Chapitre 4

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Un frisson me parcourut de la tête aux pieds. Le cœur battant, je me retournai vers la terrasse sur le trottoir d'en face. Il était là, de profil, attablé autour d'une table avec une bande d'amis. La conversation semblait très animée, les gloussements fusaient, ça parlait fort. Plusieurs d'entre eux étaient renversés dans leur chaise, une cigarette fumante à la main. Lui aussi.

Je restai là à les observer, incapable d'aller l'aborder – et pour lui dire quoi ?? –, mais réticente à partir, de crainte de ne plus le revoir. Ce fut finalement un de ses amis, assis face à la route, qui me remarqua.

― Hé regardez, on a une admiratrice ! lança-t-il en m'indiquant de la tête aux autres.

Je rougis instantanément et tournai aussitôt les talons, pour me réfugier en quelques secondes dans ma petite rue calme. Les rires gras et surtout les sifflements accompagnèrent ma retraite et bourdonnèrent à mes oreilles, laissant le rouge de la honte faire place à celui de la colère. Je ne suis pas un chien ! Mais quelle idée de rester plantée là, aussi ! J'étais à la fois déçue, en colère contre moi-même et contre ces abrutis.

Ma voiture était juste là. Je pris mon sac à main pour y chercher mes clés, la main tremblante, m'énervant encore plus de ne rien trouver dans la pénombre. Je refermai enfin la main dessus.

― Ne leur en veux pas, ils sont pas méchants...

Je sursautai brusquement, fis volte-face et me retrouvai face à Maël qui arrivait à ma hauteur.

Je rougis de nouveau, le cœur soudain affolé. Il se tint là, les mains dans les poches, cheveux détachés, un grand sourire aux lèvres. Il portait un blouson de cuir marron sur un jean délavé et des baskets de sport. Une légère odeur de clope l'accompagnait, celle qu'il avait dû écraser en vitesse avant de me rattraper.

― Ils peuvent être lourds parfois, mais ils sont sympas, je t'assure !

― Si vous le dites..., soufflai-je.

La pénombre m'empêchait de distinguer la couleur de ses yeux, mais elle masquait également la rougeur de mes joues – du moins l'espérais-je.

― Dis-moi, beauté, comment tu t'appelles ? demanda-t-il.

― Céline...

Il gloussa puis déclara avec un grossier accent québécois :

― Enchanté d'te connaître C'line, c't'un plaisir, t'vois !

Je levais les yeux au ciel, blasée, tandis qu'il riait lui-même de sa blague.

― C'est toi qui étais avec Yann hier, non ? reprit-il. Tu l'as revu ?

― Euh, ça ne vous regarde pas ! répliquai-je, agacée par sa nonchalance.

― Ce qui veut dire oui ! Alors pourquoi tu n'es pas avec lui en ce moment ? Son lit ne t'attirait pas ? Ah, tu as découvert son troisième testicule, j'en étais sûr !

Il éclata de rire, manifestement très fier de lui.

― Oh, ce que vous êtes lourd ! soupirai-je.

― Oui, c'est ce que disent les filles quand je suis sur elles !

Et il s'esclaffa de nouveau. Ce type ne prenait vraiment rien au sérieux ! Quel blaireau ! Il commençait sérieusement à me taper sur les nerfs. J'avais autre chose à faire que de perdre mon temps avec lui. Je me tournai vers ma voiture, ouvris la portière.

― Attends ! Tu as un stylo ?

― Pour quoi faire ?

― Pour écrire ! Alors, tu en as ? dit-il avec un petit sourire narquois.

En soupirant ostensiblement, j'attrapai un vieux Bic qui traînait toujours au fond de mon sac. Il fouilla dans la poche de son blouson, en sortit un paquet de clopes, qu'il vida dans sa poche. Puis il prit mon Bic et écrivit sur le paquet ce qui me sembla être des numéros.

Je le regardai faire, stupéfaite.Était-ce bien ce que je pensais ? Il me le tendit ensuite en même temps que mon stylo, un petit sourire au coin des lèvres. Même dans la pénombre, je distinguais une suite de dix numéros, commençant par 06.Sur un paquet de clopes, la grande classe...

― Tiens, ajouta-t-il.Si jamais tu as un problème avec mon frère, appelle et j'accoure à la rescousse !

Je le rangeai dans mon sac, perplexe... Je ne savais plus qu'en penser...

― Au fait, beauté, moi c'est Maël. Je ne pense pas que mon frère ait osé mentionner mon nom !

― En fait, si, répliquai-je, coupant court à un nouvel éclat de rire.

― Ah, ça a dû lui arracher la langue, alors.

Puis, reprenant sa caricature d'accent :

― Bon, c'pas tout ça, mais l'devoir m'appelle, t'vois ? C'fut un réel plaisir d'vous r'contrer, m'dame Céline !

Je me contentai de rouvrir ma portière en l'ignorant. Il rit encore et retourna vers ses potes, mains dans les poches. Il se retourna une seule fois, avant de passer l'angle de la rue. Ce fut à peine un coup d'œil, un bref regard, mais pensif, dénué de toute moquerie.

Je m'installai sur mon siège, mis le contact, allumai mes phares et démarrai. Je roulai lentement, songeuse... Je ne savais que penser de la présence de ce paquet de cigarettes dans mon sac. Voulait-il me revoir ? Il n'avait pas eu l'air de me draguer, pourtant. À moins que sa méthode ne consiste à balancer des sous-entendus salaces et autres propos graveleux. Ou bien n'était-ce là qu'une façon de dissimuler ce qu'il ressentait vraiment... Non, non, je commençais déjà à me faire des films ! C'était juste un glandeur qui donnait son numéro à toutes les nanas qu'il croisait, en espérant que de temps en temps l'une d'elles morde à l'hameçon !

Et pourtant, je n'avais pas rêvé l'expression troublée de son regard avant qu'il ne reparte en moto, hier soir. Et puis, il y avait ce dernier coup d'œil, à l'instant... Mais fallait-il en déduire un amour fou pour autant ? Sûrement pas ! Mes lectures à l'eau de rose commençaient à me monter à la tête ! Je n'avais aucune intention de l'appeler, il pouvait toujours courir. Je n'avais rien à lui dire. Même si je décidais quand même de garder le paquet, juste au cas où...

Aimer, rire... survivre (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant