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  Vous voyez, ce sentiment que l'on éprouve en finissant une série, un livre ou un film ? Ce sentiment de vide, accompagné de mélancolie. On s'était attachés aux personnages, un, peut-être deux, en particulier. À l'histoire aussi, à l'intrigue. Et lorsqu'on atteint la fin, le dernier épisode, le dernier chapitre, c'est fini. Tout s'arrête. On pose le livre et on reste assis, de longues minutes, à ne rien faire, sans même réfléchir. Le regard dans le vide. Les personnages vont nous manquer, nous manquent déjà même. C'est comme s'ils étaient morts. On fait le deuil.

Trois jours.

Cela faisait maintenant trois jours que je ressentais cela, en permanence. Un vide immense. J'étais allongée dans un lit, perdue. Totalement paumée. Je levais à peine les yeux quand un homme venait, deux fois par jour, m'apporter un plateau de nourriture. J'y touchais à peine, je me contentais de le fixer. Les secondes se transformaient en minutes et les minutes en heures. Le temps passait, à toute vitesse ou lentement, je ne m'en rendais même pas compte. Je voyais juste, du coin de l'œil, les ombres se déplacer dans la pièce, sur les murs, les meubles.

  Pourquoi ? Je n'en savais rien moi-même. Et cela ne faisait qu'accentuer ma déprime. Enfin, j'avais bien une petite idée... Non c'était impossible. Il n'aurait pas... Pourtant je le sentais, tout au fond de moi. Peut-être n'arrivais-je pas à le formuler car j'avais peur que mon idée ne devienne trop concrète ? Car je ne pouvais tout simplement pas l'accepter. C'était impensable. J'étais... Comment dit-on ? Juste une moitié. Une Moitié sans complément. Car oui, Matthieu Weulersse venait, il y a trois jours de cela, de rompre le lien qui m'unissait à lui.

•••

  Alors que le quatrième jour touchait à sa fin, je me résolus à bouger. Je n'étais pas tellement plus dynamique que les jours précédents, mais c'était déjà une grande avancée.

  Je déambulais sans but dans les couloirs. Tiens, ils me laissaient libre. Étrange. Un piège peut-être ? À vrai dire, je n'y accordais pas trop d'importance. Je me fichais de tout à présent. J'allais à ma guise. Je trainais les pieds, ce n'est pas parce que j'avais réussi à me motiver - et encore, "motiver" est un bien grand mot - à me bouger que j'avais retrouvé ma joie de vivre, loin de là.

  Soudain, je crus apercevoir, au bout du couloir dans lequel je me trouvais, cachée derrière le mur du tournant, une petite frimousse qui m'observait. Je plissai les yeux pour mieux voir... "Victoria !? Qu'est-ce que tu fais là ?"
Elle m'observait de ses yeux rieurs. J'entendis un petit rire étouffé, puis sa tête disparut.
"Victoria !"
Je me lançai à sa poursuite.

  Elle se retournait de temps à autres, comme m'incitant à la suivre. Je me prenais au jeu.

  Puis elle dépassa un énième coin de couloir, et lorsque j'y arrivai à mon tour, il n'y avait plus trace d'elle. Ni petits pas précipités, ni petits rires étouffés. Un silence de plomb. Je souris.
"Victoria, je sais que tu te caches là. Où es-tu ?"
Aucune réponse. Je m'avançai dans le couloir et regardai tous les recoins. Pas de Victoria en vue.
"Victoria, petite blagueuse, je sais que tu es là !"
J'avais atteint le bout du couloir. Pas de trace d'elle. Je commençai à paniquer.
"Calme-toi, Axi, elle doit se cacher quelque part. Regarde par exemple cette petite alcôve, tu n'as pas bien regardé là-bas" pensai-je pour me rassurer. En vérité, je n'étais pas sereine le moins du monde. Je retournai près de l'alcôve en question, à pas de loups. "BOUH !". Aucune réaction. Nada. Je vérifiai dans le renfoncement du mur. Rien. Je me mis à m'inquiéter sérieusement.
"VICTORIA !". Je parcourus tout les couloirs en sens inverse en hurlant son nom, affolée. Je finis par m'arrêter, impuissante.

  Où était-elle passée ? Avait-elle seulement été là quelques instants auparavant ? Peut-être avais-je tout imaginé. Étais-je en train de devenir folle ? C'était fort possible... Étais-je en train d'avoir des hallucinations, comme cette pauvre Laure suite à la mort de Louis ? Ça devait être ça... Je cognai ma tête contre le mur de pierre, puis m'arrêtai tout à coup. Non. Je ne devais pas me laisser abattre. Je respirai un grand coup et repris, lentement, ma marche monotone, sans but aucun.

•••

  Tout en marchant, je ne pus empêcher mes pensées de divaguer et revenir incessamment à Matt.

  Pourquoi ? Pourquoi avait-il agit ainsi ? S'était-il lassé de notre Lien, de moi ? Cornelia l'avait-elle manipulé, hypnotisé ? Était-ce sa propre décision ou y avait-il été forcé ? Pis, était-il un agent double, voire même un espion au service de la Dame Noire ? Je doutais de plus en plus. J'essayai de me raisonner : si ç'avait été le cas, il aurait réagi plus tôt. Il aurait trahi plus tôt. Pourquoi aurait-il attendu ?

  J'avais toutes les raisons de le détester. Mais je ne le détestais pas. Même avec la meilleure volonté, je n'aurais pu le détester.

  J'angoissais de ne pas savoir. Trahison ? Protection ? Après tout, il pouvait avoir rompu le lien pour ne pas que je souffre. J'écarquillai les yeux et m'arrêtai brusquement. Je sentais la crise d'angoisse monter en moi. Et si Cornelia l'avait torturé ? Il l'avait senti, m'avait protégé. À sa manière. Mais il m'avait promis... Quand il m'avait annoncé qu'il était capable de briser notre lien, je lui avais fait jurer que jamais il n'emploierait cette méthode. Malgré tout, il l'avait fait. Mes yeux me  brûlaient, pourtant le liquide ne coula pas. Je me plaquai dos au mur et me laissai glisser jusqu'au sol. La tête levée vers le plafond, les yeux fermés. Les larmes, cette fois, franchirent le barrage de mes paupières.

•••

  Je ne sais pas combien de temps je suis restée là sans bouger. Je ne remuai que lorsque je sentis un courant d'air frais caresser mon visage. Mes cheveux voltigèrent un bref instant. D'où venait ce courant d'air ? J'étais dans un couloir sombre sans issues. Les murs étaient vierges, pas de portes, ni même de tableaux. Intriguée, je me levai et avançai vers ma gauche. Les murs étaient toujours intacts, je ne voyais aucune ouverture ayant pu engendrer ce courant d'air.

  Je continuais à avancer et soudain, m'arrêtai et rebroussai chemin. J'avais décellé un légère différence de température. J'arrivai à l'endroit. Non, je n'avais pas rêvé. Un petit changement, à peine perceptible.

  Je regardai plus attentivement le mur. J'approchai ma main et le frôlai du bout des doigts. La pierre blanche était froide et dure. Je déplaçai ma main de quelques centimètres. Elle disparut ! Purement et simplement. La mur n'avait montré aucune résistance, elle s'était enfoncée dedans. Je la ramenai vers moi. Intacte. Une phrase de Laure retentit dans ma tete : "Ne te fies pas toujours à ce que tu vois. Nombreuses sont les illusions."

Après avoir vérifié qu'il n'y avait personne dans le couloir, je pris une inspiration et me lançai.

 

MirlewnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant