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  J'arrivai face à Leoris et Jalilia, les yeux encore à demi-fermés.

« - Je... ne me rappelle plus de rien. »

  La fille me sourit gentiment et s'approcha de moi. Elle posa sa main sur mon épaule et me conduisit jusqu'à une chaise, sur laquelle elle m'incita à m'asseoir.

« - Vous discutiez, toi et Amadeo. Quand nous sommes arrivés, vous étiez en train de parler de ta mère. Je crois que ça t'a un peu chamboulée. Arzun s'est approché de toi pour t'apporter du soutien. On ne sait pas exactement si tu t'es endormie soudainement ou si tu t'es évanouie, mais en tout cas tu t'es presqu'immédiatement effondrée dans ses bras. Il faut que tu te reposes, Mirley.

- Je m'appelle Axelle, pas Mirley ! »

  Qu'avaient-ils donc tous à m'appeler comme ça ? J'allais continuer à protester mais elle ne m'en laissa pas le temps.

« - Repose-toi, c'est important. Tu as vécu de nombreux chocs ces derniers jours. Ton trop-plein d'émotions peut t'être néfaste, il faut que tu sois vigilante. »

  J'étais interloquée. Je voulais bien croire que cette fille me voulait le plus grand bien, mais tout de même, elle me sortait de beaux conseils alors que je ne la connaissais qu'à peine. Et, surtout, je venais tout juste de sortir d'une... sieste ? Elle me déballait ces paroles sans que je n'aie rien demandé. Elle semblait presque me faire une leçon de morale.

« - Je sais que c'est difficile, mais essaie de te détacher de toutes ces choses qui t'arrivent. »

  Je l'aurais volontiers remerciée, mais en même temps je ne savais trop que penser. En effet, je ne demandais que ça, me détacher de toutes ces choses qui se passaient dans ma vie !

« - Arrête de la frustrer, Jalilia. »

  Je regardai Leoris avec des yeux ronds. Serait-il en train de s'inquiéter de mon bien-être ?

« - Merci, Leoris. Mais ne t'inquiète pas, ça va. J-je vais bien.

- Je m'inquiète pas. C'est juste que t'es très frustrée, donc je le suis aussi. J'aime pas. »

  Super... Un instant j'avais cru qu'il était attentionné, au fond. En fait non. Il n'en était rien. Il ne pensait qu'à son petit confort personnel. Et dire que je l'avais même remercié ! Il s'en fichait de ce que je ressentais, sauf si ça l'atteignait directement. Dans ce cas, Monsieur était dérangé, ça ne lui plaisait pas.

Je repensai soudain à toutes ces questions dont il me restait à connaître les réponses.

« - Amadeo m'a confirmé que nous étions Liés, toi et moi, commençai-je prudemment. »

  Il poussa un soupir excédé. Il semblait ravi. Je ne me laissai pas décourager pour autant ; je commençais à m'habituer à ses manières désagréables.

« - Quand il m'a expliqué le fonctionnement des Paires, il mentionné le phénomène - rare, a-t-il dit - d'une Moitié entrant dans l'esprit de l'autre quelques instants. C'est ce qui s'est passé quand Cornelia t'a... enfin, nous a blessé. C'est bien ça ?

- Ça me paraît évident.

- J'ai vu... , hésitai-je »

  Une lueur inquiète scintilla un court instant dans ses yeux. Cela ne m'échappa pas. Appréhendait-il ce que m'apprêtais à lui dire ?

« - J-j'ai vu un corps. Un corps allongé. » ma voix se brisa. « Tout frêle. »
Je levai les yeux vers lui. « Elle était belle, n'est-ce pas ? Je sais qu'elle était belle sans même l'avoir vraiment vue. » Mes yeux se remplirent de larmes en même temps que mon cœur se remplissait de désespoir. « Elle n'aurait pas dû mourir, elle ne le devait pas. Et pourtant, elle a subi ce sort qu'elle était de loin la dernière à mériter. J'ai ressenti ta honte, ta colère de voir cela resurgir du passé. Et... ta culpabilité. »

  Je regrettais déjà mes paroles. Pourquoi lui avais-je dit tout cela ? Qu'est-ce qui m'avait poussée à tout lui dévoiler ? À quoi cela m'avait servi de lui dire à quel point j'étais entrée dans sa tête, accédant à ses pensées et ses émotions, violant ainsi son intimité ? Raconter cela devant Jalilia. Il avait toutes les raisons de m'en vouloir. Je ne savais rien de ce qu'il avait vécu par le passé. J'avais juste interprété des ébauches d'images et de sentiments que j'avais eus malgré moi.

  Pourtant Leoris ne dit rien. Il n'esquissa pas un geste. Il se contenta de me regarder fixement, sans me voir, le regard trouble et la mâchoire serrée.

  J'éprouvai de la culpabilité. Me pardonneras-tu un jour, Leoris ?

Un silence embarrassant s'ensuivit, mais Jalilia le brisa d'une voix un peu trop enjouée :

« - Bon ! Assez parlé. Je crois bien qu'il faudrait que la soigne, cette blessure, tant qu'on en parle ! »

Je fixai la blessure sur mon bras.

« - Pourquoi a-t-elle fait ça ? murmurai-je

- Je n'en sais rien Mirley, je ne sais pas. »

Cette fois-ci je n'eus pas la force de protester contre ce nom qu'elle me donnait.

« - Elle... ne se limite pas à ça. »

  Comment ? Je frissonnai. Je n'osais pas imaginer ce que cette femme pouvait bien faire de pire que torturer deux adolescents, qui plus est en y prenant un plaisir apparent.

  Le regard de Jalilia était évident de sous-entendus. Je déglutis. Je me tournai vers Leoris. Il me semblait plus pertinent de parler directement avec le concerné, même s'il n'était pas ouvert au dialogue.

« - Et si ça avait... mal fini ? Si, au lieu de planter ce couteau dans ton bras, elle l'avait planté dans ta gorge, ou dans ton cœur ? Est-ce que je serais morte, moi aussi ? »

  Il ne répondait pas. C'est Jalilia qui s'empressa de le faire à sa place.

« - Tu en as, de l'imagination. Rien de tout cela n'est arrivé. Tu es vivante, et lui aussi. »

J'insistai :

« - Oui, je sais, mais si tout cela était arrivé...? »

La jeune fille se mit à trembler. Le regard sombre, Leoris me répondit d'une voix grave.

« - Tu aurais ressenti la mort sans mourir. »

La brune plaqua sa main sur sa bouche mais ne pus retenir son cri de stupeur. Je blêmis.

« - Leoris... »

Je tentai de maîtriser ma voix chevrotante et ma respiration saccadée.

« - Leoris, quand ma mère est morte... »

Je ne pus continuer. Mais son corps entier se crispa. Il avait compris.

« - Je n'en parlerai pas. »

MirlewnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant