Chapitre 6

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Mon silence dut le dérouter, car il se passa nerveusement une main dans la nuque.

― Enfin, si je tombe mal, tu peux me le dire... Je ne veux pas m'imposer, hein.

― Non, non, c'est seulement que je ne m'y attendais pas du tout ! dis-je enfin. Je ne t'ai pas appelé car je... euh...

Ça y est, mes joues viraient au cramoisi.

― Y'a pas de soucis ! m'assura-t-il, un nouveau sourire aux lèvres. Je comprends, j'ai dû te paraître bizarre, l'autre fois. En fait c'est naturel, mais n'aies pas peur ! rit-il. 

Sa gaîté me mettait à l'aise, je me sentais plus que jamais attirée par le magnétisme de son regard. De grande carrure, il dépassait presque d'une tête mon petit mètre soixante.

― Ça te dirait d'aller faire un tour ? enchaîna-t-il.

― Où ça ?

― Où tu voudras ! Je t'emmène en moto, qu'en dis-tu ?

― Ah, si le tour de moto est compris dedans, alors... ! Mais ramasse tes mégots, d'abord.

Il leva les yeux au ciel avec exagération, mais obtempéra néanmoins. Après un petit aller-retour jusqu'à la poubelle la plus proche, il sortit un casque de moto de son coffre arrière, qu'il m'aida ensuite à ajuster sur ma tête. Ses grandes mains si proches de mon visage me firent retenir ma respiration. Comme destination, je lui indiquai la promenade aménagée le long de la Loire, sur le quai de la Fosse. Je montai derrière lui et posai un peu timidement mes mains sur sa taille. Un sourire au coin des lèvres, il m'attrapa les bras pour me montrer comment l'enserrer plus franchement. Assis devant moi, il ne pouvait voir la coloration de mes joues, et le plaisir manifeste que je ressentis à me coller ainsi contre lui...

Puis il fit vrombir le moteur et démarra. Le trajet fut rapide, mais fort en sensations. Outre la vitesse grisante de la moto, c'était surtout la première fois que je le touchais. J'avais l'impression que mon cœur battait aussi fort que le moteur de sa bécane...

Trop vite, nous fûmes rendus sur les lieux. Le ciel gris de ce début d'automne se maintenait, mais un vent vif et frais balayait les berges du grand fleuve. Il se gara sur un parking non loin, et rangea les casques dans le coffre. Je tentai de discipliner mes longs cheveux ébouriffés par le casque et le vent, tandis qu'il affichait un petit sourire amusé. Côte à côte, proches sans se toucher, nous empruntâmes la voie piétonne qui suivait la berge, face à l'île de Nantes – avec malgré tout le bruit des voitures toutes proches en fond sonore. 

Nous bavardâmes pendant un moment, puis il me demanda soudain :

― Dis-moi ma belle, est-ce que tu as quelqu'un dans ta vie ?

Je le regardai avec surprise, prise de court par cette question directe.

― Non, pas en ce moment, dis-je en détournant les yeux vers le fleuve.

― Oh ? Comment se fait-il qu'une fille aussi jolie soit célibataire ? Tu n'es pas pucelle, quand même ?

― Mais non ! m'exclamai-je en gloussant avec lui. Je t'en pose, des questions ?

― Tu pourrais !

― C'est ça ! Pour ta gouverne... je ne fais pas beaucoup de rencontres, en fait. À la bibliothèque, je croise surtout des étudiants, quelques professeurs, dis-je en pensant à Jérémy, mon prof de science éco. Aucun qui ne m'attire vraiment. Et je ne sors pas beaucoup, le soir.

― Allons, il y a bien dû y avoir un chanceux...

― Au collège, oui, dis-je en souriant. À la fac, ensuite. Et puis quelques aventures sans lendemain. Rien qui n'ait vraiment duré, finalement.

Le regard en coin qu'il me lança était à la fois amusé et... intéressé ? Ses yeux roulèrent sur moi, descendant lentement de mon visage sur mon cou, ma poitrine, le long de mon trench court, sur mes jambes moulées dans mon jean, mes bottines à talon.

Je le laissai faire en frissonnant, mon cœur recommençant à battre un peu trop vite. Après tout, s'il avait pris la peine de me rattraper l'autre soir, puis de chercher mon nom pour me retrouver, c'est qu'il était manifestement intéressé...

Comme le silence s'éternisait, je repris la parole, un peu gênée tout de même.

― Et sinon, tu ne m'as pas dit ce que tu faisais, dans la vie ?

― Ah, tu ne me l'as pas encore demand... Aïe ! Merde !

En se retournant face au fleuve, il venait de se râper la main contre la rambarde. Sourcils froncés, il secoua cette dernière, où un peu de sang perlait sur le côté.

― Attends, fais voir, dis-je en m'approchant.

― Touche pas ! s'exclama-t-il vivement en reculant d'un pas.

Je me figeai, surprise.

― Désolé..., reprit-il, confus. C'est juste que je... je n'aime pas qu'on touche mes blessures. D'ailleurs ce n'est rien, tu vois, ça sèche déjà.

― Ok... Je m'en souviendrai...

― Pour répondre à ta question, je travaille dans un salon de tatouage, enchaîna-t-il. Depuis cinq ans.

― Ah ? Et comment t'es venue cette vocation ? dis-je d'un ton enjoué un peu forcé, pour suivre son changement de sujet.

Sa réaction m'avait surprise, mais je préférai ne pas insister. Après tout, ses manies ne me regardaient pas...

Il sortit un paquet de cigarettes de sa poche, mais s'interrompit en me voyant froncer le nez.

― Ça te gêne ?

― Je n'aime pas l'odeur...

― Ah, ok, fit-il en rangeant le paquet. C'est noté ma belle. En fait j'ai découvert ce métier tout simplement, en me faisant tatouer, un jour. Ça m'a plu. La patronne du salon a demandé à voir quelques dessins, puis a accepté de me prendre comme apprenti, à l'essai. Ils m'ont tout appris, et j'y suis toujours.

― C'est cool ! Tu aimes dessiner, alors ?

― Surtout avec une aiguille, en fait. Tracer des motifs sur la peau, c'est ça qui me passionne, ajouta-t-il avec un grand sourire, que je lui rendis.

― Ça doit être beau... À quoi ressemble le tien ?

― Tu veux le voir ? demanda-t-il avec un petit air canaille.

― Euh ! Seulement si c'est visible !

Je me mis à rougir de nouveau, à mon grand agacement. La tomate bien mûre était de retour ! J'avais dû être un de ces fruits dans une autre vie.

― Pudique ? fit-il d'un air moqueur.

― Et alors ? Ça te gène ?

― Mais non, je trouve ça très mignon, au contraire ! dit l'énergumène en riant.

― Gnagnagna...

Je fis la moue, avant de me laisser gagner par son rire, encore une fois. Quand les gloussements se calmèrent, je m'appuyai contre la rambarde, face au fleuve, et inspirai profondément, heureuse de ce moment. Je me sentais tellement bien, là, avec lui...

Maël me fixait à présent de façon insistante. Je détournai les yeux vers le fleuve, gênée. Les joues toujours un peu roses, je fis mine de contempler la Loire. Je pouvais presque sentir physiquement son regard qui ne me lâchait pas. Lentement, il vint se placer derrière moi, posa ses mains sur la rambarde de chaque côté de moi. Je retins mon souffle, le cœur soudain tambourinant dans ma poitrine. Il était là derrière moi, me touchait presque, m'encerclait. L'envie irrépressible de me retourner pour me retrouver dans ses bras.

Plusieurs longues secondes s'écoulèrent, où nous restâmes aussi immobiles l'un que l'autre. Comme s'il attendait de voir si j'allais le repousser, ou bien...

Je me retournai, levai les yeux vers lui. Nos regards s'accrochèrent. Ses prunelles vertes me dévorèrent littéralement. Puis soudainement, il prit ma tête entre ses deux mains et posa ses lèvres sur les miennes.  

Aimer, rire... survivre (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant