Chapitre 18

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Je m'approchai doucement, craignant une réaction brusque.

Maël restait immobile, comme pétrifié, le cœur battant sourdement dans sa poitrine. Il était pâle, les poings serrés, narines frémissantes. Il se contenait avec peine. Je me mordis la lèvre en attendant l'explosion.

― Où as-tu trouvé ça ? siffla-t-il enfin, tout bas.

― Je t'ai vu la jeter, hier soir. Je l'ai récupérée ce matin. Je sais que c'est mal et que tu m'en veux à mort, mais je m'inquiétais vraiment pour toi..., tentai-je

― Ça ne t'est pas venu à l'esprit de me demander ? gronda-t-il, toujours immobile.

Le ton de sa voix m'indiquait que l'explosion n'allait pas tarder. Si j'avais eu un endroit où me cacher dans mes 20 m2, j'y aurai filé. Dans la douche, peut-être. Ou alors j'affrontai courageusement les conséquences de mes actes.

― Je suis désolée, Maël... Tu aurais refusé de me répondre...

― Sans doute, oui. Parce que ça ne te regarde pas.

De pâle, son visage virait au rouge. Un rouge bien vif. Bien mûr.

― Bon sang, Céline ! s'écria-t-il enfin en pivotant vers moi. Qu'est-ce qui t'a pris de fouiller dans mes affaires ?!

― Je m'inquiétais pour toi ! dis-je précipitamment.

― Tu aurais dû me demander !! « Maël, c'est quoi ce truc que tu prends tous les soirs ? » C'est trop compliqué ??

― Tu avais déjà éludé la question, une fois, me défendis-je.

― Eh bien tu aurais insisté, je ne sais pas, mais tout aurait été préférable à ça ! Peut-être que j'aurais fini par te faire suffisamment confiance et te le dire, qui sait ! Bordel de merde ! Tu n'as pas idée à quel point c'est... privé ! C'est très, très personnel, tu comprends ?

Il me faisait face, agité, le regard furieux. Je n'avais jamais vu ses beaux yeux verts lancer des éclairs, et c'était vraiment effrayant. Je sentis mes yeux s'humidifier. Et voilà...

― Au lieu de ça tu me mets devant le fait accompli, putain, Céline, merde !!

― Je comprends, Maël, et je suis terriblement désolée, je t'assure..., bredouillai-je. Mais j'étais tellement inquiète ! Je tiens énor... beaucoup à toi !

À ma grande surprise, je n'étais pas la seule à avoir les larmes aux yeux. Son regard embué me fendit le cœur. Il se détourna à moitié, bras croisés.

― C'est la chose la plus personnelle que j'aie, Céline, dit-il plus posément en maîtrisant les tremblements de sa voix. Un secret que je porte depuis des années, que je garde pour moi seul. Et tu me l'as volé.

J'accusai le coup, pliant la tête sous l'accusation.

― Je suis désolée... Je n'imaginais pas que ça te ferait autant de mal. Je ne l'aurais jamais fait, sinon, je te jure. Tout ce que je peux te dire, c'est que tu m'es très cher et que je m'inquiétais pour toi... Je te demande pardon...

Je me sentais minable, pleurnicheuse, perdue face à sa colère et sa blessure. Maël me contempla un instant, poussa un grand soupir et passa une main dans ses cheveux. La résignation remplaçait peu à peu la révolte. Je me sentais tellement mal ! Mes larmes allaient déborder, je le sentais. Je battis frénétiquement des paupières pour les chasser.

― Dis-moi que ce n'est pas aussi grave que je l'imagine... Je t'en supplie...

Il se tourna finalement vers l'une des deux fenêtres du studio et l'ouvrit. Il sortit une cigarette, l'alluma avec un briquet en la protégeant d'une main. Puis, en la tenant à l'extérieur, il tira lentement dessus et souffla par la fenêtre. La fumée s'éleva en volutes, emportée par la brise. De longues secondes s'écoulèrent, dans un silence total, pendant lesquelles son regard resta perdu au loin, quelque part dans la grisaille de la ville.

― Je ne sais pas ce que tu imagines, mais ce n'est sans doute pas aussi grave, non..., dit-il finalement, toujours sans me regarder.

Puis, comme il continuait à tirer sur sa clope en silence, je repris, dans un murmure :

― Comment est-ce arrivé... ?

Il ferma les yeux en soufflant une nouvelle bouffée, se massa les tempes de sa main libre. Il prenait sur lui, tentai de maîtriser ses émotions. La cigarette semblait l'aider à se calmer, aussi ne dis-je rien sur la fraicheur de l'air qui s'engouffrait par la fenêtre et me faisait frissonner. Je croisai les bras pour me réchauffer.

J'avais mal pour lui, j'aurais voulu le prendre dans mes bras en lui demandant pardon. La dernière des choses à faire, naturellement. Il m'aurait repoussée sans ménagement, exaspéré.

Toujours en me tournant à moitié le dos, il rouvrit les yeux, se perdit dans la contemplation des toits d'en face.

― Tu te souviens de la fille dont Yann était amoureux ?

― Nooon..., soufflai-je.

― Si. Ce crétin n'en sait rien, mais je lui ai sauvé la vie. Enfin, la santé. En bousillant la mienne. 

Je me rapprochai d'un pas, tiraillée par l'envie importune de le prendre dans mes bras. Tourné vers l'extérieur, le regard au loin, il tentait de garder ses émotions à distance. Je ne savais pas quoi dire. Tout ce qui me venait à l'esprit était niais, ridicule, sans intérêt. Il n'y avait rien à répondre à cela. Ce fut lui brisa le silence, après avoir soufflé une nouvelle bouffée.

― Je sais que Yann n'y est pour rien, mais c'est en voulant me venger de lui que c'est parti en couille. S'il n'avait pas été si parfait, rien ne serait arrivé.

― C'est pour ça que tu lui en veux... ? dis-je doucement.

Il hocha la tête en silence. Depuis plus de dix ans, il étouffait d'un sentiment d'injustice qui lui bouffait le cœur. Une révolte contre ce coup du sort qui le minait, qui avait fait de sa vie le champ d'une bataille quotidienne. Une lutte qui ne prendrait fin qu'à sa mort. Depuis plus de dix ans, il ressassait son ressentiment contre celui qui était la cause involontaire de son malheur. Ses provocations envers Yann étaient son seul exutoire, un masque de moqueries pour cacher une rancune viscérale. Pas étonnant qu'ils en soient déjà venus aux mains. Maël était impulsif, emporté, il démarrait au quart de tour. Pour peu que Yann se soit emporté lui aussi, la confrontation avait dû être explosive. La simple idée me glaçait le sang.

― Tu sais ce qu'est devenue cette fille ? lui demandai-je pour ne pas rester sur ces sombres pensées.

― Non. Yann l'avait rencontrée en soirée. En fait je lui ai rendu un double service, à cet idiot. La nana ne l'aimait pas, elle voulait juste se le taper comme ça. Quand elle a su que Yann était au courant de ce qu'on avait fait, elle a filé vers d'autres horizons.

― J'espère qu'elle s'est aperçue rapidement de ce qu'elle avait... Et toi ? Est-ce que tu as... couché avec d'autres filles, avant de savoir ?

Maël souffla une bouffée par la fenêtre en fermant les yeux. 

― Oui, une fois, mais on avait utilisé une capote. Heureusement, la fille était plus prudente que moi. Quelques semaines plus tard, j'ai commencé à ressentir des maux de tête, des étourdissements... Je suis allé chez le généraliste de la famille, sans rien dire à mes parents. Je ne voulais pas les inquiéter. Le médecin a soupçonné une grippe, mais comme je n'avais pas exactement tous les symptômes, il m'a demandé de faire une prise de sang, pour être sûr. Les résultats étaient normaux, mais il a quand même froncé les sourcils et m'a dit d'en refaire une dans deux mois. Entre temps, les vertiges avaient disparus, tout était redevenu comme avant. Je n'étais pas inquiet quand je suis retourné en faire une. J'ai même hésité, je n'en voyais pas l'utilité. Et puis, les résultats sont tombés.

Je n'imaginais que trop l'horreur qu'il avait dû ressentir. Le sentiment profond de révolte et d'injustice qui lui empoisonnait le cœur. Et qu'il faisait payer depuis à son frère.

Aimer, rire... survivre (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant