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« - Leoris est maudit, je suis Leoris. Je suis maudit ! Maudit, maudit, maudit... »

Je me réveillai en sursaut. Il y avait un visage penché à quelques centimètres à peine de moi. Des yeux rouges exorbités et cernés. Je poussai un cri et me reculai subitement. Il cria à son tour. J'éclatai en sanglots. Ça ne devait plus continuer ainsi. Je n'en pouvais plus. Cela faisait déjà trois jours qu'il était comme ça et que je ne savais pas quoi faire. Doucement, je m'approchai du lit. Doucement, je m'assis près de lui. Je croisai mes bras et posai ma tête dedans. Doucement, tout doucement.

Une idée surgit soudain dans mon esprit. Accompagnée d'une image qui se précisait. Des yeux d'un bleu opalescent, si clairs, presque translucides. En contraste avec cette couleur si froide, la douceur même. Ces yeux dégageaient de l'amour et une certaine quiétude. Une incroyable sérénité.  Et si... Ça valait le coup d'essayer, après tout je ne pouvais rien y perdre.

- Matt ? tentai-je.

Il me regarda. Et pour la première fois depuis longtemps son regard n'était pas fiévreux. Il semblait apaisé. Cela m'apporta du réconfort. Je voyais enfin un chemin s'ouvrir à moi. Un chemin avec une petite lumière au bout. Espoir. Peut-être que tout n'était pas perdu. Peut-être que je pourrais encore changer les choses.

Pourquoi cette image m'était-elle apparue ? Ces yeux inoubliables surgissant du passé.

- Leoris est maudit.

Il se crispa.

- Mais tu n'es pas Leoris, m'empressai-je d'ajouter. Tu t'appelles Matt, souviens-toi.

Il semblait tout de même un peu méfiant.

- Mais elle a dit...

- Elle t'a menti, coupai-je.

J'eus un léger vertige. Je ne devais pas m'engager sur une voie si incertaine. Mais je voulais le sauver. Et si nous repartions de zéro ? Tous les deux. Je serais Axelle et lui Matt. Mirley et Leoris appartiendraient au passé. Il ne seraient plus que des souvenirs. On s'inventerait un nom, puis une identité.
Inconsciemment, je remerciais la femme du miroir, c'est à elle que je devais cette idée. C'était la destinée des noms.

- Souviens-toi, Matt. Moi c'est Axelle. Tu te rappelles ? Tu as subi un petit choc qui t'a fait oublier quelques éléments. Mais tu vas retrouver ta mémoire, ne t'inquiète pas. Je suis là pour t'aider.

- Et...et je suis comment ?

Je souris mélancoliquement. Fermai les yeux.

Matt. Ce qui m'avait le plus marqué chez lui était cette attention qu'il accordait aux autres, et plus particulièrement à une personne. Il avait une petit sœur, il prenait soin d'elle et était attentionné. Ce lien entre eux était puissant. Et bien sûr, il avait un regard frappant. Ineffaçable.

- Tu es très timide, commençai-je. Ton effacement se ressent à travers tes sourires discrets. Tu apprécies l'humour aussi je crois. Tu aimes rire, même si tu ne le fais pas si souvent que ça. J'aime bien t'entendre rire. Tu es un peu renfermé sur toi-même, mais une fois qu'on apprend à te connaître, tu t'avères être d'une gentillesse extrême. Tu es très attentionné. Tu rougis souvent, un peu gêné, tu n'oses pas t'imposer. T'es un peu maladroit, pas très sûr de toi. Mais c'est une maladresse touchante je trouve. Tu ne fais jamais le premier pas, tu laisses toujours les autres agir, et tu t'adaptes.  Tu baisses souvent le regard. Tu ne laisses pas grand-monde t'approcher. Mais tu es prêt à tout pour protéger les gens que tu aimes. Tu ferais n'importe quoi pour eux. Et tes yeux... tu as des yeux captivants. Transcendants. Ils m'ont marquée à tout jamais.

Mes paupières se soulevèrent. Leoris me fixait. Ses prunelles luisaient d'une reconnaissance inconditionnelle. Cependant, je décelais une faible crispation au coin de sa bouche. Comme s'il savait, au fond de lui, que ce n'était qu'illusions... Un mirage que je lui griffonnais gauchement. Une œuvre fantasmagorique dont je ne pouvais pas me vanter. Malgré tout, il se confortait dans cette opportunité que je lui offrais. Celle d'un échappatoire. Et je ne pouvais que lui en être reconnaissante. Je le comprenais, aussi. Parfois, souvent même, on préfère être bercés d'une doucereuse utopie plutôt que devoir supporter la fatidique vérité.

- Et toi ? demanda-t-il.

- Moi ?

- Je veux dire... toi et moi.

Il regardait le sol. Fuyait mon regard. J'eus l'impression de me trouver face à un acteur jouant le rôle du personnage que je venais de lui décrire. Leoris se fondait dans la peau de Matt.

- Toi et moi ?

- ... Il y a quelque chose entre nous ?

Il y a quelque chose entre nous ? Cette phrase ne signifiait plus rien pour lui, mais éveillait en moi des réminiscences. Je ris nerveusement.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- Je sais pas... je te demande, c'est tout. Tu avais l'air... quand tu parlais de moi... Nan, oublie.

Je baissai le regard. Un ange passa.

- Tu voudrais que je change ? dit-il brusquement.

Je le regardai, interloquée.

- Je veux dire... ça a l'air d'être quand même pesant que je sois si timide. Autant pour toi que pour moi.

- Non, ne change rien ! m'écriai-je. C'est ce qui fait ton charme après tout, justifiai-je.

Il rougit et s'apprêta à dire quelque chose mais se ravisa.

- Je n'aime pas cette chambre. Viens, partons.

Je m'étais levée et me préparais à sortir quand je me rendis compte qu'il ne me suivait pas. Je me retournai. Il n'avait pas esquissé un seul geste. Comme s'il craignait de quitter cette pièce. Peut-être trouvait-il un certain réconfort, une certaine assurance, une sorte de protection, dans ce grand lit. Il n'osait pas sortir, cela impliquerait de faire face à l'inconnu. Je soupirai et revins m'asseoir près de lui.

- Parle-moi de toi.

- Tu sais j'ai pas grand-chose à raconter sur ma petite personne. Allez, viens. N'aies pas peur, je suis là. S'il te plaît.

•••

Je ne sais par quel moyen j'arrivai à nous mener jusqu'à l'extérieur, mais quoiqu'il en fut, j'y parvins. Nous étions sur ce qui s'apparentait à un balcon. L'air était léger, doux. Je remarquai alors que mes cheveux ondulaient tout autour de moi, et je me sentais moi-même légère. C'était comme si il n'y avait plus de gravité. Pourtant, tu restions debout, comme si seuls nos corps répondaient à cette force d'attraction. J'avais envie de me laisser aller, laisser cette atmosphère paisible m'envahir. J'avais l'impression que je pourrais voler. J'avais envie de voler. M'envoler loin de tout. J'étais comme dans un rêve. Un léger brouillard se répandait autour de moi. À moins que ce ne fut en moi ? Je ne savais plus.

- Comme du coton, murmurai-je.

C'était agréable. J'avais envie de rire et de pleurer. Je ressentais une sorte d'excitation. L'excitation d'un enfant faisant quelque chose d'interdit. N'avais-je pas le droit d'être libre ? Ne plus penser à rien. Juste flotter. Dériver.

Ses lèvres se posèrent sur les miennes. J'ouvris les yeux. Ressentait-il la même chose ? Il se détacha brusquement de moi.

- Non ! Pardon. Je ne devrais pas. Je n'aurais pas dû. C'est ma faute. Pardonne-moi, sanglota-t-il.

Je ne comprenais pas. De quoi s'excusait-il ? Je ne comprenais plus. Je ne voulais plus réfléchir.

Au départ, ce ne fut qu'un bourdonnement dans mes oreilles. Ce sifflement s'intensifia jusqu'à devenir insupportable. Je voulus porter mes mains à mes oreilles mais je ne pus esquisser aucun geste, mon corps ne répondait plus. Puis le bruit s'arrêta. Et je ne vis plus rien. Rien que du noir.

MirlewnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant