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« Tu crois que maintenant ils volent ? » chuchota-t-il.

Matt s'assit à côté de moi.

« Je savais que je te trouverais là. »

Je ne répondis pas. J'étais vide, j'avais l'impression de ne plus savoir comment me comporter avec les gens. Comment parler, comment m'exprimer ? Je finis pourtant par y parvenir.

« - Pourquoi l'amour existe, Matt ? Dis-le-moi. Pourquoi ressent-on des choses si fortes envers les autres ? Ça ne fait que nous détruire, ça nous ronge de l'intérieur. Ça n'apporte que du malheur.

- Pourquoi dis-tu ça ? Imagine-toi un monde sans amour. Essaie juste. Tu n'y arriveras pas. Parce que ce n'est pas possible. Ce serait trop fade. Non Axelle, l'amour, c'est beau. Certains sont malheureux à cause de l'amour, c'est vrai. Mais le malheur peut être beau, lui aussi. À sa manière. Il peut inspirer de belles choses. Tu imagines le nombre de livres, le nombre de chansons qui n'auraient pas existé, qui n'auraient pas été créées si leur auteur n'avait pas connu ce sentiment ? »

Je souris. Il avait raison, peut-être. Ça me faisait drôle de le voir comme ça. Lui qui, d'ordinaire, privilégiait les gestes aux paroles. Il savait s'exprimer par ses silences. J'avais trouvé un sujet qui avait l'air de l'inspirer.

Il comprit qu'il avait réussi à capter mon attention et saisit cette occasion.

« Allez viens, Axelle. Rentre chez toi. »

Mais je ne voulais pas rentrer. J'étais têtue, et il le savait.

« La solitude ne t'aidera pas, au contraire. » murmura-t-il en partant.

· • ·

La nuit commençait déjà à tomber et j'étais toujours dans le jardin public. Pourtant, je ne voulais pas rentrer chez moi et je n'avais envie de voir personne. J'aurais voulu rester seule éternellement.

Alors que je fermais les yeux pour essayer de me reposer, ne serait-ce qu'un peu, je revis le regard de Margot, rempli de tristesse et d'excitation à la fois. De tristesse de devoir me quitter pendant deux mois et d'excitation d'aller en Amérique ; son rêve depuis toujours.

Ce que je ne savais pas, quand je l'avais regardée pour la dernière fois, la veille de son départ, c'est qu'elle n'arriverait jamais à destination. Bien sûr, j'avais profité de ce beau moment que nous avions vécues toutes les deux. Mais dans mon esprit, ce n'était qu'un souvenir de plus. Un souvenir parmi tant d'autres, à graver dans ma mémoire. Juste un de plus. Je pensais que ce n'était ni le premier, ni le dernier non plus.

À ce moment-là, si j'avais su que c'était la dernière fois que je la voyais, la dernière fois que mes yeux se plantaient dans les siens, que je regardais ses boucles châtain voler au vent, que nous nous « chamaillions » affectueusement, je ne l'aurais pas vécu ainsi.

Si je l'avais su, je lui aurais rappelé à quel point je l'aimais, à quel point elle comptait pour moi. Je l'aurais serrée fort dans mes bras, à tel point qu'elle n'aurait plus réussi à respirer. J'aurais hurlé tout mon bonheur. J'aurais ri autant que mon corps me l'aurait permis, jusqu'à n'en plus pouvoir. Parce que je savais que parfois les actions en disaient plus long que les paroles elles-mêmes. Si j'avais su...

Oui car, alors qu'elle partait tout juste en taxi pour aller à l'aéroport, ce qui devait arriver arriva...

À ce moment précis, j'étais en cours de français. Je pensais à ma meilleure amie, que je considérais comme ma soeur. Je pensais à la joie qu'elle devait éprouver. J'étais heureuse pour elle. Puis, la directrice était venue et je l'avais suivie jusqu'à son bureau, où les parents de Margot nous attendaient, en pleurs.

J'avais tout de suite compris. Mon corps s'étaient mis à trembler de toutes parts. Je m'étais effondrée sur le sol en hurlant.
Depuis, j'avais appris à pleurer en silence.

Après ce jour, j'avais traversé une période très difficile durant laquelle, tous les jours, j'allais rendre visite à Margot à l'hôpital, tout en sachant que je ne la verrais qu'endormie et qu'elle ne me verrait pas. Pourtant, j'avais toujours cet espoir tout au fond de moi. Je ne croyais pas vraiment au fait qu'elle était dans le coma et qu'elle ne se réveillerait peut-être jamais.

J'imaginais sans cesse comment avait pu se produire la scène. Je la voyais, assise dans le taxi. Elle affichait un air calme, tentant de cacher son excitation grandissante. Mais elle ne pouvait empêcher un sourire béat de se former sur ses lèvres. Elle éprouvait tout de même une certaine appréhension. Elle attendrait seule à l'aéroport, patiemment - il le fallait bien. Elle volerait au-dessus des nuages, seule encore une fois. Ce n'est qu'à l'aéroport américain qu'elle retrouverait un visage connu ; sa tante. Puis elle passerait deux merveilleux mois.

Avait-elle senti l'impact venir ? Avait-elle vu, compris ce qu'il se passait ? Comment avait-elle vécu la scène ? Avait-elle vu, à travers sa vitre, ce chauffard griller ce feu rouge et rouler à toute vitesse vers son propre véhicule ? Ou avait-elle juste senti le taxi s'ébranler, la voiture dévier de sa trajectoire sous l'effet brutal de la collision ?

À quoi avait-elle pensé à ce moment ? Avait-elle vu sa vie défiler devant ses yeux ?

  Et un jour, avant que nous n'entrions dans sa chambre, un médecin nous avait interpelés. Son visage était impassible, je ne savais pas s'il allait nous annoncer une bonne nouvelle, ou au contraire, une nouvelle déchirante. Il s'était adressé en particulier aux parents de Margot :

« Cela fait désormais trois mois que votre fille est dans le coma. Il n'y a plus aucun espoir qu'elle se réveille. Nous ne pouvons plus rien faire, il faut que nous la débranchions. Toutes nos condoléances. »

MirlewnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant