pas, ne bougea pas. Seul signe de vie sur ce corps immobile, ses larmes glissèrent lentement jusqu'à s'écraser à ses pieds.

MirlewnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant