― Je peux savoir pourquoi vous emmerdez mademoiselle ?
― Hein ? T'es qui toi ? Tu m'cherches ?
Oh non pitié, je voulais juste que mon tram arrive...
― T'as fini d'emmerder les femmes ? s'énerva le grand brun. Où t'as été élevé, dans la rue ?
― Mais de quoi tu t'mêles, pédé ?
S'ensuivit un échange d'invectives hautes en couleurs, qui se finit par un direct du droit envoyé par mon chevalier servant dans la face du méchant. Les quelques personnes autour s'écartèrent précipitamment. Le tramway entra à quai au moment où ses fesses heurtaient le sol.
― Hum, merci..., murmurai-je à l'inconnu, alors que le bonhomme se faisait la malle en bougonnant de nouvelles insultes.
― De rien, je suis vraiment désolée, si je peux faire quelque chose...
― Non non, c'est bon, je veux juste rentrer chez moi maintenant...
― Bien sûr.
Il monta avec moi dans le wagon, composta son ticket. Je fis de même et m'accrochai à la barre centrale.
― Je m'appelle Yann Cassard, se présenta-t-il.
― Céline Moreau. Euh, enchantée...
― Quels connards, ces types. Cela dit, vous êtes très jolie. Même si ce n'est pas une raison, bien sûr !
― Merci..., dis-je en souriant.
Lui-même n'était pas mal non plus, remarquai-je. La trentaine, des traits agréables, des cheveux courts brun foncé, des sourcils épais qui surmontaient de beaux yeux sombres, une peau mate, en soi le parfait beau brun ténébreux.
― Je descends à la prochaine, annonçai-je. Et vous ?
― En fait, j'allais dans l'autres sens... Je rejoignais le quai d'en face quand j'ai vu ce type s'en prendre à vous.
― Et vous êtes monté avec moi ? dis-je en riant, alors que la tram ralentissait.
― Eh bien, j'espérais pouvoir vous offrir un verre, avoua-t-il un peu gêné, en passant une main dans son cou.
Je le dévisageai un instant, surprise. Il était bel homme, aimable, respectueux... Les portes du tram s'ouvraient, je devais descendre de toute façon pour faire mon changement. Et personne ne m'attendait chez moi.
― D'accord..., souris-je
― Super ! Je connais un bar pas loin d'ici, répondit-il, soulagé.
Nous descendîmes ensemble de la rame et je le suivis jusqu'à la terrasse d'un bar situé sur le Cours des 50 otages, encore très animé à cette heure. La nuit achevait de tomber, les éclairages publics s'allumaient, de même que les lampes des établissements.
Nous nous assîmes à une petite table pour deux, au bord de la grande avenue. Au serveur qui vint nous voir, Yann commanda une bière et moi un Coca – je sortais de table, j'avais déjà assez bu.
― Alors... Céline, c'est ça ? Vous travaillez dans quoi ?
Ah, la petite question rituelle pour ouvrir le bal ! Allons-y, entrons dans la danse ! Un, deux, trois-et-quatre, cinq, six, sept, huit ! Pardon, réflexes de gavotte...
― Je travaille dans une bibliothèque universitaire, me repris-je.
― Ah, vous revenez de vacances alors, comme les étudiants ?
Voilà, voilà, c'est ce à quoi on pensait en premier le plus souvent...
― Oui, répondis-je en souriant. Mais souvent on profite de la fermeture de la fac pour faire du rangement, des mises à jour... Ce ne sont pas toujours des vacances. Et vous ?
― Je dirige une société de création de site web pour les professionnels, et aussi de conseil en e-réputation et en référencement.
― Ah, ça a l'air sympa ! C'est vous qui l'avez créée ? Ça n'a pas dû être simple, non ?
Yann me raconta de bonne grâce comment il avait monté sa boîte quelques années auparavant, et employait maintenant sept personnes. Je l'écoutais avec plaisir, bercée par sa voix douce et posée, le regard plongé dans ses beaux yeux sombres. Cependant... je ne me sentais pas plus attirée que ça. Il était beau, gentil, aimable – avec une bonne situation –, mais justement, un peu... lisse. Il me manquait ce petit quelque chose en plus pour me toucher. Un détail, un défaut peut-être, quelque chose qui pourrait m'émouvoir.
En attendant, je me laissais porter par l'agréable moment que nous partagions. Les bruits des démarrages des voitures, des crissements des pneus, formaient un fond sonore assez discret qui se faisait oublier. C'est pourquoi je ne fis pas attention au vrombissement d'une moto qui remontait l'avenue, avant qu'elle ne freine soudainement à notre hauteur.
― Ça alors ! Ce bon vieux Yann ! fit le motard après avoir enlevé son casque.
― Putain de merde..., grinça mon compagnon en détournant la tête.
Le nouveau venu descendit de sa moto et la monta sur le trottoir pour s'approcher.
― Ça faisait longtemps, vieux, tu te cachais ? s'exclama-t-il en riant franchement.
Le jeune homme devait avoir sensiblement mon âge, moins d'une trentaine d'années. De longs cheveux châtains et épais – ébouriffés par le port du casque –, lui descendaient sous les épaules. Rasé de près, il détaillait mon compagnon de ses yeux verts rieurs.
― Putain dégage, abruti ! C'est pas l'moment ! s'énerva Yann.
― Je vois ça, tu es encore en charmante compagnie ! Quel bourreau des cœurs, hein ? fit-il avec un clin d'œil exagéré, toujours goguenard.
― Va te faire foutre ! Allez, dégage !
― J'espère au moins que celle-là, tu l'as prévenue pour ton troisième testicule ! ajouta-t-il avant de partir dans un grand éclat de rire sonore.
Je les observais tour à tour, affreusement gênée. Les autres clients nous jetaient des coups d'œil intrigués. J'essayai de rester discrète, sans savoir où me mettre. Le rire du nouveau venu résonna un moment à travers la terrasse. Yann se leva, rouge colère.
― Tu dégages. Maintenant. Si tu ne veux pas que je t'écrase ta petite gueule de merdeux, comme la dernière fois.
L'autre gloussa, pas impressionné. Ou peut-être un peu, car il recula quand même d'un pas vers sa moto.
― C'est bon, pas la peine de monter sur tes grands chevaux, frangin ! Garde ton énergie pour la nuit, tu monteras bientôt autre chose ! gloussa-t-il à nouveau, très fier de lui. Et peut-être même deux, j'ai entendu dire que tu aimais les triplettes ?
― Putain...
Comme Yann s'avançait vers lui les poings serrés, prêt à mettre sa menace à exécution, l'autre leva prestement une main en signe de reddition et enfourcha son engin.
― Ok c'est bon, à la prochaine !
Mais avant de remettre son casque, son regard croisa brièvement le mien. Ses yeux verts se fixèrent sur moi. Son large sourire s'effaça. Son regard sembla se troubler...
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Aimer, rire... survivre (Tome 1)
RomansaQuand Céline rencontre Maël, ses beaux yeux verts la marquent immédiatement. Fantasque et exubérant, le jeune homme au rire sonore croque la vie à pleines dents. Cependant, une haine tenace l'oppose à son frère Yann, depuis l'époque où Maël séduisit...