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« - Moi, si je meurs, je veux que ceux qui restent soient heureux. »

Je regardai Surabia avec étonnement.

« - Parce que si les gens étaient malheureux et s'arrêtaient de vivre, ils mourraient à leur tour. De l'intérieur. Et ce serait du gâchis, quand même. »

Sa maturité m'impressionnait. Elle devait avoir sept ans, tout au plus, mais faisait pourtant preuve d'une profonde sagesse. Je l'admirais, elle qui venait de perdre sa mère puis son frère, et qui pourtant paraissait relativiser. Je sentais une grande force qui émanait d'elle.

Je l'observai. Fidèles à la religion de Mirlewna, nous avions coupé ses beaux cheveux châtain. Il ne lui restait plus que quelques boucles. Elle serait magnifique plus tard, j'en étais sûre. Elle était très calme, posée. Tout en simplicité, mais avec des pensées très profondes et réfléchies. Elle inspirait une grande sérénité.

Ses yeux s'ancrèrent dans les miens. Son regard me percuta. J'avais vraiment l'impression de me trouver face à une âme adulte enfermée dans un corps d'enfant.

« - Il faut accepter que les gens partent. On ne peut pas lutter contre ces choses-là. Ça ne sert à rien de se raccrocher au passé. Et puis, la mort de quelqu'un ce n'est pas triste. Une âme qui se libère de sa prison charnelle, moi je trouve ça beau. Les corps meurent, mais notre pouvoir à nous, c'est de savoir les faire revivre dans nos cœurs.»

Ses pupilles ne me quittaient pas. J'avais l'impression qu'elle ne parlait que pour moi. Comme si elle voulait me faire passer un message. Un message que mon cœur comprenait tout à fait. Bien sûr. J'avais longtemps ressassé la mort de Margot, et le décès plus récent de mes parents ne m'avait pas aidé à l'accepter, bien au contraire. Il avait fait resurgir la culpabilité en moi. Culpabilité qui n'avait pas lieu d'être.

Je me sentis soudainement libérée. Une grande détermination grandit en moi. J'étais prête à accepter, prête à faire mon deuil. Prête à tourner la page. Enfin.

Je regardai autour de moi, mes yeux se posèrent sur Leoris. Il semblait bouleversé. Les mots de Surabia semblaient l'avoir atteint. Je repensai à tout ce que j'avais vu et entendu. Que s'était-il réellement produit par le passé ? Qu'avait-il vécu ?

· • ·

« - Parle-moi d'elle, Leoris. Parle-moi de Simza. »

Il ferma les yeux. Je savais déjà ce qui allait se passer. Dans quelques instants, j'allais me retrouver dans sa tête, assistant à ses souvenirs de son point de vue, comme si j'étais lui.

Ils se promenaient sur la plage, les vagues venant caresser leurs pieds de temps à autres. Elle s'arrêta face à la mer et scruta la vaste étendue d'eau, son regard se perdant loin vers l'horizon.

« - C'est l'eau qui me tuera. »

Il rit doucement.

« - Qu'est-ce que tu me racontes là ?

- L'eau est dangereuse. Mais tout ce qui est dangereux fascine. Parfois, les vagues captent mon regard, accaparent toute mon attention. Mes yeux ne peuvent alors plus s'en détacher, je ne peux plus penser à rien d'autre. J'en suis prisonnière. L'eau m'attire incontestablement. »

Le silence fit résonner ses paroles. Elle se tourna vers son interlocuteur.

« - Je suis une fille du feu, Leoris. L'eau est mon ennemie. C'est elle qui arrachera la vie à mon corps, j'en suis certaine. Et c'est ce que je veux. Ce sera la plus belle mort que je puisse avoir, ce sera d'une puissance inouïe.

- J'aime ton imagination. J'aime ta folie.

- Sois fou avec moi. On sera bien, tu verras.

- Bien sûr qu'on sera bien. Je serai fou, Simza. Pour toi. »

Il rouvrit les yeux et les planta dans les miens.

« - Elle était comme toi, murmura-t-il. Ma fille de feu.

- Leoris, pourquoi... pourquoi dis-tu l'avoir tuée ?

- Je voulais qu'on se retrouve que tous les deux. Rien qu'elle et moi. Mais les temps étaient très durs ; on n'avait pas le droit de sortir. J'ai insisté. Je... je lui ai dit que je la protègerais. Qu'on ne risquait rien. J-je n'aurais pas dû. Tarvas a dû me voir insister auprès de sa sœur. Il pense que j'avais tout prévu, que j'ai fait ça volontairement pour la tuer. Que je l'ai embarquée dans un piège. Mais c'est pas vrai ! Je voulais pas la tuer, Mirley, je voulais pas ! Je pouvais pas savoir ce qui allait se passer. On... on est tombés dans une embuscade. Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite. Ils m'ont frappé, frappé. Puis ça s'est arrêté. J'ai tourné la tête. Elle était là, étendue, juste à côté de moi. »

Il déglutit.

« - Tu n'y peux rien Leoris, dis-je d'une voix douce. Ce n'est pas ta faute. Ce sont ces gens qui l'ont tuée, pas toi.

Je me suis approché de son corps étendu. Elle n'était pas morte, Mirley ! hurla-t-il. »

Il éclata en sanglots.

« - Elle n'était pas morte. Elle luttait. Elle luttait pour ne pas se laisser emporter. Elle a murmuré un seul et unique mot. Mais c'est comme si elle m'avait dit des phrases entières. J'ai tout de suite compris. »

Il s'arrêta là. Il ne poursuivit pas son récit. Les questions me brûlaient les lèvres. Quel mot ? Qu'a-t-elle bien pu te dire, Leoris, pour te chambouler à ce point ? Un seul mot ? Je me fis violence pour ne pas le brusquer.

« - Je... je lui ai répondu... que je ne l'amènerais ni dans un lac, ni à la mer. Que mes larmes suffiraient à la noyer. Pourtant elle luttait, luttait. Elle ne voulait pas se faire emporter par autre chose que sa meilleure ennemie. C'était étrange cette sorte de fascination craintive qu'elle avait envers cet élément. Je n'ai jamais su d'où elle lui venait. J'ai vu la déception dans son regard quand je lui ai dit ces mots. J'ai aperçu une lueur de colère. Je voyais qu'elle n'était accrochée à la vie que par un fil. Que par une pensée. L'eau. Ça lui demandait des efforts considérables. Je ne pouvais pas la laisser partir avec ce regard. Son esprit devait être en paix. Elle était une fille de feu, c'était l'eau qui devait la consumer. C'était à l'eau d'éteindre la lueur de vie qui subsistait en elle. »

Il baissa les yeux. Comme s'il ne voulait plus voir mes pupilles le scruter. Comme s'il voulait s'échapper de la réalité. Il finit par les fermer. Comme s'il s'infligeait de revoir ces images du passé. Comme une punition envers lui-même.

« - Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite. Je n'étais pas maître de mon corps. J'avais l'impression d'assister à une scène sans pouvoir agir. Alors que pourtant ce sont bien mes mains, les miennes, qui ont attrapé ce corps frêle, qui l'ont porté, puis déposé au bord de l'eau. Ce sont mes mains qui l'ont maintenue sous l'eau, pendant que la vie s'y en allait doucement. Et ce sont mes yeux, les miens, qui ont décelé la lueur de reconnaissance dans les siens. Puis j'ai tourné la tête. Et un autre regard a remplacé celui de Simza, me faisant oublier toute once de gratitude qui puisse exister. J'ai vu... j'ai vu ce regard que Tarvas m'a adressé. La manière dont il me regardait. Et j'ai compris que j'étais un criminel. »

MirlewnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant