Chapitre 16

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Il était minuit passé quand je sentis mes yeux commencer à me piquer. Je commençai tôt demain, pour l'ouverture à 8h – et j'avais intérêt à être à l'heure, cette fois. Je tentai de lutter vaillamment, mais un bâillement me prit en traître. Maël l'aperçut du coin de l'œil.

― Bon c'est pas tout, mais y'en a qui bossent, demain ! lança-t-il.

― Tu ne parles pas pour toi, j'espère ? rigola Damien. Tu t'es déjà couché bien plus tard !

― C'est vrai, enchaîna Antoine, et encore on sait pas ce que vous faites quand tu rentres avec une meuf, hein !

― Ta gueule, Médor, fit sèchement l'intéressé.

― Le nombre de fois où tu es arrivé au salon la tête dans l'cul ! rajouta Damien. Isa à beau te faire la morale, tu t'en fous !

― Est-ce que ça m'a déjà empêché de bien faire le job ? répliqua Maël. Non. Il me faut juste quelques minutes pour me mettre dans le bain, c'est tout ! Allez, je voudrais pas avoir l'air de vous mettre à la porte, mais faut songer à lever le camp.

Tous ses potes se levèrent un à un, échangèrent encore quelques vannes, puis récupérèrent leurs manteaux sur la table. Je me levai également, un peu engourdie. Maël attrapa discrètement mon bras.

― Tu veux rester pour cette nuit ? me demanda-t-il tout bas.

― D'accord, souris-je. Mais, si tu penses à ce que je pense que tu penses, ne fume pas juste avant. L'odeur reste sur la peau, ça pue.

― Vendu ! dit-il joyeusement.

Quand ils furent partis, Maël entreprit de jeter les cadavres de bouteilles dans sa petite poubelle de cuisine tandis que je remettais un peu d'ordre dans ses poufs et coussins. Puis il vint vers moi et m'enlaça. Je cherchai ses lèvres, et nos langues se joignirent, tendres, sensuelles. Je caressai la repousse de sa barbe d'une main, plongeai l'autre dans la masse de ses cheveux épais. Je taquinai sa lèvre inférieure du bout de ma langue. Il gloussa, aspira cette dernière en me serrant plus fort contre lui. Sans nous détacher, nous prîmes le chemin de la chambre et nous affalâmes sur le lit.

J'étais trop fatiguée ce soir-là pour de fougueux ébats. Sans s'attarder en longs préliminaires, Maël s'allongea sur moi dans l'obscurité de la chambre et me fit l'amour tendrement. Je me contentai de m'accrocher à ses épaules en gémissant à son oreille, emportée par l'incroyable sensualité de ses mouvements en moi. Après quoi, je m'endormis comme une masse.

***

Le lendemain matin, je me réveillai en sursaut à la sonnerie de mon portable – ramené dans la chambre. Maël décida de se lever en même temps que moi pour ne pas me laisser seule, et s'étira en grognant. Tandis qu'il allait se réveiller sous la douche, je m'habillai et passai dans la cuisine pour voir ce que je pouvais préparer – notre premier petit-déjeuner ensemble, et sans être en retard !

J'avais remarqué la veille que Maël avait jeté la boîte de ses médicaments à la poubelle... L'occasion était trop belle. Le bruit de la douche m'indiquait qu'il en avait encore pour un instant. Il fallait que je sache, l'inquiétude me rongeait. Amandine pouvait rester détachée, mais je tenais trop à lui pour rester sereine comme ça.

J'écartai discrètement les cadavres de bouteilles, aperçus la boîte en carton et la sortis doucement, sans faire de bruit. C'était une petite boîte de comprimés, aplatie et pliée en deux. TRIUMEQ, lis-je. J'allai vivement jusqu'à mon sac et la glissai dedans.

Maël me rejoignit quelques minutes plus tard, en jean et torse nu, les cheveux mouillés. Les gouttes d'eau qui tombaient de ses longues mèches faisaient briller les motifs noirs de son tatouage.

― Tu sais que t'es sacrément sexy, comme ça ? souris-je en venant l'enlacer.

― Mmm, c'est possible...

Un sourire en coin, il envahit ma bouche de sa langue et la fit tourner langoureusement autour de la mienne, en prenant son temps. Je l'aurais volontiers ramené vers le lit, mais le temps tournait. 

― Tu finis à quelle heure, ce soir ? lui demandai-je, un peu frustrée de devoir partir.

― Tard, j'ai des rendez-vous jusqu'à 19h. Mais tu peux passer, il s'appelle Armor'ink.

Je pouffai malgré moi.

Ink, encre, pas mal, vous vous êtes foulés ! souris-je.

― On ne critique pas, c'est le salon d'Isabelle, fit-il avec un sourire en coin, avant de me donner l'adresse.

― Ok, à ce soir alors ! Et c'est bon, au fait, tu peux te rhabiller...

Il éclata de rire, puis secoua ses cheveux pour m'éclabousser. Je me protégeai de mes mains en riant avec lui.

― À ce soir, ma belle, rit-il en m'embrassant une dernière fois.

Je quittai l'appartement à regret. Quand je sortis dans la rue, tout le sol était mouillé et le temps restait très couvert. Je repris ma C1 pour rejoindre la fac, m'insérai dans la circulation dense. J'avais le cœur qui battait, mais pas pour les raisons habituelles. La boîte en carton semblait peser une tonne dans mon sac. J'ouvris les portes de la bibliothèque, allumai les lumières, les ordinateurs. J'allai poser mon sac dans mon bureau et revins au bureau d'accueil pour prendre la première permanence. Deux étudiants attendaient pour rendre des livres avant d'aller en cours. J'enregistrai leurs retours, leur souhaitai une bonne journée. L'une de mes collègues arriva mais alla travailler pour l'instant dans son bureau.

Comme je me retrouvais seule, j'ouvris Google dans une nouvelle page. En posant mes affaires dans mon bureau, j'avais jeté un nouveau coup d'œil à la boîte de comprimés. Je tapai le nom dans la barre de recherche. Mon cœur cognait maintenant très fort, fébrile, inquiète de ce que j'allai trouver. Je me retins de tapoter des doigts sur la table. La liste des résultats apparut. Le premier lien était celui du Vidal en ligne, l'encyclopédie des médicaments. Je cliquai. La page dédiée s'afficha : « TRIUMEQ 50 mg/600 mg/300 mg comprimé pelliculé est une trithérapie antivirale indiquée, à raison d'1 comprimé par jour, dans la prise en charge des patients infectés par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). »

Je me figeai sur ma chaise, glacée. Les battements sourds de mon cœur résonnaient à mes oreilles. Boum-boum, boum-boum. Boum-boum, boum-boum.

J'avais l'esprit complètement vide, inerte. Un autre étudiant entra dans la bibliothèque, mais se dirigea directement vers les rayons. Je me forçai à respirer normalement. Maël avait le sida. Respire. Inspire, souffle. Le sida. Inspire, souffle.

Je restai de longues secondes pétrifiée, le temps que l'information soit assimilée par mon cerveau. Puis plusieurs souvenirs se télescopèrent dans ma tête. Sa réaction quand j'avais voulu examiner son égratignure. Sa phrase « ce n'est pas le tabac qui aura ma peau ». L'utilisation systématique de préservatifs, qui prenait une autre dimension...

Aimer, rire... survivre (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant